QUESTIONS À ERIC MANGAR (Mouvement Autosuffisance Alimentaire) : « Notre sécurité alimentaire est menacée »

Eric Mangar, manager du Mouvement Autosuffisance Alimentaire (MAA), estime que la sécurité alimentaire de la population est « menacée, car nous vivons dans la logique d’un système alimentaire mondial ». D’un  côté, dit-il encore, « nous produisons sur le plan local, mais de l’autre, l’importation est libéralisée et coûte moins cher », avec pour conséquence que « les consommateurs n’ont alors d’autre choix que de privilégier l’importation ». Selon lui, un grand travail d’éducation et de sensibilisation est nécessaire auprès de la population.
Comment évaluez-vous la situation actuelle de l’agriculture non sucrière à Maurice ?
Il y a actuellement une pénurie de légumes à Maurice. Les prix sont très élevés et les consommateurs se plaignent. Quant aux producteurs, ils parlent de problèmes liés au changement climatique qui affectent la production, qui a chuté d’environ 40% en cette période par rapport à l’année dernière. De l’autre côté, le pays importe un grand nombre de produits alimentaires, soit 66 000 tonnes de farine et autant de riz, pour satisfaire les besoins énergétiques de la population, qui est dans les 3 800 kilocalories par jour par habitant.
Nous dépendons donc énormément de l’étranger pour notre alimentation…
Oui, nous en dépendons pour nos besoins énergétiques. Heureusement que les coûts de ces deux denrées sont subventionnés. Mais nous avons un gros problème par rapport à nos besoins en protéines, que nous obtenons d’habitude de la viande, du poisson et des grains secs. Le poisson coûte encore très cher sur le marché, bien que notre pays soit entouré d’eau. Les prix des viandes augmentent. Celui du mouton importé, par exemple, a augmenté de 30%. Ce qui fait que la majorité de la population ne consomme pas de la viande de bonne qualité. Nous importons beaucoup de viandes d’Amérique du Sud, qui peuvent être des “carriers” de certaines maladies animales. Nous prenons donc un grand risque, non seulement au niveau de notre santé, mais aussi de notre élevage. Heureusement que nous pouvons consommer des grains secs, mais dans ce cas aussi, les prix ne cessent d’augmenter.
Que faut-il faire face à une telle situation ?
C’est là que la recherche doit intervenir. Le FAREI fait des recherches sur l’aubergine, c’est bien, mais ce légume n’est pas une “priority crop”. Il faut faire des recherches sur des “priority crops”, comme le soja, les gros pois, les lentilles et les haricots, qui sont des sources importantes de protéines. On s’est investi pendant deux ans dans des recherches sur l’aubergine alors qu’il y a des légumes prioritaires à promouvoir. La population consomme beaucoup de grains secs qui sont importés et leurs prix augmentent d’année en année. Jusqu’à quand pourra-t-elle payer cher ces légumes ? Cela dépendra de leur pouvoir d’achat.
Produire sur le plan local ne coûtera pas plus cher que les importations ?
Oui, mais le gouvernement doit accélérer son projet de l’agriculture bio. Sans compter qu’il faut aussi proposer des systèmes intégrés aux planteurs, comme à l’époque où il y avait des fermes avec des vaches et des moutons, mais aussi des cultures vivrières. C’est ce système d’opération qui réduira les coûts de production.
Notre sécurité alimentaire est-elle menacée ?
Définitivement, car nous importons environ 80% de notre alimentation. Puis nous vivons dans une logique de système alimentaire mondial. D’un côté, nous produisons sur le plan local, mais de l’autre, l’importation est libéralisée et elle coûte moins cher. Les consommateurs n’ont alors d’autre choix que de privilégier l’importation. Il y a là un grand travail de sensibilisation et d’éducation à faire. Il y a aussi beaucoup de contraintes sur le plan local et pas suffisamment de terres à allouer aux planteurs pour les aider à se lancer dans l’integrated farming.
