PROFESSION LÉGALE — Post-COVID-19 : Jeunes avocats sans défense face à la crise

Avec le couvre-feu sanitaire, les cabinets d’avocats sont totalement à l’arrêt et, parmi ceux qui travaillent encore, les deux tiers estiment que leurs activités sont réduites de moitié. Si ceux ayant fait leur place déjà dans la profession pourront remonter la pente avec la reprise, les jeunes avocats ayant récemment prêté serment ou ceux qui n’en sont encore qu’à leurs premiers pas professionnels, voient un fort ralentissement de leurs activités et se retrouvent d’autant plus fragilisés. Plusieurs d’entre eux sont dans l’incertitude et l’avenir s’annonce sombre. Ils sont littéralement sans défense face à la crise.

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Ces jeunes avocats ne sont pas épargnés par les séquelles post-COVID-19. La situation est difficile pour beaucoup d’entre eux, tant pour ceux qui viennent de prêter serment que pour ceux travaillant à leur propre compte, ayant des loyers et des factures à régler. Il n’y a aucune visibilité en ce qu’il s’agit des trois prochains mois, car les clients ne vont pas se ruer chez eux avec la situation précaire dans laquelle ils se trouvent. L’accès aux Cours de justice étant restreint, ils ne pourront par ailleurs rencontrer des clients. À noter que les avocats doivent aussi payer les “membership fees” annuelles au Bar Council et à la Law Society of Mauritius. Seules les “subscription fees” de l’Institue of Judicial and Legal Studies (IIJLS) ont été suspendues.
Les directives qui ont été “issued” pour rencontrer les clients sont aussi rédhibitoires. Dans les études, il faudra en outre maintenant prévoir du “sanitizer”, des masques et respecter la distanciation sociale. Il faut aussi équiper le personnel d’équipement, ce qui constitue des coûts additionnels. Avec la reprise, l’on risque d’avoir un scénario où les clients seront réticents à payer le “current market price” pour les cas devant les Cours de districts, la Cour intermédiaire ou la Cour suprême. Les jeunes avoués et avocats devront revoir leurs “fees”.
Par ailleurs, les jeunes avocats employés dans un cabinet ont bénéficié du Wage Assistance Scheme. La plupart sont employés ou travaillent comme consultants dans des cabinets et reçoivent un salaire fixe. Ceux qui agissent comme consultants sont rémunérés en fonction du nombre de clients qu’ils amènent aux Chambers. De même, ils reçoivent une commission sur les dossiers sur lesquels ils travaillent. Beaucoup d’entre eux risquent de se retrouver dans une situation encore plus précaire.

Recouvrer les frais d’études

Un jeune avocat ayant prêté serment il y a trois ans dit avoir osé le pari de se mettre à son propre compte au lieu de se joindre à une “Chamber”. Aujourd’hui, avec la pandémie, il est dans l’incertitude la plus totale. Selon lui, l’avenir s’annonce sombre. « C’est vrai que je n’emploie pas de secrétaire, mais il faut s’acquitter des frais fixes, tels que le loyer, l’électricité, le téléphone… Il n’y a eu aucun revenu ces derniers trois mois et je pense que ce sera pareil pour le prochain trimestre. Je ne vois pas les clients se ruer chez les hommes de loi avec la situation économique précaire dans laquelle le pays se trouve. Tout ça me stresse », déclare-t-il avec un air désabusé.
Avouée de formation, une autre jeune de la profession est plus chanceuse. À peine s’est-elle jointe à la profession qu’elle a pris emploi dans une firme. En tant que “in-house attorney”, elle a droit à un salaire fixe. Même si elle concède que les affaires en prendront « un sale coup » avec la récession, elle pense avoir fait le bon choix. « La profession libérale est comme une jungle. Ce n’est pas facile pour un jeune de percer de nos jours, car nous sommes beaucoup plus nombreux par rapport à il y a 20 ans. La formation coûte extrêmement cher, qu’elle soit à Maurice ou à l’étranger, et pour un jeune venant d’une famille modeste comme moi, le souci premier est de recouvrer les frais d’études. C’est ce qui m’a incitée à me joindre à la firme dans laquelle je travaille. Si je m’étais mise à mon propre compte, je ne sais pas comment j’aurais fait », avoue-t-elle.
Récupérer ses frais d’études, c’est justement ce qui a motivé un autre jeune il y a un peu plus d’un an. Ce jeune avocat est inquiet depuis que le pays est passé en confinement. « C’est vrai qu’en tant qu’associate, je reçois un salaire à la fin du mois, mais ma crainte, c’est qu’on me demande de partir, vu que le volume de travail baissera. Ce qui me sera néfaste, car ma famille a consenti à d’énormes sacrifices pour financer mes études au Royaume-Uni. Chaque coup de téléphone que je reçois de mon Senior me fait craindre le pire », confie-t-il.

