PORTRAIT : Le Père Pedro de Madagascar

J’avais été invité à rencontrer le psychanalyste et formateur Henri Cohen-Solal au cours d’un dîner pour découvrir son projet de formation dans le domaine du social. Avant la rencontre, mon hôte m’a demandé si le Père Pedro, de Madagascar, de passage à Maurice, pouvait participer à la rencontre. C’est donc au cours d’un dîner très animé que, lundi dernier, j’ai pu rencontrer le Père Pedro, dont voici le portrait en grand format. Un portrait réalisé grâce à un hôte discret et par ailleurs très efficace, que je remercie une fois encore.
Le Pedro, que beaucoup n’hésitent pas à comparer à l’Abbé Pierre, Mère Teresa ou Soeur Emmanuelle, au niveau de l’engagement dans la lutte contre la pauvreté, ressemble plus à un baroudeur, dans le sens noble du terme, qu’a un missionnaire. Ce viking avec des yeux clairs pétillants, une barbe blanche et une conviction qui emporte tout sur son passage est né en… Argentine, il y a soixante-quatre ans. « Mon histoire est différente dès le départ. Je suis le fils d’un émigrant slovène, seul rescapé d’un charnier de 5000 personnes tuées par les communistes du maréchal Tito, de l’ex-Yougoslavie. Après la Secoinde Guerre mondiale, il s’est réfugié en Italie où il a rencontré ma mère dans un camp de réfugiés et sans un sou, sans savoir parler l’espagnol, ils ont émigré en Argentine. Comme mon père était maçon, il a trouvé du travail, mais il vivait avec ma mère et les huit enfants qui sont nés après dans un garage où on dormait par terre. Je connais la misère depuis toujours. Ils nous ont appris comment faire pour survivre dans la dignité et nous ont transmis leur foi catholique. » Des l’âge de 9 ans, Pedro va travailler avec son père comme maçon pour aider à faire manger la famille et à 14 ans il est déjà un bon ouvrier. A 15 ans, il décide de devenir prêtre et entre au séminaire chez les Pères lazaristes. A 20 ans, il va approfondir sa formation en Slovénie, la terre de ses parents. « C’est là que j’ai décidé de devenir missionnaire et d’aller travailler avec les pauvres en dehors de l’Argentine, de préférence en Afrique ou en Asie, les pays pauvres de l’époque. C’est comme ça que je me suis retrouvé deux ans plus tard à Madagascar où j’ai travaillé comme maçon chez les prêtres lazaristes de St-Vincent de Paul qui, de son vivant, envoya les premiers missionnaires à Madagascar, en 1648. » Pedro Pablo Oreka termine ses études à Paris et est ordonné prêtre à Buenos Aires en 1975. Il est subséquemment nommé curé dans une paroisse rurale du sud-est de Madagascar, Vangaindrano. C’était un endroit perdu situé à plus de mille kilomètres de la capitale malgache, dans une des régions les plus démunies du sud-est. Après avoir appris la langue et les traditions du pays, le nouveau prêtre aide les paysans à améliorer la culture du riz, des céréales et du café. Il crée aussi des groupes de villageois et de jeunes, pour les aider à bâtir des projets communs et à prendre en main leur futur. Et puis en mars 1989, après treize ans passés dans la campagne, le Père Pedro est muté dans la capitale malgache pour diriger le séminaire des frères lazaristes. « Vivant à la campagne, j’ignorais totalement ce qui se passait en ville et j’ai subi un grand choc quand je suis arrivé à Antanannarivo. J’ai été sidéré par l’étendue de la misère que j’y ai découvert. Dans le sud-ouest où j’avais vécu, il y avait de la pauvreté mais pas de la misère grâce à la solidarité : le peu qu’on avait, on le partageait. Dans la capitale il n’y avait que la pauvreté à partager. » Le jeune prêtre va surtout découvrir les sans-logis vivant dans la décharge aux ordures. En 1985, pour la célébration en grande pompe des 25 ans de la révolution malgache, les autorités avaient organisé une grande rafle pour nettoyer la capitale : tous ceux qui vivaient dans les rues avaient été conduits de force dans les dépotoirs situés hors de la ville. « Des milliers de familles avec leurs enfants avaient été jetées dans les décharges comme des ordures et ceux qui avaient survécu étaient toujours là-bas. J’ai été d’abord sidéré par cette situation, puis elle m’a révolté et j’ai décidé de réagir. » Mais cette situation qui durait depuis quatre ans n’avait pas été combattue, dénoncée avant l’arrivée du Père Pedro à Antannanarivo ? « Elle avait été dénoncée, mais Madagascar était en train de tomber rapidement dans une pauvreté généralisée. La misère et ses séquelles commençaient à devenir « normales » dans le pays. Quand je suis arrivé dans le pays en 1970, il y avait 10 millions d’habitants et 30 % de pauvres. Aujourd’hui, après une révolution socialiste, plusieurs coups d’Etats et autant de présidents, Madagascar compte 22 millions d’habitants et 80% de pauvres. C’était un pays beau, riche et accueillant que la misère a dramatiquement changé. La révolution était le contraire de ce qu’elle prétendait être : rendre les Malgaches plus responsables, plus patriotes, plus progressistes et développer le pays. On a fait partir les Européens qui faisaient marcher l’économie et ils n’ont pas été remplacés : depuis, le pays fonctionne au ralenti et parfois, pendant de longues périodes, pas du tout. »
 

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