Réflexions et plaidoyers sur la valeur littéraire des textes de Kaya

La Creole Speaking Union (CSU) a célébré la Journée internationale de la langue maternelle ce 21 février en mettant l’emphase sur les écrits de Kaya. Joseph Reginald Topize, dit Kaya, écrivait en effet tout le temps, comme en ont encore témoigné des proches présents lors d’une table ronde à la municipalité de Port-Louis en milieu de journée, après les premiers concerts hommage au chanteur. Et si l’on sait que les textes de ses chansons ont une véritable valeur poétique, encore faut-il la définir et se pencher sur les nombreux autres écrits que son épouse Dalida Véronique Topize a gardé précieusement. Bruno Raya propose d’instituer une journée de la musique seggae, le 10 août, jour anniversaire de sa naissance. Et la CSU devrait publier en fin d’année un premier livre sur les écrits de ce grand chanteur mauricien.

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Jeudi 21 février 2019, soit 20 longues années après le décès de Kaya, une première rencontre est venue affirmer publiquement la valeur littéraire des écrits de Kaya, non seulement par la voix de ses proches et de ceux qui aiment ses chansons, mais aussi par celle d’institutions, telles que la CSU et des représentantes de l’université, comme Yannick Bosquet et Christina Chan. Cette table ronde organisée à la salle du conseil de Port-Louis a été un moment d’autant plus émouvant que les frères du chanteur, Reynald et Alain, y ont assisté, ainsi que son épouse, Véronique Topize, qui a partagé à la fin les réflexions que cette rencontre lui a suggérées.

Participaient aussi aux échanges Berty Fok, le percussionniste de Racinnetatanne, qui, en dehors du cercle familial, était un des plus proches de Kaya, mais aussi l’artiste Bruno Raya, qui a situé l’importance de l’homme pour la génération suivante, à laquelle il appartient, Marjorie Barbe, qui a partagé ses premières réflexions sur les écrits connus et inédits de Kaya, et Emmanuel Richon, qui était là en tant que maître d’œuvre d’une exposition qui a lieu actuellement au Blue Penny Museum.

La certitude à l’effet que, par ses textes, Kaya a apporté une nouvelle pierre à l’édifice littéraire de l’île Maurice et de la langue créole, semblait faire l’unanimité parmi les intervenants, mais elle reste cependant à démontrer. C’est notamment le travail qu’a entrepris la vice-présidente de la CSU, Marjorie Barbe, qui devrait publier en fin d’année un livre sur les écrits de Kaya, qui en plus des textes de chansons connus, devrait aussi rendre publics certains inédits, et qui proposera également une première lecture et une interprétation littéraire de ses textes, qui permettent d’en mesurer l’importance pour la vie intellectuelle du pays, pour l’histoire des idées et la création littéraire.

Arnaud Carpooran, le fondateur et président de la CSU, a suggéré, dans un discours préliminaire, qu’il fallait peut-être 20 ans pour commencer à analyser ce qui s’est passé en février 1999, mais il a aussi fait remarquer que depuis ces heures sombres qui ont vu Maurice s’embraser, du chemin a été parcouru dans la reconnaissance de la langue créole. Ce 21 février 2019 était pour lui et la CSU une journée particulière et porteuse de sens, car elle commémorait la disparition tragique de Kaya dans l’ombre d’un cachot d’Alcatraz, un enfant de Roche-Bois devenu l’étoile d’un nouveau genre musical reconnu au-delà de nos frontières. Pour la langue et la littérature créoles, elle fait aussi échos au 20e anniversaire des études créoles à l’Université de Maurice, et au 10e anniversaire du dictionnaire unilingue créole, dont la première édition complète, alors en graphie Larmoni, a été lancée le 1er février 2009.

Véronique Topize : « Listwar Kaya, so langaz, so lamizik
pa pou efase »

Depuis, en 2011, une orthographe du créole mauricien, prenant en compte les différentes graphies qui avaient existé jusqu’alors, sur la base d’une concertation avec leurs divers représentants, a été officiellement reconnue. Elle devrait être appliquée non seulement dans le système éducatif, mais aussi dans tous les supports d’information publique à Maurice, ce qui, encore aujourd’hui, est loin d’être le cas, aussi bien dans le domaine des administrations publiques que dans le secteur privé. Arnaud Carpooran a concédé que cette orthographe officielle est mise en œuvre par le ministère de la Culture et dans le secteur éducatif, mais constate que ce n’est guère le cas ailleurs. Il rappelle que la CSU se tient à la disposition des organisations ayant besoin d’aide et de formation à cette fin.

