QUELQUES RÉFLEXIONS : Bagan, Borobudur, Pranbanan : Rapport Religion–État

 
Septembre 2017. Bagan à Myanmar.
Très étrange. 
Nous arrivons dans un monde presque irréel sur un vaste site archéologique bouddhique de près de 50 kilomètres carrés, situé dans la région de Mandalay, plaine centrale du Myanmar (Birmanie), dans une zone sismique, sur la rive gauche de l’Irrawaddy. Capitale du royaume de Pagan, le premier empire birman. Plusieurs villages ou hameaux souvent bâtis à proximité de « gu » et de « stûpa »: 2834 monuments, dont de nombreux en ruines.  Le  « gu » est un temple « grotte », dans lequel on pénètre, le terme gu provenant du sanskrit guha (caché, secret) et le stûpa est un monument plein, de plan circulaire mais pouvant avoir une base de plan carré, voire pentagonal.
Oui, étrange Bagan. 
Une ville où il y a très peu de voitures, quelques motos et des gens qui marchent, qui marchent avec en bordure de route, des jarres quotidiennement remplies d’eau par les villageois pour les marcheurs. Des chevaux, des chevaux oui. On se déplace en carrioles, lentement, si lentement (ah les reins !) comme en méditant, en de longues prières ou de rêves d’infini qui suivent le cours de l’Irrawaddy. À l’aube ou au coucher du soleil, le ciel et la rivière se parlent en une féerie de couleurs apaisées. Le temps est suspendu. Est-ce pour cela que dans une petite grotte, l’offrande est composée uniquement de réveille-matin ? On ne sait pas et il est inutile de vouloir fouiller le coeur des fidèles.
Plaine mystique, parcourue d’énergies invisibles : on ne saurait évoquer toutes les merveilles à découvrir. Quelques-unes seulement : 
– La Pagode Shwezigon, construite à partir de 1059 par le roi Anawrahta. Elle servit de modèle à beaucoup d’autres stûpas de style birman. En forme de cloche et reposant sur trois terrasses de briques décorées de plaques de terre cuite décorées de scènes des jâtaka (vies antérieures du Bouddha) avec tout autour, de nombreux petits temples et pagodons, ainsi que les effigies des 37 Nats (esprits ou génies bénéfiques, vénérés avant l’introduction du bouddhisme). 
– Sa majesté n’est en rien comparable au Nat Hlaung Kyaung littéralement « sanctuaire abritant les esprits »). Temple hindou consacré à Vishnu, un des plus anciens, élevé, selon les historiens, par les rois Nyaung-U Sawrahan (Taungthugyi, †964), ou Anawratha (†1077). Il aurait été construit pour des Indiens résidant en Birmanie, notamment des marchands et des brahmanes au service de la noblesse locale. Il est de plan carré et son pilier central était décoré de 4 grandes statues de Vishnu en brique recouverte de stuc. De petite taille et assez dégradé. Mais l’air qui y circule est animé de vie mystérieuse. On entend presque les lèvres qui, en un temps lointain, invoquaient la protection des dieux. Ô Esprit qui réside dans les coeurs.
– Le Lawkananda (parfois transcrit Lokananda, littéralement « joie du monde ») est un stûpa construit en 1059, durant le règne du roi Anawrahta. Il montre des influences du Sri Lanka et contient une réplique, offerte par des bonzes de cette île, d’une relique de dent du Bouddha.
Le temple Ananda. Édifié par le roi Kyanzittha en 1091, il était originellement dédié à la « sagesse infinie »  du Bouddha. De plan carré, avec quatre portails en projection, et un pilier central creusé de quatre niches abritant quatre bouddhas debout, face aux quatre points cardinaux. Éclairés par des ouvertures en hauteur, de 10 mètres, ils sont visibles dans l’enfilade des vestibules. Ce sont des copies de modèles indiens (deux sont originaux, les deux autres remontent au XVIIIe ou au XIXe siècle). Le temple abrite aussi des statues de Kyanzittha et de Shin Arahan (conseiller religieux de la dynastie depuis Anawrahta), également de style indien. Le toit est formé de six terrasses successives (pyatthat), dominées par une tour-sanctuaire de type indien (shikhara). Un stûpa très effilé, couvert d’or et d’une ombrelle, culmine à 55 mètres.
-Le mont Popa (1518 mètres). Ah ! le mont Popa avec ses 777 marches, pieds nus sous la pluie. Protégées certes de la pluie mais des marches si glissantes et des singes qui n’arrêtent pas de taquiner les visiteurs et de laisser leurs traces et odeurs sur les rampes. Refuge des 37 Grands Nats du Myanmar. De nombreux pèlerins s’y rendent pour les vénérer, particulièrement au moment de la pleine lune de Nayon (mai/juin) et de celle de Nadaw (novembre/décembre). Avant la « bouddhisation » des Nats par le roi Anawrahta, des milliers d’animaux leur étaient sacrifiés durant les cérémonies. Aujourd’hui, les superstitions birmanes proscrivent de porter du noir ou du rouge sur le Mont Popa, comme de jurer et d’y apporter de la viande, sous peine d’offenser les Nats.
À Bagan, il est difficile de concevoir l’intolérance et la violence qui ravagent actuellement la région de Rakhine et le massacre des Rohingyas. Le mode de vie, paisible, intemporel, la douceur et la gentillesse des habitants masquent la volonté d’écrasement des forces armées birmanes, officiellement connues sous le nom de Tatmadaw et de l’organisation de moines ultranationalistes et islamophobes, le mouvement Ma Ba Tha, mené par Ashin Wirathu, appelé  dorénavant « Fondation philanthropique Bouddha Dhamma ».
La culture Nat, un certain « animisme » aujourd’hui encore semble se mélanger au bouddhisme Theravada, sans heurts et sans rigidité. Nous sommes avec le menu peuple avec ses croyances, ses rituels, loin du pouvoir et de son maintien dans la violence.
 
