Raoul Gufflet (MCB) : « La population a besoin d’un bien-être social, économique et environnemental »

– “Interchange fees” de Mastercard et Visa : « Réfléchir aux limites de l’ingérence dans l’activité économique du pays »

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Raoul Gufflet, économiste et Deputy Chief Executive de la MCB Ltd, évoque – avec la franchise qu’on lui connaît – plusieurs sujets d’actualité, comme la baisse du taux directeur et la décision de la Commission sur la concurrence de demander à Visa et Mastercard de baisser leurs “interchange fees”. Il aborde aussi l’éventualité d’une récession économique mondiale.

En ligne avec votre projet “Lokal is beautiful”, vous venez de proposer des solutions de financement innovantes basées sur les critères ESG (Environnement/Social/Gouvernance). C’est un réel parti pris que de choisir de financer uniquement des entreprises vertueuses. C’est aussi quelque part forcer les entrepreneurs à aller vers ce type de projet, n’est-ce pas ?
C’est une vraie décision d’aller chercher la croissance économique, pas seulement auprès des grands groupes multinationaux qui ont fait le développement de Maurice, mais chez les petits entrepreneurs qui semblent avoir eu peur du crédit pendant longtemps. Il y a une vraie économie locale qui va se développer dans le droit fil de notre rapport “Lokal is beautiful” et nous comptons créer de la vélocité. Aussi, toute importation peut générer de la vélocité et de l’activité économique, avec tous les effets multiplicateurs requis. Ces entrepreneurs locaux que nous ciblons vont d’abord vendre leurs produits localement et si ces produits sont appréciés, ils pourront être exportés. Nous disons donc aux entrepreneurs de ne pas avoir peur et de croire dans leur projet, et nous nous allons les accompagner pour faire en sorte que leur entreprise soit un succès.
Notre message aux entrepreneurs avec ce nouveau plan, c’est qu’ils doivent croire en leurs capacités. En étant bien accompagnés et avec des projets intelligents et viables, il n’y a pas de raison que leurs projets soient rejetés. Ils doivent se rendre compte qu’ils sont les vrais acteurs du développement économique du pays.

Comment les différents acteurs ont réagi suivant la publication du rapport “Lokal is beautiful”, notamment le gouvernement, qui n’était pas présent lors du lancement ? Y a-t-il eu des consultations par la suite ?
Je n’ai pas le sentiment qu’il y a eu beaucoup d’échanges entre le gouvernement et nous sur “Lokal is beautiful”, mais c’est ainsi, il faut l’accepter. Je crois que s’ils avaient eu le moindre ressenti ou ressentiment, il y aurait eu des initiatives contraires… Donc je pense que le silence est aussi une forme d’acceptation que notre initiative n’était pas si mauvaise que ça. Quoi qu’il en soit, le rapport a reçu un accueil très positif et l’engouement est là. Le rapport a été vu plus de 50 000 fois et téléchargé plus de 30 000 fois. Nous avions sollicité le cabinet Utopies pour l’élaboration de ce rapport pour avoir des pistes de développement économique, valoriser l’entrepreneuriat local et voir quelles voies suivre pour assurer un développement durable. Les PME représentent un axe majeur du développement économique du pays. Il faut pouvoir capitaliser sur leur savoir-faire tout en respectant l’environnement.

Nous assistons depuis deux ans à l’émergence d’autres sources de financement pour les PME, dont le “crowdfunding” et la “blockchain”. Représentent-elles une nouvelle concurrence pour les banques ?
Non, je ne le vois pas ainsi. Tout ce qui se fait, par exemple, au niveau du “crowdfunding” est fantastique et il faut aussi le promouvoir. Ce sont des financements alternatifs mais qui sont un peu hors du radar parce qu’ils n’entrent pas dans le circuit traditionnel. Ce n’est pas de la concurrence pour nous parce que les tickets et les montants de financement sont relativement faibles. En fait, nous nous concurrençons nous-même avec MCB Microfinance. Nous touchons aussi des micro-entreprises qui n’ont pas forcément accès au financement. Donc, je parlerais plus de création d’un écosystème vertueux avec différents spectres de besoins qui sont servis par différentes équipes.