Pas pris au sérieux

Par ailleurs, un avocat de 33 ans travaillant à son propre compte a eu de la peine à pouvoir pratiquer en cette période de couvre-feu, se retrouvant endetté alors qu’il est devenu père lors du confinement. « Vu que j’exerce beaucoup dans les affaires pénales, j’ai travaillé à 10% des capacités pendant ce confinement. Du 19 mars au 30 juin, je n’ai eu que deux affaires. Il a aussi été difficile de prendre des instructions de clients en détention, car il y a eu des problèmes de communication et de coopération. C’est surtout plus difficile quand on est un jeune avocat », déplore-t-il.
Il soutient aussi qu’en plus de sa vie professionnelle, sa vie familiale a pris aussi un sacré coup. « Je suis devenu père lors du confinement. En plus du bébé, je dois régler les prêts, le “leasing” et les factures qui se sont accumulées. Je dois aussi m’acquitter de la location du bureau que j’occupe. Ces derniers mois, j’avais assez d’économies, mais pour les mois à venir, je suis dans le rouge. Pire encore : je n’ai pas été éligible sous le barème du Wage Assistance Scheme », dit-il.

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Quid des « pupils » ?

À Maurice, les “pupils”, c’est-à-dire ceux qui ont passé les examens du Barreau à Maurice ou à l’étranger et qui sont en stage obligatoire dans des “Chambers”, ne sont pas rémunérés, alors qu’ils font le gros du travail le temps de leur “internship”. Ce que déplorent certains d’entre eux que nous avons interrogés. « C’est vrai qu’on en est toujours à l’étape d’apprentissage quand nous effectuons notre pupillage, mais ce serait souhaitable qu’on ait un “stipend” pour couvrir au pis aller les frais de transport », dit l’un d’eux. Remarque qui revient par ailleurs en boucle. En outre, les “pupils” n’auront pas à rattraper les dix semaines qu’ils ont perdues en raison du confinement sanitaire. « Ces semaines seront comptabilisées », laisse entendre une source au sein du Judiciaire.

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Persévérance et bonne volonté de mise

Malgré la situation délicate qui a affecté la condition de vie des avocats, certains d’entre eux ont trouvé en cette période une « opportunité » pour se ressourcer, ayant en effet assez de temps pour relire des textes de loi. Une jeune avocate ayant prêté serment en janvier dernier a ainsi rejoint un cabinet d’avocats et n’a pas eu de difficultés à faire des représentations ou encore de recevoir de nouveaux clients. « Durant le confinement, j’ai assisté des clients dans différents postes de police et participé à des demandes de liberté conditionnelle. Recevoir des instructions de nouveaux clients pendant cette période était effectivement difficile. Toutefois, j’ai continué les services en “advisory” et la rédaction de documents légaux en prenant en considération les divers textes de loi et les récents développements liés à la pandémie de COVID-19. De par le grand nombre d’avocats à Maurice, il est vrai que la concurrence est rude. Cependant, en travaillant avec assiduité et dévouement, tout en étant entreprenant et innovateur, on peut s’imposer et se faire un nom dans la profession. Le cabinet d’avocats auquel je me suis joint après ma prestation de serment m’a permis de bénéficier de l’expérience inestimable déjà acquise par les autres membres. Surtout, il ne faut pas hésiter à aller demander conseil aux séniors de la profession, qui, pour beaucoup d’entre eux, trouvent le temps d’apporter leur aide et d’agir comme des guides. »
Idem pour une jeune avocate. « Il faut avoir de la volonté et persévérer, malgré le fait que le travail a diminué », dit-elle. « J’avais toujours quelque chose à faire. Je travaille en indépendante, mais je suis aussi attachée à deux études. Ce qui m’a aidé à trouver des clients malgré le confinement. »

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