Borobudur en Indonésie
En indonésien Candi Borobudur, le temple est une importante construction bouddhiste, bâtie aux VIIIe et IXe siècles à l’époque de la dynastie Sailendra dans le centre de l’île de Java en Indonésie. Stûpa et, vu du ciel, un mandala, il forme un carré d’environ 113 mètres de côté avec, à chaque point cardinal, une partie en saillie accompagnée aux quatre angles par une partie en retrait. Quatre galeries successives de forme géométrique sont superposées et les trois plus hautes forment une représentation de la cosmologie bouddhiste. Les galeries sont couvertes de bas-reliefs, relatant les divers épisodes de la vie du bouddha Sakyamuni. Une cinquième galerie est enterrée, également couverte de bas-reliefs représentant essentiellement les turpitudes de la vie terrestre.  La terrasse supérieure est surmontée de trois terrasses circulaires concentriques bordées de 72 stûpas. Ces stûpas consistent en des cloches de pierre ajourées logeant des bodhisattvas. Au centre de ces terrasses et au sommet de Borobudur, un autre stûpa couvre un bouddha inachevé. Sur les plaines et les montagnes autour de la plaine de Kedu, la majestueuse architecture de Borobudur renvoie à l’époque où les Sailendras étaient connus comme étant des suiveurs ardents de Bouddha alors que des inscriptions gravées dans la pierre trouvées à Sojomerto suggèrent aussi qu’ils étaient hindouistes. C’est à cette époque que de nombreux monuments hindouistes et bouddhistes ont été édifiés, dont le complexe religieux de Pranbanan, dédié au dieu Shiva.
 
Pranbanan
Pranbanan, que les Javanais appellent aussi Candi Lara Jonggrang, est un ensemble de 240 temples, le plus grand complexe hindou construit au IXe siècle sous la dynastie Sanjaya du premier royaume de Mataram à proximité de Yogyakarta. Le temple central est dédié à Durg? Mahîshâsuramardini (c’est-à-dire « combattant le démon Mahîshâsura »), épouse de Shiva. Il repose sur une structure surélevée de 34 mètres de côté contenant une statue de la déesse. À l’intérieur du temple principal, on trouve des scènes de combat entre le Bien et le Mal et des représentations de Brahma, Shiva, Vishnu, Ganesh et d’autres divinités. Pranbanan, au coucher du soleil, diffuse une énergie mystérieuse comparable au Nat Hlaung Kyaung. On ne peut rester insensible à cette beauté silencieuse et profonde, cet élan du coeur et de l’esprit qui traverse les siècles.
 
Bouddhisme, Hindouisme, Islam
Comme au Myanmar, l’Indonésie a vu coexister bouddhisme et hindouisme. Comment s’est alors opérée la diffusion de l’islam en Indonésie ? Elle s’est faite dans le cadre de réseaux marchands, mode de diffusion qui opérait déjà pour le bouddhisme et le culte à Vishnu.
Le contexte de cette diffusion est l’essor du commerce entre d’une part, les Moluques, îles des épices et la Chine (XIVe siècle) et d’autre part, l’Inde et le Moyen-Orient, ce commerce passant par le détroit de Malacca. À Java, située sur la route des Moluques, c’est aussi l’essor du commerce international qui amène des marchands musulmans à faire escale dans les ports du Pasisir. Le succès de l’islam auprès des souverains et des classes dirigeantes des cités portuaires de l’archipel est dû à plusieurs facteurs dont un nombre important de marchands étrangers liés à des confréries soufies, une notion de protection des intérêts par le contrat (une sécurité pour les marchands locaux), la promotion de la foi et la menace que représentait l’expansionnisme portugais qui a favorisé l’émergence d’une conscience commune chez les souverains musulmans.
Que nous apporte cette petite mais intense incursion parmi les pierres vivantes de Bagan, de Borobudur et de Pranbanan ? Elle nous révèle – au-delà de l’éternel souffle de l’esprit, seul et unique, qui traverse les peuples en recherche de l’étincelle divine –  les méandres que prend ce souffle. Elle permet d’entrevoir le rôle des souverains (oui, il en fut ainsi, également en Occident) dans  l’imposition de croyances religieuses, de leurs disparitions et de leurs hégémonies, l’importance du commerce et des gains immédiats dans la diffusion, le clivage entre les besoins réels de spiritualité des peuples et leur «  capture » selon le bon vouloir des puissants. Sans aucun doute, temples, stûpas, cathédrales, dans leur splendeur et leur auguste silence, sont des hymnes merveilleux au Créateur et sont éblouissants dans leur témoignage. Mais le souffle qui les anime doit avant tout embellir les coeurs par la compassion et la générosité, dans le respect le plus total des différences et le refus d’utiliser les croyances religieuses à des fins sectaires.

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