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Réfléxion : Quand la société sème les germes de l’intolérance

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Réfléxion : Quand la société sème les germes de l’intolérance
Modèle de cohabitation, Maurice est toujours gangrenée par une manière de faire qui cultive l’intolérance

Au sein de la “nation arc-en-ciel”, les intolérants ont encore de beaux jours devant eux. Dans certains cercles, la non-acceptation de l’autre à cause de ses différences est insidieusement inculquée aux jeunes. D’où les aversions exprimées vis-à-vis des compatriotes à cause de leur appartenance ethnique, religieuse, culturelle ou leur orientation sexuelle. Le mal est bien plus ancré qu’on ne le croit. Anushka Virahsawmy, directrice de Gender Links, Damien Fabre, neuropsychologue, Ravi Jetshan, designer, et Jonathan Ravat, travailleur social et militant interreligieux, nous en parlent.

“Ce qui me fait souffrir en tant que Mauricienne, c’est cette hypocrisie. L’hypocrisie c’est : mo get pou mwa, apre sa to ava get pou twa, ou montrer du doigt les autres sans savoir. Je ne veux pas généraliser mais beaucoup de Mauriciens réfléchissent de manière étroite. Cela devient compliqué d’avoir des discussions”, dit Anushka Virahsawmy, directrice de Gender Links. Pendant longtemps, certains ont cultivé l’hypocrisie et s’en servent comme couverture.

La société en elle-même crée l’intolérance. Ce sentiment a toujours existé, mais de nombreux Mauriciens l’ont toujours caché. Elle vient le plus souvent de la méconnaissance de l’autre. Un refus à supporter les hommes ou les choses. “Il est vrai que plus la société prône un concept de liberté et de libre arbitre comme ADN de sa population, plus les comportements intolérants se développent et mettent à mal cette conception humaniste de la société. L’homme a besoin de s’identifier à un groupe et donc à des valeurs qui le caractérisent”, explique Damien Fabre, neuropsychologue.
Ce dernier affirme qu’à notre époque et dès leur plus jeune âge, les êtres humains sont confrontés à de multiples représentations de ce que doit être la norme, en termes de beauté, de nourriture, de comportement et d’orientation sexuelle, avec pour résultat que cela conditionne les personnes à un mode de pensée unique. La personne considérée comme différente dérange car elle ne correspond pas à ce qui est acceptable. “La peur de l’autre peut-être, l’ignorance certainement, une atteinte à la liberté d’autrui sont les mécanismes qui peuvent conduire à l’intolérance”, analyse Ravi Jetshan, designer.

Repli sur soi.

Appartenir à une autre religion, être homosexuel, avoir un penchant pour la lecture, aimer tel ou tel sport : tous les moyens sont bons pour catégoriser. Une simple phrase dite de travers n’échappe pas au regard de la société.

Aux dires de Jonathan Ravat, travailleur social, militant interreligieux et chef des études sociales à l’Institut Cardinal Jean Margéot, chaque individu se retrouve dans une diversité à tous les niveaux : religieux, linguistique, la culture, la couleur de la peau, l’orientation sexuelle, entre autres. Le fait que chacun se cantonne à ce qu’il fréquente peut finir par engendrer un égoïsme de groupe et par un repli sur soi. “On vit selon une certaine routine, un certain schéma, une certaine culture. Mais à force de rentrer dans ce comfort zone, il peut y avoir un processus de repli sur soi. L’autre devient celui que je ne connais pas, celui qui me menace, celui que je ne veux pas connaître. L’autre peut aisément passer pour l’ennemi, l’adversaire.” À cause de l’ignorance ou de la méfiance, les gens sont amenés à créer des différences et à se nourrir de ces différences. “On finit par transporter les clivages de génération en génération. Par exemple, on va se dire que le Blanc est riche. De la même manière qu’on dira que le Noir est pauvre. On cultive des a priori et des préjugés qui finissent par avoir un impact sur le psychisme individuel et collectif des Mauriciens.”

La possibilité de vivre mieux.

“Ce n’est que quand on est à l’étranger qu’on est Mauricien. Il faut arrêter avec mo bann, so bann. Aujourd’hui, nous sommes tous ensemble et il faut continuer à entretenir cette harmonie. S’il n’y a plus d’harmonie, inn beze pou nou kont”, confie Anushka Virahsawmy. Elle souligne que la mentalité de certains ne peut pas se refaire en quelques jours. Il faudrait des groupements de gens qui veulent apporter des messages positifs pour mieux faire comprendre les choses. Quant à Ravi Jetshan et Jonathan Ravat, ils sont persuadés qu’il faut investir dans l’éducation. Pour ce dernier, l’interculturalité est un pilier qui va propulser le vivre-ensemble à un niveau supérieur. “Nous vivons bien, mais nous avons aussi la possibilité de vivre mieux.”

“C’est seulement par l’accès à la connaissance de l’autre dans toute sa diversité que les peurs et les jugements pourront s’estomper et que chacun prendra conscience que la diversité est nécessaire à l’évolution d’une société. Nous sommes tous différents, et cela dès notre naissance et quelle que soit la manière dont s’exprime cette différence. C’est par le dialogue et la communication que cette dernière, au lieu d’être un élément qui divise, pourra être le point de départ d’une société plus riche et plus tolérante”, résume Damien Fabre.