À RÉSIDENCE MANGALKHAN : « Vent d’un rêve »réalisé pour les jeunes du quartier

Il y a deux semaines, lors du lancement de l’Activity week organisée dans le jardin de la State House à Réduit, le choeur des enfants de Vent d’un rêve avait réussi à toucher le coeur des convives présents par leur timbre pur et singulier. Ces jeunes font partie de l’orchestre du Centre de formation musicale et artistique de Résidence Mangalkhan. Dans ce petit faubourg de Curepipe, la musique et l’alphabétisation leur offrent des perspectives d’avenir. Inspiré d’El Sistema, un programme d’insertion sociale par la musique au Venezuela, le centre initie, dès l’âge de 5 ans, ces enfants à jouer de divers instruments de musique. Une initiative qui donne des résultats étonnants. Tour d’horizon sur ce programme qui vise aussi à transformer ce quartier.
Il est 17 heures ce mardi après-midi. À Résidence Mangalkhan dans une ancienne maison reconvertie (à trois niveaux) et abritant le centre de formation Vent d’un Rêve, les cours de musique, de chant et d’alphabétisation ont déjà commencé depuis 16 heures. Tout le bâtiment est animé.
Au rez-de-chaussée, les tout petits, âgés de 5 ans, sont attablés pour un atelier d’alphabétisation et de dessin. Dans une classe voisine, Elena Brelu-Brelu, prof de violon, s’applique à apprendre à ses jeunes élèves les notes de musique à travers les couleurs. « J’utilise les couleurs pour les aider à mémoriser plus facilement », nous dit-elle. À côté, dans une autre salle qui ne fait pas plus de cinq mètres carrés, résonne le violoncelle. Elenie et Gwenaëlle, 13 et 11 ans, ont toutes deux les yeux vissés sur la partition.
La visite se poursuit au premier étage où d’autres élèves s’appliquent à faire jaillir des notes du violon. D’autres encore, notamment des débutants, s’initient à la flûte à bec. Il y a aussi une plate-forme dédiée à la pratique du chant. Plus loin, autour d’une table, cinq ados participent à la classe de chant théorique et apprennent les notations. Violon, flûte, clarinette, violoncelle, contrebasse, trombone, trompette et chant… Au centre d’apprentissage musical, artistique et d’alphabétisation, ils sont plus de 150 enfants âgés de 5 à 18 ans à maîtriser un ou deux de ces instruments. Au deuxième étage où répète l’orchestre chaque vendredi, un pianiste accompagne les voix d’une quinzaine d’enfants en uniforme scolaire. La fraîcheur et la pureté de leur voix réjouissent et émeuvent. « Rosy Mungly, la prof de chant, est très douée », nous dit-on.
Motivation, ambition
Au centre Vent d’un rêve, l’horizon des enfants s’élargit grâce à la musique. Leur ambition aussi. Fréquentant le Mauritius College et St-Jean Bosco respectivement, Elenie et Gwenaëlle rêvent de devenir violoncellistes ou profs de musique. Cet endroit donne un objectif à atteindre aux enfants qui passent leur temps extrascolaire à apprendre la musique. Tout comme Elenie et Gwenaëlle, Camille Ramen, 9 ans, souhaite aussi se lancer dans la musique plus tard. Après les heures de classe à l’école de la localité Espitalier-Noël, elle y vient pour des cours de chant et de flûte. Vent d’un Rêve offre aux enfants le choix entre la flûte à bec (soprano, alto, ténor et basse), clarinettes, flûtes traversières, trompettes, trombones, violons, etc. En plus des classes de chants et d’instruments, ces derniers apprennent aussi les rudiments de la musique de manière ludique : à travers la lecture, le rythme et l’harmonie. Ils apprennent aussi le fonctionnement de l’orchestre, l’histoire de la musique (les différentes périodes baroque, classique, romantique) et la world music à travers internet et des vidéos.
Un plan social qui place l’éducation musicale au premier plan
Il y a encore sept ans, la plupart des enfants de Résidence Mangalkhan n’avaient encore jamais touché ces instruments ni même entendu leur son. Aujourd’hui, ils forment un orchestre et participent à des concerts. Le projet a démarré en 2010. Tout a commencé par une petite réflexion: « C’était au mois de décembre, lors de la distribution des cadeaux pour les 300 gosses du quartier. Jocelyne Ramaswamy, l’une de nos animatrices avait eu un déclic ce jour-là : il manquait dans ce quartier des activités et des loisirs pour les jeunes. De plus, cette année-là, l’école du quartier avait connu le pire résultat du CPE avec moins de 25% de réussites. Les forces vives s’étaient alors réunies et, la même année, le ministre de l’Éducation d’alors, Vasant Bunwaree, avait annoncé le ‘Enhancement Programme’ dans les écoles pour encourager les activités artistiques et musicales. À cette même période, nos profs de musique, Michèle Jeannot et Clotilde Ramen, venaient de terminer leurs études secondaires et, par ailleurs, détenaient un diplôme de Grade 5 de la Royal School of Music. C’est alors que Vent d’un rêve a germé », nous raconte Daniel Merven, président du centre et ancien recteur du collège de La Confiance.
