PORTRAIT : YAASEEN EDOO—Un BSc (Hons) en poche après avoir raté le cycle primaire

Jusqu’à l’âge de 12 ans, Mohammad Yaaseen Edoo, souffrant d’une malformation de la moelle épinière et se trouvant de fait en fauteuil roulant, est resté à la maison. Du fait de son handicap, il ne peut être scolarisé. Après des cours de rattrapage par le Training and Employment of Disabled Person’s Board, il décroche son CPE à 14 ans et se fait admettre à la SSS Hassan Raffa. Il y a tout juste une semaine, le jeune homme a reçu un BSc (Hons) en Multimedia and Web Technology. Et ce n’est pas tout. Sa détermination et son dur labeur, qu’il a étendus sur le plan de la lutte en faveur des handicapés, lui a valu deux voyages en Afrique l’an dernier et deux autres cette année, soit à New York et au Pays de sa Majesté, où il a rencontré nulle autre que… la reine Elizabeth II.
« Lekol primer mo pan fer. » Lorsque Yaaseen Edoo lâche cette phrase alors que l’on sait qu’il vient de décrocher un BSc (Hons), on est quelque peu perplexe. Aujourd’hui âgé de 27 ans, il se souvient être resté à la maison, avec sa mère jusqu’à l’âge de 12 ans. Et ce sans accompagnement éducatif et sans qu’aucune fois ses parents ou sa soeur cadette ne l’initient aux chiffres et aux lettres. Poussé par son handicap et par sa soif de connaissances, le petit Yaaseen devient tôt autodidacte. « C’est à travers la télé que j’ai appris à lire et à écrire. Je déchiffrais les mots à la télé. J’ai commencé à lire les journaux et à feuilleter les dictionnaires. » Sa mère acquiesce. « On ne lui a jamais appris à lire ou à écrire. Je n’ai pas cette patience. »
Atteint de spina bifida, une malformation de la moelle épinière, depuis la naissance, accompagnée d’une tumeur au rein, Yaaseen est privé de mobilité. Il se déplace donc en fauteuil roulant. Ce n’est qu’à 12 ans que, sur l’avis du Community Based Rehabilitation du ministère de la Santé, il est admis dans un centre pour jeunes handicapés. « On y animait des classes très basiques. Il y avait un instituteur du primaire qu’on avait emmené qui, à son arrivée, a rehaussé le niveau du centre. Il nous donnait des devoirs à faire. Quand il a vu mon intérêt pour les études et que je faisais mes devoirs même pendant la récré, il en a parlé à la direction. C’est là qu’on a pris la décision de me faire prendre part au CPE. Cette année-là, toutefois, le délai d’inscription était déjà dépassé. C’est donc l’année suivante, soit en 2001, que j’y ai pris part. » En trois ans d’apprentissage, il décroche son CPE avec 3B et 1C.
En raison des difficultés de transport, et habitant Terre-Rouge, l’adolescent opte pour le collège SSS Hassan Raffa. « Mais le collège Royal de Port-Louis et le Bocage étaient prêts à m’accueillir », dit-il. Au collège, Yaaseen réussit chaque classe sans problème jusqu’en HSC. « Seule difficulté : j’ai eu à délaisser la comptabilité car je ne pouvais prendre de leçons particulières. » Il choisit comme matières principales l’informatique et le français, et comme matières subsidiaires, GP et études islamiques. Son HSC en poche, il s’inscrit au Swami Dayanand Institute of Management, aujourd’hui l’Université des Mascareignes. Il prépare un diplôme en informatique avec spécialisation en Web et Multimédias, et une troisième année lui a permis de décrocher son BSc. Sa troisième année d’études, Yaaseen l’a effectuée grâce à la GRF (Global Rainbow Foundation), qui a trouvé pour lui un sponsor, en l’occurrence le groupe Super U de Grand-Baie. La GRF lui a par ailleurs offert un fauteuil motorisé. « Ma seule difficulté lors de mes études a été le déplacement. Je devais me faire aider par mes amis. J’ai fait une requête au directeur, le Prof Guillon, qui m’a promis qu’il prévoirait pour le futur une rampe afin de faciliter la mobilité des étudiants en fauteuil roulant. »
Appel au gouvernement
À présent qu’il a terminé ses études, Yaaseen Edoo souhaite obtenir un emploi. S’il s’est déjà vu proposer des postes par diverses entreprises après ses deux ans d’études tertiaires, le problème, souligne-t-il, était le transport. « Dès que j’évoquais le problème de transport, on ne revenait jamais vers moi. » Yaaseen voit là une forme de discrimination envers les personnes handicapées, qui ne peuvent obtenir un emploi faute de moyen approprié de déplacement. Il lance alors un vibrant appel au gouvernement afin qu’il y ait, « comme à Londres », des bus munis de rampe pour accueillir les personnes en fauteuil roulant. « Le gouvernement pourrait importer une dizaine de vans spécialisés, qui desserviraient diverses régions de l’île. Cela nous aiderait côté boulot, mais aussi en termes de loisirs. On n’aurait pas à attendre que nos proches soient libres pour sortir », plaide le jeune homme.
