Rama Sithanen : « Démystifier la perception que seule Maurice pratique le système de “global business” »

Rama Sithanen, qui a participé au lancement du secteur du Global Business en 1992, alors qu’il occupait les fonctions de ministre des Finances, ne pouvait rester insensible aux articles publiés cette semaine par l’ICIJ, et « qui sont susceptibles de porter atteinte à l’image, au “brand” et à la réputation de Maurice injustement ». Il rappelle qu’il y a au moins 64 pays qui pratiquent de telles activités en Asie, en Afrique, dans les Caraïbes, en Europe et aux États-Unis. Il souligne que Maurice est une “broadbased diversified economy” dans laquelle le Global Business ne représente que 6% du PIB.

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Rama Sithanen, pensez-vous que les Mauritius Leaks, publiés par l’ICIJ cette semaine et repris par les médias internationaux, feront du tort à Maurice ?

Ce qui m’inquiète, c’est de savoir pourquoi Maurice et pourquoi maintenant. Bien sûr, mardi, tous les journaux du monde, que ce soit en France, en Angleterre, aux États-Unis, en Inde, ont rapporté la publication des Mauritius Leaks. Cela a fait un tort considérable à notre image, notre “brand” et notre réputation très injustement. J’ai entendu beaucoup de théories depuis hier. Je ne sais si c’est du harcèlement, de la mauvaise foi, de la jalousie ou s’il y a un agenda caché. Ce dont je suis certain, c’est que beaucoup de ces allégations sont frivoles et montrent une méconnaissance terrible du “global business”. Il y a beaucoup de non-vérités dans ce qu’a révélé l’ICIJ bien qu’il nous faille porter une attention sur certains points avancés.

Les accusations portées contre nous sont-elles justifiées ?

Le rapport comprend un avertissement pour faire ressortir que toutes les activités critiquées, entreprises par toutes les sociétés citées, sont légitimes. Il rappelle également qu’il n’y a aucune infraction aux lois et aux règlements, ni à Maurice ni ailleurs. Donc la question qui se pose est où est le problème. Tout le monde sait que les journalistes de l’ICIJ sont contre le système du “global business” comme beaucoup d’autres personnes. Ils ont fait cinq accusations frivoles qui peuvent être réfutées.

D’abord, l’organisation considère que le système mauricien encourage les institutions internationales, les compagnies internationales et les riches à éviter de payer les impôts en raison de notre fiscalité légère et des accords de non double imposition.

Deuxièmement, l’ICIJ joue sur la fibre émotionnelle des personnes en affirmant que le système mauricien permet une érosion de la base fiscale des pays pauvres en Afrique.

Troisièmement, l’organisation considère qu’il n’y a pas de substance dans notre juridiction, qu’il n’y a ni bureau ni employés.

Quatrièmement, on considère qu’il n’y a pas de transparence, et finalement que le système encourage le blanchiment d’argent. La première grande méconnaissance et inexactitude est que les activités qui se déroulent à Maurice sont connues comme les investissements transfrontaliers. Il y a, au moins, 64 pays dans le monde qui pratiquent de telles activités. En Asie, il y a Singapour, Hong Kong, Dubaï, Labuan. En Europe, il y a des grands pays comme le Luxembourg, l’Irlande, les Pays-Bas et des petits comme Jersey, Guernesey, l’île de Mans, Monaco, Liechtenstein, Gibraltar, Chypre, Malte. Dans les Caraïbes, presque tous les pays les pratiquent. Il y a les British Virgin Islands, les îles Caïman, Bahamas, Bermuda, Barbados et toutes les petites îles. En Afrique, il y a Maurice, les Seychelles, Casablanca au Maroc, l’Afrique du Sud.

Les plus grands paradis fiscaux dans le monde se trouvent aux États- Unis, notamment au Delaware, au Nevada, en Dakota du Sud. Il y a des pays qui sont déjà très avancés comme le Luxembourg, la Hollande, Singapour, Hong Kong et Dubaï. Tous ces pays sont nos compétiteurs en vue d’obtenir des investissements transfrontaliers. Beaucoup ont une fiscalité à zéro.

Mais tous les Global Business Centers sont-ils comparables ?

