Qu’en est-il de l’échiquier politique à quelques mois des élections ?

AVINAASH MUNOHUR

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C’est la nature même de notre système électoral qui fait qu’aucun parti politique ne peut prétendre à la majorité pour gouverner sans une ou plusieurs alliances, et l’élection qui se dessine à l’horizon confirmerait encore une fois cette règle. Aurons-nous droit à deux blocs d’alliances ou à une lutte à trois, voire même peut-être quatre ? Nous ne pouvons, pour l’instant, que spéculer car les calculs sont complexes. Entre les affinités idéologiques naturelles et celles qu’il faudrait forcer, entre les coffres et les ustensiles de cuisine que traînent les uns et les autres, il est aujourd’hui difficile de trouver un équilibre permettant un consensus qui soit fédérateur aux yeux de l’électorat.

Ouroboros, symbole mythologique d’un serpent

Il est d’ailleurs très intéressant de noter qu’à peu près toutes les combinaisons d’alliances possibles et imaginables ont déjà eu lieu depuis la fin des années 1980. La logique, qui opère au cœur de notre système à plusieurs partis, est allée jusqu’au bout de ce qu’elle peut produire et nous allons maintenant recommencer depuis le début. Ceci n’a rien d’anodin et va bien au-delà de l’anecdote et du constat simpliste. Elle témoigne du fait que le paradigme, qui a commencé à émerger au début des années 1980 et qui s’est cristallisé autour de quatre grands partis politiques, se partageant le pouvoir dans de différentes combinaisons d’alliances, est arrivé à sa fin logique, et qu’il est temps qu’un autre système émerge. Notre système ressemble ainsi de plus en plus à un Ouroboros, le symbole mythologique d’un serpent se mordant et avalant sa propre queue jusqu’à se consommer entièrement lui-même.

Un système politique qui opère en circuit clos, comme un Ouroboros, a tendance à ne faire que reproduire son propre pouvoir; entrant dans le cercle vicieux de ne faire référence qu’à lui-même, ce qui est profondément dangereux pour la santé d’une démocratie. Mais une alternative à ce système n’existe pas encore à Maurice, et ce malgré quelques nouveaux partis et quelques nouveaux visages qui émergent. Nous aurons donc encore droit aux mêmes partis et à des impressions de « déjà-vu » pour les prochaines élections.

Nous nous dirigeons donc vers une élection très particulière, sa particularité tenant essentiellement à deux choses. La première est ce recommencement mentionné ci-dessus. La seconde relève du fait que ce sont les premières élections générales qui suivront celles de 2014 – élections qui avaient été à Maurice un véritable événement politique car elles avaient ouvert un champ de possibilités politiques qui restent encore à être réalisées. Décembre 2014 avait été un « Enough is enough ! » envoyé à l’ensemble de la classe politique, ni plus ni moins. Elle a certes porté l’Alliance Lepep au pouvoir, mais celle-ci est arrivée là par manque d’alternative politique crédible car 2014 avait, avant toute autre chose, été un vote sanction contre Navin Ramgoolam et contre tout ce qu’il incarnait politiquement : le népotisme, la logique dynastique, le manque flagrant de méritocratie au sein des institutions publiques, entre autres.

Quelle rupture ?

Est-ce que le mandat 2014-2019, partagé par deux Premiers ministres, a signifié une rupture avec ces pratiques ? Les Mauriciens seront les seuls juges de cela, mais nous sentons bien que les prochaines élections seront compliquées pour tous les bords politiques, risquant même de produire un taux d’abstention record. Faisons ici, un tour d’horizon rapide des deux grandes forces actuelles, à savoir le MSM et le Parti Travailliste.
Au sein du MSM, les propos récents du ministre des Affaires étrangères démissionnaire traduisent clairement un malaise que l’on devine profond. Le torchon brûle dans la cuisine et la vieille garde de SAJ semble ne vouloir faire aucun cadeau à PJ – qui sait très bien qu’il a tout intérêt à l’éjecter illico presto du tramway orange. Il est essentiel pour Pravind Jugnauth de redorer et de moderniser l’image de son parti, et d’être lui-même en rupture avec les dérives et les scandales de certains des membres de l’actuel gouvernement (nominés politiques inclus), s’il souhaite avoir une chance de remporter sa première élection en tant que Premier ministre.