Beaucoup de terres sont abandonnées…
C’est vrai. Il faut récupérer ces terres et les allouer aux producteurs potentiels et leur donner les moyens de les développer. Par exemple, si un éleveur veut élever des moutons, encore faut-il qu’il y ait du fourrage pour les nourrir. Il leur faut des terres où ils peuvent cultiver leur propre fourrage. Il faut les accompagner dans leur projet de ferme intégrée. Toujours concernant l’élevage, il y a aussi un gros problème génétique, où il n’y a pas assez de suivi. Nous sommes satisfaits avec la quinzaine de litres de lait que nous donne une vache alors qu’en Afrique du Sud, elle en donne 50 litres par jour. Si elle donne moins, on la retire du troupeau. Voilà la raison pour laquelle nous importons du lait en poudre pour une valeur de Rs 3 milliards annuellement et Rs 4 milliards pour la viande. Il y avait la possibilité de relancer la production laitière à Maurice en 2008/2009 avec l’aide des Sud-Africains. Le gouvernement d’alors avait ignoré cette démarche. Pa finn pran kont. Je l’ai déjà dit dans le passé : nous évoluons dans un système vétérinaire qui est en train de bloquer toute la question de la santé animale à Maurice. Il n’y a aucun engagement de la part de ce service pour aider dans le développement de la production laitière. On parle de la restructuration de ce service dans le budget, attendons de voir.
Ne pensez-vous pas qu’il sera toujours difficile de produire toute notre alimentation dans notre petit pays en raison de la globalisation et de la libéralisation du commerce mondial ?
Nous pouvons produire notre alimentation comme nos aînés l’ont fait dans le passé. Je pense que si chaque Mauricien pouvait produire un peu de sa propre nourriture dans sa cour, on serait très loin. Auparavant, il y avait des poules et des lapins chez la majorité de la population, et aussi des vaches et des cabris. Il n’y avait pas de grand problème d’alimentation dans le pays. Tout cela a disparu avec l’urbanisation et les règlements concernant l’environnement.
Les gens n’ont plus le temps aujourd’hui de pratiquer l’agriculture…
Nous ne nous attendons pas à ce que tout le monde s’adonne à l’agriculture, mais certains peuvent le faire. Fode pa sa vinn enn burden pou la fami. Il n’y a pas grand-chose à faire dans un petit élevage de 20 poules, rien qu’une demi-heure par jour. C’est aussi un plaisir de pouvoir produire ses propres oeufs, par exemple. Ils peuvent aussi les vendre dans leur localité. Idem pour les légumes. Les gens, surtout ceux se trouvant au bas de l’échelle, doivent pouvoir réduire leur budget alimentaire. Et pour les autres Mauriciens, je dirai que les légumes de qualité sont cultivés chez soi.
Il y a aussi la pêche…
Je constate que les Mauriciens ne consomment pas assez de poisson. Il y a trois sources majeures de protéines pour la population, dont le poulet de table, mais nous le produisons avec des matières premières importées d’Argentine. Il y a les grains secs, qui sont aussi importés. Il y a le projet Serenity, qui marche très bien, il faut encourager d’autres pêcheurs à se lancer dans la pêche semi-industrielle. Mais il n’y a que cinq bateaux qui le font actuellement. Pourtant, les poissons ne manquent pas sur les bancs. On peut y mettre 30 bateaux pour exploiter le potentiel qui existe en poissons sur les bancs. Nous avons demandé au gouvernement de mettre en place une chambre froide dans le port, où ces bateaux peuvent débarquer et stocker leurs prises, et aussi vendre aux consommateurs mauriciens.
Y a-t-il suffisamment de poissons dans nos lagons et sur nos bancs ?
Il y a définitivement suffisamment de poissons sur nos bancs que nous pouvons exploiter, mais encore faut-il pratiquer une pêche durable et responsable afin de ne pas surexploiter nos ressources. Nous voulons collaborer avec le ministère de la Pêche afin de mener ce projet de bateaux semi-industriels à bon port. Nous ne voulons pas faire du braconnage de poissons dans nos eaux.
Que proposez-vous d’autre pour une meilleure alimentation de la population ?
Il y a l’élevage de cerfs à développer. Il y a 58 chassés à Maurice sur une superficie de 25 000 hectares, dont 10 000 appartiennent à l’État. La viande de cerf est très prisée par les Mauriciens. C’est un secteur à exploiter, toujours sous le système de l’integrated farming, pour prévenir l’impact du changement climatique. On avait parlé de la création d’un Meat Advisory Board, mais on attend toujours. Cela aurait aidé dans la production laitière et celle de la viande dans le pays. Finalement, il y a l’élevage de porc qui souffre d’un problème de qualité et qu’il faut améliorer. On parlera de tout cela bientôt. 

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