PORTRAIT: Zulu, en clair

Pendant que BlackMen Bluz poursuit son cheminement, Zulu a constitué Sunshine Gang, pour permettre à des talents méconnus de son entourage d’émerger. Le compositeur de Gabriella et Tir Bouson s’est lancé cet autre défi pour rester dans l’authentique, comme le lui a enseigné la mer.
En cet après-midi, il reçoit ses invités sur les vieux fauteuils en cuir rose, posés sur la terrasse de sa maison. C’est ici, au deuxième étage, qu’on discute généralement de musique. “Beaucoup de gens sont passés par là. Ils se sont tous assis ici”, confie Zulu, avec sa bonne humeur coutumière.
À l’intérieur, dans le studio qu’il s’est aménagé, les instruments et le matériel attendent l’arrivée de ses nouveaux compagnons. Qui viendront pour les dernières répétitions, avant que ne débute l’enregistrement de leur album, dans quelques jours. Ils se sont baptisés Zulu ek Sunshine Gang et ont déjà fait quelques sorties publiques brillantes.
Impossible de ne pas s’interroger sur ce que devient l’un des groupes les plus prometteurs du pays. Mais Zulu nous rassure : BlackMen Bluz se conjugue toujours au présent. L’album annoncé avec la sortie des deux titres de Tir Bouson, fin 2011, reste d’actualité. On le sait aussi : Zulu a posé sa voix sur le dernier album de Mario Ramsamy; le fruit de cette collaboration ne devrait plus tarder à se faire entendre, ici comme en France. Tout va donc très bien du côté de Mahébourg.
Let the sunshine.
Mais l’artiste semble avoir du mal à s’adapter au confort du succès. Alors que l’homme de mer a le vent en poupe, il a voulu retrouver le goût du défi et de l’incertitude, en réunissant pour un nouveau projet musical des talents méconnus de son entourage. “Quand tu es arrivé tout en haut, tu dois savoir redescendre pour aider les autres à monter à leur tour. C’est ce que j’espère faire avec Sunshine Gang. J’ai réuni des talents de Mahébourg pour les aider à se faire connaître.”
Composé de Samson Adeline, Linley Jean, Mallet, Yannick et Kevin, Sunshine Gang viendra avec un 4-titres dans quelques semaines. Aucun style précis n’est annoncé : “Nous restons ouverts à ce niveau.” Une bonne dose de discipline, une réelle motivation et de vraies ambitions. Zulu retrouve les sensations de ses débuts et s’en réjouit. Refaire le parcours à l’envers, “kan to fini ariv lao avek tou to makiyaz ek to fortinn e ki to aksepte redesann anba pou mars pie ni dan lari”.
Zanfan lakot.
De la terrasse de la maison de Zulu, on devine facilement la baie de Mahébourg, qui se situe à quelques minutes de marche si l’on oublie les petites haltes qu’impose la politesse lorsque l’homme rencontre ses voisins. Quelques mots pour prendre de ses nouvelles mutuellement, une petite plaisanterie pour rire un bon coup. Zulu, l’une des nouvelles stars de village, garde fermement les pieds sur terre pour ne pas dévier.
Nous avons droit à une petite visite des lieux : l’homme s’assoit face à la mer, pour apprécier ce paysage qui l’a bercé et qui lui a procuré une philosophie de vie. C’est peut-être même bien la mer qui lui a appris à se libérer du conformisme pour inventer les choses à sa guise. D’où la particularité de ses textes et de sa musique.
Zulu est né “preske lor laplaz”, à Pointe D’Esny. Son père était gardien de campement; sa mère, bonne à tout faire. “Nous étions souvent livrés à nous-mêmes, et c’est sur la plage que nous avons presque tout appris.” Quand ils ne jouaient pas au foot ou ne nageaient pas, lui et d’autres enfants du village faisaient frire leurs poissons dans de vieilles boîtes de sardines et se régalaient de noix de coco. “Il y avait là des personnes de communautés différentes. Nous partagions le même sort et vivions dans une parfaite entente. Cette manière de vivre a constitué la base de mon éducation.”
Krapo kriye.
