PORTRAIT : Père Paul, le premier prêtre chinois

Le 15 août de cette année, le père Paul Wu a célébré, en la Cathédrale St-Louis, son soixantième anniversaire sacerdotal, dont la majeure partie au service des Mauriciens. A quelques jours de son départ pour sa retraite dans son pays natal, et grâce aux bons offices d’une amie, nous sommes allés à la rencontre de celui que des milliers de Mauriciens surnomment Père Paul ou Père Ming Tek.
Paul Wu est né le 6 février 1928 dans le village de O-Cheng, situé dans la province de Hubei, au centre de la Chine. Il est fils et petit-fils de petits fermiers qui cultivent le blé, le riz, les grains et les légumes à deux soeurs et trois frères. La famille Wu fait partie de ceux qui administrent naturellement le village de 300 habitants. Catholique convaincu, le grand-père de Paul était parvenu à convertir sa famille et les villageois à sa foi. C’est donc naturellement que le petit Paul commence ses études à l’école des frères du village, les poursuit au grand séminaire de Wuchang et se destine à la prêtrise. En cette fin des années quarante du siècle dernier, le monde sort exangue de la Deuxième guerre mondiale et la Chine, suivant l’exemple de la Russie, est en train de basculer dans le communisme. En 1949, les révolutionnaires menés par Mao Tsé Toung prennent le pouvoir en chassant le gouvernement nationaliste dirigé par Chang Kai Chek. La Chine devient communiste en faisant table rase du passé et en interdisant les religions. Face à ce changement, l’Église catholique demande à tous les séminaristes chinois de se réfugier à Hong Kong. Trois mois plus tard, ceux du séminaire de Wuchang, où étudie Paul Wu, sont déplacés à Macao. Paul Wu y terminera ses études et sera ordonné prêtre le 15 aoû 1954, alors qu’il était âgé de 27 ans. Quelques mois plus tard, son supérieur, répondant à une demande de l’évêque de Port-Louis, le désigne pour aller travailler à l’île Maurice où vit une importante communauté chinoise et où la Mission catholique chinoise avait été lancée en 1950. «Je n’avais jamais entendu parler de ce pays, qui n’existait pas sur les cartes des dictionnaires. J’ai dû aller chercher un atlas du monde pour savoir où Maurice se trouvait. »
Le jeune Père Paul arrive à Maurice, en compagnie du père John en décembre 1954 et quelques jours après il est affecté à la Cathédrale. Mais un problème surgit : le père Paul parle couramment le mandarin, quelques mots d’anglais mais pas le hakka, la langue utilisée par la communauté sino-mauricienne. Il communique en latin avec les autres prêtres et utilise cette langue ancienne pour dire la messe et commence à apprendre le hakka. Mais au début de janvier L’évêque de Port-Louis, Mgr Liston, lui demande, dans la mesure où il est le premier prêtre chinois de Maurice, de prononcer son premier sermon en hakka pour la messe marquant le Nouvel An chinois, à la fin du mois. « Comme le mandarin et le hakka utilisent les mêmes caractères, mais les prononcent de façon différente, mon prof, M. Lee, m’a demandé d’écrire mon discours en mandarin et m’a appris à le dire en hakka. C’est en transpirant que j’ai lu ce sermon. Après, Mgr Liston est allé demander à certains des fidèles s’ils avaient compris ce que j’avais dit. Ils ont répondu que je m’étais pas mal débrouillé pour un débutant. » Tout en poursuivant l’étude du hakka, Père Paul se lance également dans celle du français et, naturellement, du créole. Il se lance dans de multiples activités, s’occupe des jeunes, des vieux avec une telle efficacité que quand monseigneur Jean Margéot devient évêque de Port-Louis, il le nomme l’administrateur du diocèse en 1968. La même année le père Paul est nommé Délégué apostolique de la diaspora chinoise pour le sud-ouest de l’océan Indien, c’est-à-dire Maurice, la Réunion, Madagascar, les Seychelles et l’Afrique du Sud. En 1972, le Père Paul reçoit une lettre de son frère aîné, avec qui il n’avait pas eu de contact depuis qu’il avait quitté la Chine, vingt-cinq ans auparavant. Cette lettre, qui avait été postée deux ans plus tôt, lui annonce la mort de sa mère survenue pendant la Révolution culturelle. Le père Paul retournera pour la première fois en Chine en 1979, alors que le pays, sous une nouvelle direction, condamne la révolution culturelle et ses excès et prône une politique d’ouverture. C’est un pays complètement dévasté, mal organisé, qui se remet difficilement, avec des familles éparpillées que découvre le père. « La majeure partie de mon village, dont la maison familiale avait été détruite. Mais j’ai pu aller sur la tombe de mes parents, j’ai retrouvé mes frères et soeurs et fait la connaissance de mes neveux et nièces.»  