Sa stratégie se révèle donc plutôt simple : victoire au Privy Council en poche, une base plutôt bien établie dans certaines circonscriptions rurales, il va maintenant s’embarquer dans une série d’événements dont l’objectif sera de produire un « feel good factor » important, et dans lequel la MBC jouerait un rôle clé auprès de la population avant de donner le coup de départ dans la course au PMO.

Ces événements, nous les connaissons déjà : un budget qui sera sans aucun doute particulièrement généreux; les Jeux des Iles de l’océan Indien qui devraient produire un certain engouement patriotique; l’ouverture de la première phase du tramway et sans doute l’annonce d’autres vastes chantiers à venir s’il est élu. Mais voilà, le climat économique actuel est particulièrement complexe et volatile, avec un taux d’endettement national que même le Fonds monétaire international (FMI) trouve préoccupant et un secteur manufacturier qui risque de produire un effet domino sur les autres secteurs. Le stade de Côte d’Or est loin d’être prêt et quatre mois semblent bien courts pour qu’il soit opérationnel. Et le Metro Express, projet phare de la « vision » du Premier ministre, fait, lui, face à une grotte qui pourrait bien devenir un gouffre qui engloutira à jamais la carrière politique de Pravind Jugnauth. Ce dernier navigue donc dans des eaux bien troubles et il devra démontrer une immense capacité de leadership afin de mener l’actuel gouvernement vers ses objectifs dans les délais requis.

Partage des pouvoirs ?

Du côté des rouges, les choses sont également loin d’être radieuses. Navin Ramgoolam est en perte de vitesse flagrante auprès de ses partisans et de sa propre base électorale. Monsieur Ramgoolam n’a même jamais été aussi contesté qu’actuellement au sein même du Parti Travailliste, qui voit bien que les Mauriciens n’ont pas oublié les scandales, les abus et les coffres. La teneur du discours du leader des rouges à Grand-Bassin reflétait d’ailleurs cette situation délicate, et l’on devine facilement une scission interne entre au moins deux tendances défendant chacune un autre leader. Mais voilà, ils savent très bien que les élections sont beaucoup trop proches pour amorcer une manœuvre contre Monsieur Ramgoolam. Il est le seul capable de garder le parti uni lors des prochaines échéances, et un départ à quelques mois des élections pourrait produire un éclatement phénoménal du parti – un peu comme ce qu’a vécu le Parti Socialiste français lors de la présidentielle de 2017. Un départ de Monsieur Ramgoolam maintenant entraînerait d’ailleurs immédiatement l’annonce des élections générales par l’actuel Premier ministre, qui n’aurait même pas à faire campagne pour être élu au PMO. Une solution acceptable et réconciliant tous les bords du Parti Travailliste et rassemblant une partie importante de l’électorat, doit donc être trouvée.

Nous avions mentionné au début de ce papier que toutes les combinaisons d’alliances possibles et imaginables avaient déjà eu lieu depuis la fin des années 1980, et que notre système politique entrait maintenant dans une phase autoréférentielle. Mais il y a une autre tendance qu’il reste à explorer et qui pourrait trouver auprès de la majorité de l’électorat un avis favorable : le partage des mandats. Il est intéressant de noter que seul Anerood Jugnauth a, pour l’instant, pratiqué cette formule – partageant le mandat de 2000-2005 avec Paul Bérenger, et partageant l’actuel mandat avec Pravind Jugnauth. Est-ce que le Parti Travailliste pourrait proposer une formule similaire avec un Navin Ramgoolam officiant comme Premier ministre durant deux ans et éventuellement un Arvin Boolell prenant la relève pour trois ans ?

Nous devons attendre pour voir comment les rouges joueront leurs cartes, mais il nous semble qu’une telle proposition pourrait bien faire mouche auprès de l’électorat. Elle impliquerait que Navin Ramgoolam guide son parti lors des prochaines élections, chose qui est essentielle pour que les rouges conservent une chance de l’emporter, mais qu’ils n’accaparent pas le pouvoir durant cinq ans – chose que les Mauriciens refuseraient catégoriquement. Arvin Boolell bénéficie, lui, d’une bonne image auprès de l’électorat. Il est perçu comme conciliant, apaisé, ouvert aux idées progressistes et au débat politique. Il a également clairement la stature d’un chef du gouvernement. Cette formule pourrait donc être un joker qui permettrait au Parti Travailliste de finaliser des alliances stratégiques et de former un bloc puissant contre lequel Pravind Jugnauth, avec ou sans alliance, aura bien du mal à faire face.

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