« Recensement ethnique » – De la « Boîte de Pandore » à la « camisole de force » : Au-delà du vocabulaire…

ETIENNE G. MARCEL

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Cette contribution tente de mettre à plat les images utilisées depuis le début des débats sur le recensement ethnique. D’abord, il faut signaler qu’une image est toujours une manière de parler. De ce fait, elle est toujours incomplète. Son utilité est d’illustrer un propos. Mais comment en interroger le contenu ?

Boîte de Pandore

C’est un des termes les plus utilisés dans l’actualité. La « boîte » est d’abord visible par tous mais son contenu est secret. Contenu que l’on croit terriblement dangereux. Parce qu’on pense que l’ouvrir serait dévastateur, il faut tout employer pour maintenir le couvercle le plus longtemps possible.

À l’échelle d’une société, la « Boîte » renvoie implicitement à la notion de sécurité : suivant un principe de sagesse, il vaut mieux sauver les apparences que de regarder le fond des choses. En cela, elle est la cousine de la « ligne rouge » : il faut un statu quo afin de se préserver de quelque chose que l’on ne pourra pas maîtriser. Reste à savoir maintenant si cette « Boîte » n’est pas de la même famille que « L’épée de Damoclès », ou parlerait-on plus aisément de « bombe à retardement » ?

« Gangrène » et autre métaphore médicale 

Le risque de « gangrène » s’apparente à un risque d’infection qui nécessite l’amputation d’un membre en vue de sauver un corps. Habituellement, « éviter la gangrène » suppose un effort médical : on fait tout ce qui est possible pour empêcher la propagation d’une bactérie. Dans ce sens, il devient nécessaire de regarder le problème par le bon bout et de poser un diagnostic. Bien sûr, il est toujours possible de se tromper sur les diagnostics qui, souvent, sont posés dans l’urgence. Parfois, la nécessité d’une opération est sans appel. Parfois, elle est discutable.

L’exemple de la biopsie est parlant : « ouvrir », dans quelques cas, c’est « condamner » le patient. Or, à l’échelle d’une société, ce principe d’urgence devient intéressant. D’où ces questions :

La santé du tissu social se détériore-t-elle ? À quoi le reconnaître : chiffres ou pas, recensement ou pas, études ou pas ? Quel timing ? Faut-il gagner du temps ? Faut-il agir vite ? Quelle responsabilité engager ? Faut-il « ouvrir », c’est-à-dire, regarder le problème de plus près ? Ou faut-il procéder par radiographie : se contenter d’une visibilité réduite mais qui préserve au mieux un état jugé satisfaisant ?

Le consensus du « kyste »

La « Boîte de Pandore » et la métaphore médicale ne sont pas du même ordre. La première engage une logique du « contenir » et assume une forme de « non-savoir ». La seconde évalue les risques de diagnostic et réfléchit à une opération.

Cependant, le bien commun est au cœur de ces deux manières de voir. Et les deux partagent la même intuition : il y a un « kyste ». Mais là où la « Boîte de Pandore » induit une « malignité », le médecin jouit d’un certain optimisme. Serait-ce naïf ?

Le nouveau venu : la « camisole de force »

Dans une interview publiée récemment dans un quotidien, l’anthropologue Thomas Hylland Eriksen affirme : « Il y a également assez de mariages mixtes à Maurice pour que la notion d’ethnicité soit une camisole de force. »

La « camisole de force » est empruntée au domaine de la psychiatrie. Il s’agit d’un instrument de contention qui vise à protéger le patient de lui-même. Aujourd’hui, considérée comme étant archaïque, la camisole est devenue chimique, c’est-à-dire qu’un médicament est administré pour réprimer les pulsions autodestructives. Malheureusement ce type de traitement, invasif, exclut le patient du monde qui l’entoure.

C’est en ce sens que l’on peut comprendre l’ethnicité à la fois comme un réflexe de survie et une violente fermeture au monde.