Obtenir un emploi représenterait beaucoup pour Yaaseen. « Je serais plus indépendant et je pourrais aider mes parents financièrement. Cela me donnerait aussi la satisfaction de pouvoir aider au développement de mon pays. » Outre ses études, Yaaseen s’est aussi engagé au sein de diverses Ong militant en faveur des handicapés, notamment le Leonard Cheshire de Maurice, qui lui a permis de participer à des rencontres internationales à l’étranger.
Échanges avec le Prince Philip
En tant que leader du Leonard Cheshire Disability Young Voices de Maurice, Yaaseen a eu pour responsabilité d’encourager les membres à lutter pour que leurs droits ne soient pas bafoués. Et, en mai 2014, la reine Elizabeth II – qui est la patronne des Leonard Cheshire à travers le monde – a organisé, pour « les membres ayant accompli “des choses” dans leurs pays respectifs », une rencontre en Angleterre. Yaaseen, lui, a oeuvré pour faire connaître les Young Voices par le biais de la presse écrite et parlée, et en organisant des campagnes de sensibilisation. C’est ainsi qu’il s’est envolé en Grande-Bretagne avec sa mère. « La reine nous a reçus au Sir James Palace et nous avons eu des échanges avec le Prince Philip… ».
À peine Yaaseen a-t-il eu le temps de se remettre de ce voyage féerique qu’une semaine après il s’envolait pour… New York ! Là, se déroulait la conférence annuelle des State Parties au siège de l’Unesco. « C’est en tant que membre du Global Partnership on Children with disabilities Youth Council, créé et géré par l’Unicef, que j’y ai participé. Et ce sont les meilleurs éléments de Young Voices qui en deviennent membres. » Lors de cette assemblée à New York, « plusieurs organisations se sont rencontrées en vue de dresser un bilan sur ce qui a été réalisé par rapport à la Convention des Nations unies et sur les choses qui restent à faire ». Pour Yaaseen, ces voyages ont été « une expérience incommensurable ».
Toujours accompagné de sa mère, il s’est rendu en Zambie et au Kenya, en 2013, toujours dans le cadre de ses réalisations au niveau des Ong, dont a en charge le Leonard Cheshire de Maurice. Très engagé, le jeune homme est aussi membre du NCRD (National Council for the Rehabilitation of Disabled Persons) et Global Youth Ambassador de “A World at School”, organisation mise sur pied par Sarah Brown, l’épouse de l’ancien Premier ministre britannique, pour s’assurer qu’un minimum d’éducation soit dispensée à travers le monde.
Outre son combat pour l’amélioration des conditions de vie des handicapés, Yaaseen a pour passe-temps les réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) et le football, son équipe étant Manchester United. Du fait des difficultés de la vie, Yaaseen voit davantage celles-ci comme des « défis » à relever. Et sa mère de souligner qu’en dépit des soucis de santé engendrés par la malformation dont souffre son fils, Yaaseen « bosse dur ». Avis partagé par le principal intéressé. « J’aime réussir pour montrer aux autres que même si nous avons un handicap, nous pouvons réaliser nos rêves. Il nous faut persévérer ! », conclut-il.

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