Il y a trois types de centres financiers. Il y a des pays où il n’y a aucune taxe comme les British Virgin Island, les îles Caïman, Jersey. Casablanca offre un “tax holiday” pendant cinq ans. À Singapour, il n’y a aucune taxe sur des revenus en provenance de l’extérieur du pays. C’est le cas pour Labuan et Hong Kong. À Maurice, nous pratiquons une exemption partielle de 80% sur la taxe de 15% sur les compagnies. Ce qui fait 3%. Ce qui est plus élevé que zéro. Or, nous ne tombons pas dans la catégorie de “zero tax jurisdiction”. Nous sommes une “low tax jurisdiction”.

Si nous avions des taxes trop élevées, personne n’aurait cherché à traiter avec nous. Le Botswana n’est pas compétitif. Beaucoup de ces pays n’ont pas de traités alors que Maurice en a plus de 40. Mauritius is a competitive tax jurisdiction and a treaty jurisdiction. Les traités comprennent des clauses concernant les échanges d’informations afin d’empêcher les abus. Or, les pays cités plus hauts ne disposent d’aucun traité. Maurice est une “broadbased diversified economy”. Le “global business” ne représente que 6% de notre PIB. Voilà les différences qui distinguent Maurice de beaucoup d’autres centres financiers.« Nous ne tombons pas dans la catégorie de “zero tax jurisdiction”.

« Nous sommes une “low tax jurisdiction”. Si nous avions des taxes trop élevées, personne n’aurait cherché à traiter avec nous. Le Botswana n’est pas compétitif. Beaucoup de ces pays n’ont pas de traités alors que Maurice en a plus de 40. »

On suppose qu’il y a une compétition entre les différents centres…

Il faut savoir que la compétition dans ce domaine d’activité est très féroce. Il y a très peu de pays ou d’institutions internationales dans le monde qui investissent directement dans un pays.

Prenons l’exemple de la Bourse la plus importante dans le monde, le NYSE. Plus de 80% des cent premières sociétés listées à cette Bourse qui investissent à l’étranger n’investissent pas directement. Une société américaine qui veut investir au Brésil va devoir investir dans une juridiction intermédiaire qui agit comme une “pooling location”. Imaginez que quelqu’un veuille investir au Soudan ou au Zimbabwe.

Il choisira une juridiction qui est sûre et fiable, connue pour son “ease of doing business” et qui soit capable de protéger ses avoirs et ses investissements où l’état de droit est appliqué. S’il faut quitter le pays qui connaît un problème, il n’aura qu’à vendre ses actions. Maurice dispose également des traités qui protègent l’investissement IPPA. Cela joue un rôle important dans notre écosystème.

Vous avez participé au développement du Global Business Sector à Maurice. Quels sont ses points forts ?

On a commencé ce projet en 1992. Il faut avoir un écosystème approprié. La taxe n’est qu’une composante de cela. Notre cadre juridique et de surveillance doit être solide et crédible. Il faut avoir une structure bancaire et des personnes qualifiées pour soutenir ces activités. Il faut que les investisseurs aient confiance dans la “rule of law”.

C’est une raison pour laquelle nous avons gardé le Privy Council comme cour d’appel. Nous sommes bilingues et pouvons travailler en anglais et en français. Nous faisons partie des communautés régionales. La taxe est importante, mais elle n’est pas la seule composante. Comment bien expliquer que dans certains pays où la taxe est zéro il n’y a pas d’investisseur ?

Notre objectif a toujours été d’améliorer notre écosystème et d’aiguiser notre compétitivité au fil des ans. La compétition parmi les 64 centres financiers pour attirer les investissements est féroce. Pour les investissements en Afrique, nous sommes en compétition avec le Luxembourg, Londres, la Hollande, Casablanca, Dubaï, Singapour, l’Afrique du Sud.

Certains pays n’ont pas encore réussi à le faire. C’est le cas du Kenya qui essaie depuis dix ans. Le Ghana aussi. C’est maintenant que l’Inde développe le Gujrat international financial centre. La Chine a aussi essayé mais arrive difficilement à concurrencer Hong Kong bien que cette île fasse partie de la Chine. Il nous faut démystifier le fait que seul Maurice pratique le système de “global business”. Nous vivons dans un monde où nous avons travaillé très dur pour attirer les affaires. Nous le faisons dans le secteur touristique, les TICS, pour le sucre, etc.