Le « traitement » de la démocratie

M.Eriksen dit vrai. L’horizon du Mauricianisme doit pointer vers une manière de vivre paisiblement nos identités multiples. Pour cela, la société doit chercher un traitement alternatif à l’ethnicité-camisole.

Car oui, le repli identitaire cherche à traiter quelque chose ! Il s’agit d’un mauvais traitement, certes, mais un traitement quand même, c’est-à-dire, quelque chose qu’il ne faut pas confondre avec la cause de la maladie. D’où la question : placer l’« ethnicité » comme racine de tous les maux, n’est-ce pas trop simple ?

En bref, nous sommes face à une pathologie – une complexité ! – que nous avons du mal à aborder. Nous n’y voyons pas clair. Mais il faudra quand même tenter une analyse de l’histoire du « traitement » que notre démocratie a proposé ces 50 dernières années. Qu’a-t-elle essayé de faire ? Quels sont les accents qu’elle s’est choisis ?

Représentativité : comment

faire passer la pilule ?

Le BLS, bien qu’étant devenu le symbole du « communalisme », dit quelque chose de pertinent sur la manière dont nous envisageons notre démocratie : l’option prise en faveur de la représentativité.

La représentativité est d’abord le fruit d’un processus long, et elle colore le sens que nous donnons aux mots « République » ou « Citoyen ». Ce qui lui importe est ce souci d’équilibre entre « communautés » de personnes qui se définissent – elles-mêmes ! – selon des appartenances particulières.

Ainsi, là où d’autres Républiques mettront l’accent sur une « méritocratie » à la first past the post – que le meilleur gagne ! – la nôtre préférera la notion d’« égalité des chances ». Ce qui suppose une vigilance : permettre aux plus petits de participer à la course.

Or, voici peut-être ce que le modèle de la représentativité essaie de nous dire depuis cinquante ans :

« Si l’on identifie une typologie de l’échec dans le tissu social, il incombe à cette République de déployer les ressources nécessaires pour qu’un jour la pure méritocratie soit possible. »

Sommes-nous à l’écoute de cela ?

Or, s’il est souhaitable à une société qu’elle se cherche de nouveaux outils, il lui reste toutefois à évaluer avec intelligence s’il lui faut, oui ou non, se débarrasser de l’outil actuel.

Mais, il ne faut pas exclure que le tort vienne des ouvriers eux-mêmes, ou des apprentis médecins. Avons-nous bien su appliquer les principes de notre culture démocratique ? Avons-nous vraiment essayé de la prendre en main ?

Le choix des mots

Il serait trop long de passer la notion de représentativité sur le gril. Mais il importe de faire droit à la complexité des outils dont nous avons hérités. Pour ce faire, les images parlent, et chacune est éloquente à sa manière.

La métaphore médicale saura faire place au dialogue. Elle tentera de trouver un chemin pour rendre plus confortable le quotidien du patient. Elle demande du courage. Elle comprend des risques. Elle est courageuse.

L’image de la « Boîte de Pandore » est plus négative. Sa logique est purement palliative. Surtout, à force d’évoquer la notion de « sécurité », ne finit-on pas par créer que de l’« insécurité » ?

Mais ne jetons pas la « boîte » avec l’eau du bain ! Les tenants de cette politique lancent un avertissement précieux : il y a bien une ligne à ne pas franchir ! Attention à l’acharnement médical ! Et abandonnons l’idée qu’une transparence totale est souhaitable !

Une étude de terrain pourrait bien sûr s’avérer utile pour augmenter la visibilité du médecin : examiner une situation, cibler les priorités, corriger les protocoles, ou changer drastiquement de « traitement »… Mais il ne s’agira jamais d’une panacée. Il n’y a pas de baguette magique. On ne pourra jamais tout dire. On n’aura jamais toutes les assurances.

Mais, tout au moins, nous pourrions préférer l’optimisme scientifique à l’angoisse sécuritaire. Alors, au lieu d’un conservatisme idéologique, nous pourrions transmettre une prudence sereine.

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