Rentré à Maurice, le père Paul tout en continuant son travail pour le diocèse, s’attaque au grand projet de sa vie : trouver un terrain et faire construire un centre pour accueillir les activités de la Mission catholique chinoise. Après des recherches, le terrain — d’un peu plus d’un arpent — est trouvé et acheté pour la somme de… Rs 55,000 ! Il faudra plusieurs années pour terminer la construction de ce centre qui va rapidement devenir un des lieux emblématiques de la communauté sino-mauricienne. Baptisé Ming Tek (*) le centre est inauguré en décembre 1980 et va rapidement se faire connaître grâce à son école de musique et de danse qui va faire découvrir aux Mauriciens quelques-unes des facettes de la culture traditionnelle chinoise. Tout en continuant à s’occuper de Ming Tek, parfois avec un ton autoritaire qui ne plaît pas à tous. Dans le courant des années 1980, le père Paul va également contribuer au lancement de l’Aurore, un magazine de liaison pour les membres de la communauté sino-mauricienne. A partir de 1993, il allait assurer la rédaction de la partie chinoise de ce magazine, tout en continuant à travailler pour le diocèse de Port-Louis. Le 22 février 2002, à la fin de la messe du Nouvel An chinois Mgr Piat annonce le départ de père Paul à la retraite sur la recommandation de ses médecins. En effet, la santé du prêtre avait commencé à décliner à partir de la fin du siècle dernier. En 1999, il avait subi l’ablation de la vésicule biliaire, une opération cardio-vasculaire en 2000 et cinq pontages par la suite. L’Évêque de Port-Louis qualifie le père qui prend sa retraite de « all rounder » pionnier de l’inculturation chinoise à Maurice, entre autres activités. Mgr Piat souligne le succès de la Mission catholique chinoise en ces termes : « Si aujourd’hui nous voyons les fruits, c’est parce que quelqu’un depuis longtemps a semé, a planté, a arrosé. » Répondant à cette reconnaissance de son travail, le vieux prêtre répondra : « Je reste toujours pareil, je ne sais pas bien parler, je suis obstiné, avec mon mauvais caractère et je présente mes regrets à ceux que j’ai pu blesser d’une manière ou d’une autre. »
Depuis le père Paul est allé vivre en Chine, dans un petit appartement acheté grâce à la contribution de ses amis et de ses parents, à Dong Guan, dans la province de Guandong. Il est revenu à Maurice, en 2004, pour recevoir la citoyenneté d’honneur de la ville de Port-Louis. Il est de nouveau chez nous depuis le mois dernier pour assister à la messe célébrant son soixante anniversaire sacerdotal , le 15 aout à la Cathédrale St Louis. Une cathédrale où il aura passé cinquante ans de sa vie de prêtre. C’est un père Paul diminué physiquement, mais toujours vif intellectuellement que nous avons rencontré mardi dernier à Bethesda, la résidence réservée aux prêtres âgés au Thabor. « Comment je vais ? Aussi bien bien que je peux en dépit du fait que ma vue a baissé, que je n’entends pas bien et que je ne peux aller, comme autrefois, prendre le bus ou marcher dans les rues de Port-Louis. Mais je me débrouille : je lis les journaux doucement, doucement, et je regarde les émissions sportives à la télévision. Et puis les amis viennent me rendre visite et me faire la conversation. » En octobre le Père Paul compte retourner vivre en Chine, pourquoi ne pas rester à Maurice où il a vécu la majeure partie de sa vie ? « C’est vrai que j’ai passé les trois quarts de ma vie à Maurice, où j’ai été heureux. Mais je suis un chinois traditionnel, à l’ancienne, c’est-à-dire que je veux mourir dans mon pays natal et être enterré auprès de mes ancêtres. Mes neveux et nièces ont déjà trouvé un lopin de terre pour qu’on m’enterre pas loin de mes ancêtres. Je vais partir en octobre pour aller faire un examen médical à Singapour où je vais passer un mois avant de rentrer en Chine. Revenir à Maurice? Peut-être que je vais le faire un jour. Cela ne dépend pas de moi, mais de celui qui trace le chemin des hommes, et à qui j’ai toujours obéi : Dieu.»

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