Que représente le secteur du Global Business pour Maurice ?

L’histoire économique de Maurice, indépendamment des partis au pouvoir, repose sur la diversification et la transformation économique. Nous avons commencé par le sucre. Ensuite, il y a eu le tourisme, suivi du textile et du “domestic oriented industries”. Lorsque je suis devenu ministre en 1991, j’ai réalisé qu’il fallait diversifier davantage l’économie. On avait alors travaillé sur le “global business”, les lCT BPO et le port franc. Les deux premiers ont donné des résultats que l’on sait.

Aujourd’hui, ils sont considérés comme parmi les piliers de l’économie mauricienne. Le port franc est un peu plus compliqué. Nous avons jeté les bases pour pouvoir transformer notre économie. Le secteur financier constitue 12% du PIB dont 6% constitués du “global business”. Ce secteur emploie directement 3% de la main-d’oeuvre mauricienne. Il comprend les “management companies”, les banques offshore, les comptables et les avocats qui travaillent pour les compagnies offshore. Ce qui représente quelque 15 000 personnes. Indirectement, il y a encore 4 à 5%.

Sans compter que les compagnies doivent louer des locaux et acheter des services. Les employés doivent également dépenser dans le pays. Il faut également tenir compte des effets catalytiques car les opérateurs qui viennent à Maurice voyagent en classe affaire, résident dans les hôtels 5 étoiles et voyagent en taxi. Tout cela a un effet sur la croissance économique, sur l’emploi et les revenus fiscaux. 40% de taxes sur les compagnies proviennent du “global business”.

Les gens qui travaillent dans le “global business” paient les impôts et la TVA. Le plus important est que ce secteur soutient notre balance des paiements massivement. Sans le “global business”, notre balance des paiements aurait été déficitaire très largement. Nous avons un déficit dans notre balance commerciale, un déficit dans notre balance de compte courant et c’est l’argent du “global business” qui compense ces deux déficits.

Sans cet apport considérable, notre balance des paiements aurait été déficitaire. C’est cela également qui nous protège contre une dépréciation de la roupie. Sans le “global business”, le dollar aurait peut-être été à Rs 50. Il ne faut pas oublier que le “global business sector” emploie tous ces jeunes qui quittent l’université et qui sont bien rémunérés.

« Ce secteur soutient notre balance des paiements massivement. Sans le “global business”, notre balance des paiements aurait été déficitaire très largement. Nous avons un déficit dans notre balance commerciale, un déficit dans notre balance de compte courant, et c’est l’argent du Global Business qui compense ces deux déficits. »

Pourtant, l’ICIJ nous accuse de procéder à l’érosion de la base fiscale des pays pauvres…

Le modèle de traité de non double imposition dont nous disposons est le modèle de l’OCDE. C’est le modèle utilisé par presque tous les pays de l’Union européenne et par beaucoup de pays dans le monde. Maurice n’a pas inventé un modèle de traité de non double imposition. C’est le modèle que nous utilisons pour les pays africains.

Un traité de non double imposition est une allocation des droits de taxation entre deux pays souverains et est sujet à des négociations. Si une des parties pense qu’avec le temps, la distribution des droits de taxation ne reflète pas la réalité économique, elle resa le droit de demander une renégociation. Il appartient aux deux pays souverains d’“update” l’allocation de ces droits afin de trouver un juste milieu. Beaucoup de pays africains ont exactement le même traité avec d’autres pays, que ce soit avec le Qatar, le Luxembourg, les anciens pays colonisateurs. Le traité entre l’Inde et Maurice existait dans treize pays.

Quid des substances ?

Les “management companies” et les régulateurs doivent être plus vigilants. De là à venir dire que nous sommes des “shell compagnies” est totalement faux. Nous avons des bureaux, des employés, nous générons de la richesse. Cela suffit-il ? C’est un autre débat. On ne peut pas venir dire que ce sont des “shell companies”. La pression exercée sur nous par l’OCDE et l’Union européenne a changé les conditions de substance.