Poésie avant toute chose

Avant que la table ronde à proprement parler ne commence, des étudiants de l’Université (BA french & creole studies) ont donné le ton en faisant lecture d’un poème qu’ils ont eux-mêmes composé collectivement pour Kaya, en s’accompagnant à la guitare. Leurs paroles, chargées d’émotion, ont montré que même des enfants mauriciens trop jeunes, ou pas encore nés en 1999, pour comprendre ce qui se passait à Maurice, sont eux aussi des héritiers de Kaya, tant de son œuvre que de son histoire. Berty Fok, le percussionniste de Racinetatanne, a ouvert l’échange avec cette simple assertion : « Kouma li ekrir so bann tex ? So metod, se so veki. » Si certaines chansons ont été écrites à plusieurs, Kaya arrivait souvent avec ses propres paroles, prêtes à être mises en musique.

Le musicien est frappé par la souplesse avec laquelle ces textes ont pu évoluer dans le temps. En dix ans de carrière musicale, ils ont été chantés dans des contextes totalement différents. Aussi estime-t-il qu’il avait une botte secrète pour les composer : « So sekre, li dan fason ki li interprete, ki li asanble diferan mo… pour qu’à la fin on ait une histoire personnelle. » Le musicien a conclu sur une image frappante, qui montre l’importance de l’écriture et de la lecture dans la vie de Kaya : « Un bureau dans une maison vide », tel est le contexte dans lequel il l’a rencontré, la première fois, à Camp Zulu. Kaya écrivait et lisait abondamment, tout comme il fréquentait beaucoup de gens de toutes catégories.

Bruno Raya insiste quant à lui sur l’idée que les textes de Kaya étaient « kontribiab », en ce sens qu’ils apportaient une contribution à la société, par opposition aux textes jetables, qui ne sont pas véritablement d’utilité publique. « Lamour lamizik, se kontan pou konpran, ek konpran pou kontan. » Le leader d’OSB insiste sur le caractère inoubliable de Kaya, qui a inspiré des générations d’artistes, et le mauricianisme dont il a fait preuve, qui réveille les consciences et qui rassemble les gens. Arborant le t-shirt “Omaz a Kaya”, créé pour le 10e anniversaire de sa disparition, il a aussi fait remarquer que s’il y a beaucoup de raisons d’être en colère, si quand arrive le mois de février, on a tendance à penser aux émeutes et à la violence, 20 ans après, il est temps de dépasser cela et de promouvoir l’amour de sa musique. Il propose à cette fin la création d’un « seggae music day », le 10 août, jour anniversaire de la naissance du chanteur.

Emmanuel Richon a, quant à lui, souligné la dimension internationale de Kaya et de son œuvre, estimant qu’elle rejoint les grands styles musicaux du XXe siècle plus ou moins hérités de l’esclavage. Le conservateur du Blue Penny évoque le rythme propre à la condition humaine, la volonté de désaliénation universelle à laquelle Kaya s’est associé et « l’oraliture » (ou littérature orale) à travers laquelle il rejoint aussi bien La chanson de Roland au Moyen-Âge, que John Lee Hooker, John Coltrane ou Serge Gainsbourg, dans cette capacité à créer des chansons qui resteront mémorables de générations en générations, et même de siècles en siècles comme la Chanson de Roland, qu’on étudie dans les écoles.

Terminant sur l’idée que son amour pour Maurice passe par la langue créole, il a rappelé un texte du Réunionnais Daniel Lorette, qui s’intitule Le créole de la réussite, pour souligner le caractère fondateur de l’œuvre de Kaya dans la culture mauricienne.

La vice-présidente de la CSU, Marjorie Barbe Munien, a conclu les échanges en donnant ses premières impressions sur les textes de Kaya, non seulement ceux de ses chansons que tout le monde connaît, mais aussi les textes inédits que Véronique Topize a eu la grâce de conserver et de remettre à la CSU en début d’année. Ses premières lectures des chansons comme des réflexions et des témoignages écrits de Kaya sur sa vie, sur Maurice, sur la musique et aussi son expérience de la prison, qu’il a vécue avant l’incarcération suite au concert pour la dépénalisation du gandia, le 16 février 1999, l’incite à penser que l’on devrait considérer Kaya comme un intellectuel. L’oratrice estime aussi que l’évolution de textes tels que Sant lamour ou encore Sime Lalimier sont particulièrement riches d’enseignement, quand on découvre par exemple que ce dernier s’intitulait au départ Sime lamizer… Ainsi constate-t-elle chez Kaya à la fois une grande cohérence dans la création et l’affirmation d’une pensée évolutive, qui nous emmène toujours plus loin dans la réflexion.

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