Prière de ne pas (trop) rigoler…

Il est des vies qui se consument à la mesure du feu et de l’exigence qui les a animées. Mardi dernier, Firoz Ghanty a quitté cette vie. Trop tôt, trop vite. Sans doute est-il allé promener sa parole haute et son généreux « foutant » avec d’autres astres, lui qui savait, pour paraphraser René Char, que la lucidité et l’humour sont les blessures les plus rapprochées du soleil. Il nous laisse l’œuvre d’un artiste plasticien et d’un militant politique riche de sa densité et de son refus de la tiédeur et des concessions.

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Firoz Ghanty battait farouchement en brèche la bien-disance et le politiquement correct. Pour cet homme qui n’a pas hésité à se mettre à nu dans ses œuvres, les arts et la culture constituaient un paradigme aussi nécessaire qu’absolu tant dans la vie d’un individu que dans celle d’un pays et du monde. Il est évident que la vacuité du ministère supposé s’y consacrer dans notre pays a toujours suscité son exaspération et sa critique sans détours. Sans doute aurait-il eu bien des choses à dire par rapport à la nouvelle appellation qui nous est servie suite aux élections législatives du 7 novembre dernier. Le ministre nouvellement nommé, Avinash Teeluck, nous a annoncé comme un renouveau le fait que le ministère des Arts et de la Culture s’appellerait désormais le ministère des Arts et du Patrimoine Culturel. Comme une volonté apparemment de ne plus réduire le culturel au cultuel.

Il conviendra de voir ce que ce jeune ministre saura apporter pour effectivement redynamiser ce ministère qui a longtemps été perçu comme une coquille vide, servant tout juste à caser certains élus pour assurer la fameuse « balance ethnique » de nos gouvernements.

Déjà, le ministre Teeluck est en route ce week end pour la Colombie, accompagnant une délégation chagossienne à la 14e session de l’Unesco qui se tiendra du 9 au 14 décembre à Bogota, en vue de faire inscrire la musique des Chagos au Patrimoine Immatériel de l’Humanité. C’est un bon démarrage. Pour la suite, il aura du boulot. Et il y aura, au préalable, un certain nombre de questions à se poser.

Dans son numéro de novembre, le journal de la Région Réunion met, en couverture, l’accent sur la création. « Quels sont les grands enjeux de la culture à La Réunion ? Quelle doit être la place de la culture dans notre projet de société ? Quel modèle économique pour l’emploi, l’activité autour des filières culturelles ? Ces questions concernent les artistes, les entreprises, les associations, les institutions du secteur culturel, mais aussi plus largement l’ensemble de la population réunionnaise », souligne l’édito de cette publication.

Tout au long de 2019, la Région Réunion a organisé, à l’île sœur, les Etats Généraux de la Culture, baptisés « Culturanoo », pour solliciter l’avis des habitants, et les faire participer à la réflexion collective. Cette consultation a débouché sur quatre « Grands débats » au mois d’octobre. Et ce qui en résulte sera, dit-on, pris en compte pour élaborer les politiques publiques et les actions concertées à venir.

« Notre histoire, notre culture, notre identité sont des notions intimement liées. En ce sens, la vivacité culturelle reste incontestablement un élément majeur de la cohésion sociale sur notre territoire », souligne encore la publication de la Région Réunion. Qui dit « placer la culture au cœur de son projet de développement pour la Réunion ».

En 2014, la Région Réunion a de fait créé un pôle spécial chargé de mettre en pratique une politique d’identification, de préservation et de valorisation du patrimoine réunionnais. Une démarche dont nous pourrions nous inspirer.

Dans son édition du 29 novembre dernier, le magazine La Vie Eco met l’accent sur la tenue à Casablanca, au Maroc, de la 17e édition des mardis du tourisme, sous le thème : «Enjeux et défis d’une nouvelle offre culturelle». L’occasion de faire valoir qu’aujourd’hui, le tourisme  culturel rapporte un tiers de plus que le tourisme conventionnel. De fait, 40% des touristes  dans le monde choisissent une destination à partir de son offre culturelle. Et ils dépensent, en moyenne, un tiers de plus que les autres. D’où l’importance de la valorisation et la mise en avant de l’offre culturelle marocaine, ce pays disposant de 216 sites et monuments historiques classés au niveau national dont 50% sont visités par les touristes. En termes de flux, les sites ont drainé 1,5 million de visiteurs dont 20% de Chinois durant les 6 premiers mois de 2019, soit une hausse de 155%.

Tout ce qui précède ferait probablement hurler Firoz Ghanty. Lui qui nourrissait une saine méfiance vis-à-vis de la marchandisation à outrance de la culture. Qui peut être aussi une façon de la dévoyer. Reste que nous ne pouvons que souhaiter que notre nouveau ministre, manifestement paré de très bonnes intentions, puisse contribuer chez nous à réactiver le triangle public-artistes-institutions. A améliorer la place de la culture dans l’économie. Et à favoriser la culture comme levier dans notre construction personnelle, nationale et au cœur du monde. S’il réussit cela, peut-être alors pourra-t-on se réjouir, et non être sidéré, de le voir nommé, comme son prédécesseur, au poste de Président de la République…

Firoz est prié de ne pas rigoler dans sa barbe…

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