Aujourd’hui, il y a trois critères importants qui concernent la gouvernance, la substance, l’activité principale de la société enregistrée à Maurice qui doit être effectuée à partir du pays. Nous avions déjà passé le test de l’OCDE et maintenant l’Union européenne a introduit des conditions encore plus contraignantes. Nous avons passé sur certains points et sur d’autres nous sommes en négociation avec l’Union européenne afin de trouver un accord sur leur définition de “substance”. T

outes les discriminations dans notre système fiscal entre une compagnie opérant dans le centre offshore et une compagnie locale ont été enlevées. S’agissant de l’absence de transparence, les accusations de l’ICIJ sont extrêmement fausses puisque l’OCDE et l’Union européenne ont reconnu qu’il n’y avait aucun problème concernant les échanges d’information et que Maurice est pleinement conforme en termes de transparence et de divulgation d’informations. Nous n’avons jamais refusé de donner des informations concernant l’“ultimate owner”. Nous sommes également conformes aux AML CFT. L’OCDE et l’Union européenne l’ont reconnu ainsi que la Financial Action Task Force. Nous disposons donc d’un système qui est pratiqué partout dans le monde. Maurice doit maintenant plaider en faveur d’un “level playing field”. On ne peut avoir des règles appliquées que pour Maurice. Il faut qu’elles s’appliquent aux autres pays.

Quelle est la motivation, selon vous, des journalistes de l’ICIJ ?

Les journalistes de l’ICIJ font leur travail. Il y a eu les Swiss Leaks, Luxembourg Leaks, Panama Papers et Paradise Papers. Maintenant, nous avons les Mauritius leaks. Je ne doute pas de leur bonne foi. Ils font leur travail. Toutefois, il faut répondre aux fausses accusations. Par contre, ce que Maurice doit faire, c’est d’assurer la population que les autorités agissent légalement, légitimement, et que les accusations faites contre nous sont fausses. Le “global business” est différent du tourisme et du secteur manufacturier.

Que faudrait-il faire ?

Il nous faudra convaincre nos amis africains. L’avenir, c’est l’Afrique. L’Inde reste importante. Il faut convaincre les décideurs africains que ce que nous faisons est un système gagnant-gagnant.

Il faudrait peut-être revoir le partage des droits de taxation avec nos partenaires africains et le placer dans un cadre de partenariat économique beaucoup plus large. Nous le faisons déjà à travers les “special economic zones”. Il faudra que les pays africains voient qu’ils ne sont pas perdants. Je suis d’avis que les droits de taxation de toutes les ressources sous la terre et sous la mer doivent être appliqués dans le pays où se trouvent ces ressources. Par contre, pour les structures créées par les étrangers comme les “special economic zones” et les hôtels qui n’existaient pas auparavant, le droit de taxation doit être différent.

Il faut être honnête : la situation a changé, le contexte a changé. Je ne crois pas que Maurice puisse continuer à jouer uniquement sur les arbitrages fiscaux. Il nous faudra tenir compte des facteurs comme le “ease of doing business”, le “cost of doing business”, les cadres légaux et régulateurs, le système de protection des contrats, l’amélioration de nos infrastructures et de nos ressources humaines.

Il nous faut monter en gamme de manière à avoir plus de substance et plus de valeur ajoutée. Ce sera bon pour nous et pour les jeunes. Je pense à Fintech, à la “blockchain”, à la “green finance”, aux “commodity exchanges”. Nous deviendrons un centre financier où il y aura plus de valeurs ajoutées et plus de substances. Et les critiques formulées contre nous tomberont d’elles-mêmes. Il faudra à tout prix améliorer notre “branding” et notre communication.

Ce que l’ICIJ nous reproche aujourd’hui, l’Inde l’a dit depuis longtemps. Il faut donc améliorer notre “brand”, notre image, notre réputation comme centre financier robuste pour ce qui est du cadre légal, de la transparence et où il y a de la substance et des échanges d’information. Il faut faire cela d’une manière durable et pérenne. Il nous faut finalement convaincre les clients que ce que nous faisons n’est pas différent de ce qui se pratique ailleurs.

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