Nous sommes alors dans l’une des périodes charnières de l’île Maurice indépendante. Zulu a à peine 10 ans lorsqu’il prend conscience des conditions difficiles dans lesquelles travaille son père pour faire vivre la famille. “J’avais la rage au coeur. Je n’acceptais plus de voir mon père se donner autant au travail. Quand Krapo Kriye est sorti, j’ai tout de suite vu la vie de mon père dans le texte de cette chanson. Il était exactement cela : esklav enn lot esklav.”
L’excès d’énergie provoqué par la colère, Zulu apprendra à le canaliser grâce à la musique. “Un jour, je me suis rendu sur le site d’une maison qui venait de prendre feu et j’y ai ramassé une cassette. Le nouveau son que j’ai découvert en l’écoutant m’a profondément touché.” Il s’agissait de l’un des albums de Genesis.
Adolescent, il profite souvent des moments où le portier laisse ouverte la porte du cinéma du village pour visionner des séquences de film. Ascenseur pour l’échafaud lui permet de découvrir Miles Davis. Quelques jours plus tard, l’extrait d’un concert réunissant Bob Dylan et Santana sur scène bouleversera sa vie.
Black magic.
Une poignée d’années plus tard, c’est précisément avec le Black Magic Woman du guitariste américano-mexicain qu’il se présente en live devant un public pour la première fois. Il avait rejoint le groupe de Gérard Seeta Ramdoo comme chanteur. Dans les années 80, il déroge aux règles habituelles du Star Show de la MBC avec La Bohème en version acoustique : “Au lieu de me faire accompagner par l’orchestre de l’émission, j’avais choisi quelque chose de plus authentique. Il me fallait sentir le public, sentir la musique, sentir le bois.” Un ami l’accompagne à la guitare : “J’ai tout de suite compris que j’avais besoin de ce type d’ambiance. L’acoustique représente pour moi le côté véridique de la musique.”
Aznavour, Nougaro, Piaf, Brel : l’amoureux de la chanson française trouve également des repères dans la musique de Led Zeppelin, des Dire Straits ou encore dans le séga de Roland Fatime. Celui qui, selon Zulu, a jeté les bases du seggae.
Blackmen.
Cueilleur de thé, marchand de cocos, banian, pêcheur, maçon, peintre, animateur d’hôtel, moniteur de sports aquatiques, cuisinier, musicien d’hôtel… L’homme touche à tout et se débrouille comme il le peut pour faire vivre sa famille.
Musicalement, il se prépare à faire autre chose que des reprises. Il a appris la guitare sur un instrument brisé, muni de trois cordes. De manière assez naturelle, il commence à écrire des textes. “Je n’ai jamais vraiment su pourquoi, mais j’ai toujours pris l’habitude d’écrire dans un cahier les choses que j’avais en tête. Je le faisais en permanence. C’est de cette manière que je me suis mis à la composition.” Jusqu’à ce qu’un beau jour, Lionel Permal et lui se mettent sous un arbre pour jouer un titre de sa composition : BlackMen Bluz…
Gabriella, Feel Good, Blue Bay Blues, Numéro 7, Chombolila, Tir bouson sont quelques-uns des titres qui ont contribué au succès de ce groupe né en bord de mer à Mahébourg. Bientôt un deuxième album : la révolution amenée par l’ensemble de l’équipe de BlackMen Bluz dans le paysage musical local est indéniable.
Grander nou lam.
Un matin, Zulu se réveille à 6h30, avec en tête quelque chose qu’il sent nécessaire d’exprimer. Il s’assied au bord du lit, en quête d’inspiration pour travailler le texte. Moins de trois heures après, Grander nou Lam, un des principaux titres de Sunshine Gang, prend forme.
Aujourd’hui, la colère de l’enfant qu’il était s’est transformée en énergie créatrice. “La musique ne se crée pas sur commande. Elle vient d’elle-même, à n’importe quel moment”, affirme le compositeur. L’homme n’y prend que du plaisir : “La musique demeure pour moi une passion, un plaisir. C’est l’air que je respire.”
En acoustique, sans se renfermer dans un genre, Zulu a fini par composer une philosophie : “La plus belle musique est celle qui devient une onde d’émotion parce qu’elle est simple, tout en étant complexe. La plus belle musique te laisse des espaces pour tes fantasmes et te laisse la liberté de l’interpréter à ta façon.” Vous savez : un peu l’effet que vous fait la mer lorsque vous prenez le temps de l’écouter…

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