Vous avez encore baissé votre “savings rate” à 1,75%. La baisse du taux directeur fait chuter le taux d’épargne et encourage l’endettement de la population. Est-ce vraiment une bonne chose pour notre économie ?
Écoutez, les taux d’intérêt baissent partout dans le monde. Le premier qui a donné le signal de ralentissement de l’économie internationale, c’est la Federal Reserve aux États-Unis il y a environ un mois et il y a des spéculations encore sur une autre baisse des taux par la Fed. Il y a des avis divergents sur la croissance. À mon avis, une baisse de 15 points de base du taux directeur n’a pas vraiment d’impact, si ce n’est pour l’épargnant. Mais notre rôle à nous, c’est de nous ajuster sur une décision de politique monétaire. Donc nous avons réajusté le PLR (prime lending rate) et le “savings rate”. Nous aurions pu éventuellement nous demander s’il faut baisser le taux de “savings” moins que le taux à l’emprunt – nous l’avions déjà fait une fois. Parallèlement, c’est vrai qu’il y a un sentiment d’excédent de consommation et de pousser l’économie à la croissance, mais c’est parce que nous voulons sortir du “middle income trap”. Il y a aujourd’hui une génération de personnes qui gagnent mieux leur vie et qui ont envie de consommer. Il y a aussi une plus grande exposition internationale aux nouvelles marques et nouveaux modes de consommation, notamment à travers les réseaux sociaux et Maurice ne peut y échapper. Ce que l’on peut dire, c’est qu’il faut consommer mieux, consommer plus « durable » et consommer « local ». C’est ça l’enjeu.

Sommes-nous au bord d’une récession économique mondiale avec le prix de l’or – valeur refuge – qui grimpe ?
Je ne saurais vous répondre de façon précise, mais il y a un vrai ralentissement de l’économie mondiale sur lequel il va falloir que nos dirigeants se posent les vraies questions afin de savoir quels sont les fondamentaux économiques sur lesquels il faut que l’on se positionne pour assurer le bien-être de la population. Je crois que notre population aujourd’hui n’a pas forcément uniquement besoin d’un bien-être politique, elle a besoin aussi d’un bien-être social, économique et environnemental. Ce sont là les vraies questions auxquelles les nouvelles générations surtout sont les plus sensibles. Elles veulent d’une île Maurice pérenne, durable, stable, sans drogue, avec un environnement non pollué, une bonne gestion des déchets et un cadre de vie agréable. Ce sont les vrais enjeux de l’heure. S’il y a un ralentissement de l’économie, on consommera un peu moins ; mais il y a peut-être des alternatives pour faire en sorte que les gens soient tout aussi heureux malgré le fait que la consommation diminue. Ce sont des phénomènes cycliques. Il y a toujours eu des hauts et des bas.

Il y a une décision de la Commission sur la concurrence sur les cartes de crédit. Les prestataires imposaient des “interchange fees” jugés élevés et ont été sommés de les réduire. Quel impact cela aura pour les banques et les consommateurs ?
Peut-on « sommer », comme vous dites, Visa et Mastercard de baisser leurs frais ? Je ne me permettrai pas de répondre. Ils ont eu leurs réactions. À notre niveau, nous comptons entamer des discussions avec eux pour voir quel est l’impact sur notre activité. Je pense que le sentiment d’égalité sociale dicte qu’éventuellement ces “interchange fees” ont pu être considérés comme étant élevés. Après dans l’exécution, dans la façon de faire, je me permettrai de garder une réserve sur mon jugement. Mais à un moment donné, il faut aussi réfléchir aux limites de l’ingérence dans l’activité économique d’un pays. Nous, en tant que banque, nous aurons des discussions avec Mastercard et Visa sur l’impact que cela aura sur nos opérations bien sûr.

Ces frais étaient-ils réellement élevés ?
Je pense qu’il faut juger la pertinence des frais par rapport à la qualité du service. Aujourd’hui, ces frais sont standards et internationalement reconnus et sont les mêmes partout dans le monde. Il n’y a pas de frais selon la tête du client ou du pays. C’est une question d’accès aux moyens de paiement et à une internationalisation de nos moyens de paiement.

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