Si Jocelyne Ramaswamy, Michèle Jeannot et Clotilde Ramen, Leslie Merven et Patricia Duhem sont à l’origine du projet, il va toutefois falloir un local, d’autres professeurs de musique, des instruments et des financements. Deux d’entre eux feront alors le tour de la cité pour aller chercher des enfants, les encourager, noter leur nom. En décembre 2010, ils seront une cinquantaine à vouloir intégrer le centre. Le lieu ne tardera pas à être repéré. « Il y avait deux salles qu’occupaient Stéphane Buckland pour l’Association mauricienne d’athlétisme et Brigitte Michel de l’Ong AILES et qui étaient libres entre 14h30 et 17h30 ». C’est chose faite, les cours vont pouvoir ainsi démarrer. Après les heures de classe, les enfants bénéficient de deux heures de cours, trois fois la semaine. Au programme : cours de flûte et de chant. Ils bénéficieront du soutien financier et administratif de la Fondation spectacles et cultures de Paul Olsen, Mécène qui ne tique jamais quand il s’agit de promouvoir de la bonne musique. Ainsi, pour mettre en place un projet tel que celui-ci, il faut, dit Daniel Merven, des parents impliqués, des profs, un lieu, le financement et une administration.
Inspiré d’El Sistema
El Sistema (au Venezuela), qui forme des jeunes des favelas à la pratique orchestrale aura un impact sur les fondateurs du projet. « Vent d’un rêve s’inspire des cours du soir d’El Sistema. Le défi est de démontrer que les jeunes des milieux sociaux les plus défavorisés sont capables de comprendre la musique et grâce à elle, faire son chemin dans la société », dit-il. En 2012, le centre s’inscrit comme une ONG avant de devenir en 2014 CSR registered avec une centaine d’élèves et 95% de présence…
En 2014, avec l’aide financière de la MCB Forward Foundation et la Fondation Solidarité du Groupe Food & Allied, l’achat de la maison de trois niveaux a été possible. Mais il y avait encore à faire, l’espace abritant un service traiteur désaffecté. En 2015, la rénovation est faite par deux spécialistes de l’ingénierie et d’architecture d’intérieur. Aujourd’hui encore, les deux principaux sponsors que sont la MCB Forward Foundation et la Fondation Solidarité du Groupe Food & Allied aident au financement du centre pour les salaires, l’achat des instruments et les repas… Le centre ne compte sur aucune subvention publique, qui toujours veut assassiner Mozart…
L’orchestre, le rêve qui se concrétise enfin
C’est en 2015 que le rêve des enfants de Cité Mangalkhan se réalise avec la naissance de son orchestre. « Nous proposions à cette période-là l’initiation à divers instruments avec pour but de former un orchestre. Ainsi, les cordes, violons, violoncelles, contrebasses, instrument à vent, flûte à bec, flûte traversière, clarinette, percussion, caisse de résonance, piano, guitare, sont introduits au fur et à mesure », raconte Daniel Merven. La pratique des instruments a lieu deux heures par jour, soit 6 heures par semaine et le cours orchestral le vendredi après-midi. L’orchestre se produit deux fois l’an, dans le cadre de la fête de la musique (le 21 juin) et pour les fêtes de fin d’année. C’est ainsi qu’est né Vent d’un rêve : « »Vent » parce que l’on a commencé avec un instrument à vent (flûte à bec), « Rêve » parce qu’il s’agissait du rêve de quelques personnes qui était celui d’avoir un orchestre à Résidence Mangalkhan et « un », parce qu' »unificateur », rassemblant une communauté », explique Daniel Merven.
Instrument d’intégration sociale
En seulement sept ans, 150 enfants de Résidence Mangalkhan et ses environs ont bénéficié du programme d’éducation musicale et artistique. En effet, si en 2010, année de la création du centre, le programme accueillait seulement une cinquantaine d’élèves, sept ans plus tard, il mobilisera 150. Une vingtaine de professeurs sont aujourd’hui au service de ces élèves.
Dans une région où le taux de réussite de l’école de la localité est de moins de 25%, dans une région où sévissent la délinquance, l’alcoolisme, la drogue, l’orchestre offre un moyen de voir la vie autrement et des possibilités d’avenir pour les mioches du quartier. Deborah Henry en offre l’exemplarité. Ancienne élève du noyau, aujourd’hui âgée de 18 ans, titulaire d’un diplôme de la Royal School of Music (Grade 5) en flûte alto, elle enseigne aux débutants et assiste les professeurs.
Dans ce faubourg curepipien, Vent d’un Rêve est un biais de salut social pour des jeunes. Les élèves ont l’opportunité de participer aux examens de la Royal School of Music (grade 1 à 5), d’Angleterre. Les profs, quant à eux, sont sortis des murs du centre pour offrir des cours de musique à quatre classes de l’école Espitalier-Noel. Le centre a aussi formé la chorale des parents. Grâce à la pratique musicale, le centre inculque aux jeunes un ensemble de valeurs : rigueur, discipline, maîtrise de soi, sens du partage et du travail en équipe. Autant de qualités qui les aideront à construire leur personnalité.
Et grâce aux professeurs, aux bénévoles, aux mécènes, enfin Gavroche sait lire une partition et Cosette pourra être enseignante.

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