Respect !

Comment passe-t-on d’un message machiste à un hymne féministe? L’histoire vaut bien un biberon…”

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Parfois, tout dépend de l’interprétation que l’on donne à une chose. C’est aussi ce que montre l’histoire d’Aretha Franklin, décédée ce jeudi 16 août à l’âge de 76 ans. Du statut d’extraordinaire chanteuse soul, une chanson va la propulser au rang d’icône internationale : “Respect”. Or, si celle-ci est devenue un véritable hymne en faveur des droits des femmes, des droits des Noirs et des droits humains en général, il est très intéressant de noter qu’à la base l’histoire racontée par cette chanson était bien différente. Et qu’elle disait même quasiment l’opposé de ce qu’Aretha Franklin en a fait. “Le tube féministe qui a propulsé Aretha Franklin était au départ une chanson affreusement machiste d’Otis Redding”, résume un article conjoint publié cette semaine par le HuffPost et l’AFP.

«Respect» est, en effet, à l’origine, composée en 1965 par le roi de la soul, le grand Otis Redding. Il y raconte le quotidien d’un homme qui travaille dur, et qui réclame à sa femme le respect lorsqu’il rentre chez lui le soir. Respect qu’il estime lui être dû puisqu’il rapporte l’argent au foyer… “Ce que tu veux, tu l’as, ce dont tu as besoin, tu l’as, tout ce que je demande, c’est un peu de respect quand je rentre à la maison”, écrit Otis Redding.

En 1967, Aretha Franklin a 25 ans lorsqu’elle décide, sur son premier album intitulé “I never loved a man the way I love you”, d’inclure une reprise de “Respect”. La chanson cartonne immédiatement. Et la propulse du rang de star américaine à celui de star internationale. Très vite, “Respect” devient un hymne pour les mouvements féministes et pour les droits civiques. “Le “respect” que demande Aretha Franklin est alors associé soit au combat pour la liberté des Noirs, soit à la libération de la femme”, écrit en 2013 l’historienne américaine Ruth Feldstein.

C’est qu’Aretha Franklin a complètement “bousculé” la chanson originale, en mettant les mots de Redding dans la bouche d’une femme forte et énergique. Conservant les couplets, elle introduit un refrain dynamisé par les choeurs, assurés par ses soeurs Erma et Carolyn. Le “un peu de respect quand je rentre à la maison” de Otis Redding devient “un peu de respect quand tu rentres à la maison”.

“Pour Otis, le respect avait une connotation traditionnelle, dans le sens de l’estime”, assurait le producteur d’Aretha Franklin, Jerry Wexler, dans son autobiographie. “La ferveur dans la voix d’Aretha exigeait ce respect, et cela impliquait aussi une attention du point de vue sexuel…”. Aretha Franklin “n’a pas seulement modifié quelques paroles ou changé le point de vue, elle lui a aussi apporté une nouvelle âme”, indique à l’AFP la musicologue américaine Victoria Malawey.

Reprise par de nombreux mouvements de revendication, “Respect” figure dans une trentaine de films, comme Platoon, Blues Brothers ou Forrest Gump.“C’était la bonne chanson, au bon moment”, résumait Aretha Franklin en 2016, citée dans le magazine Elle.

L’efficacité d’un message dépend effectivement, souvent, autant de la façon dont il est exprimé et émis, que du moment où il est reçu. C’est ce qui peut ressortir aussi de cette campagne de pub qui s’affiche en ce moment sur les billboards à travers l’île, autour de l’allaitement maternel. A la base, une étude nationale commanditée par le ministère de la Santé, qui montre que “la plupart des femmes ne donnent pas le sein à leur enfant jusqu’à six mois”,alors que “l’allaitement maternel doit être exclusif jusqu’à 6 mois”. Le ministère de la Santé mauricien espère que d’ici à 2025 ce pourcentage aura doublé dans le cadre de l’objectif global de nutrition de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Espère ? Le ministère espère ?

Il n’y a aucun doute que l’allaitement maternel est extrêmement bénéfique à la santé de l’enfant. Mais ce qui est gênant dans cette campagne, c’est la façon dont s’exprime son message. Un message qui semble placer sur la femme la seule responsabilité de la santé de l’enfant. Alors qu’elle fait partie d’un tout.

Si les autorités veulent vraiment que les femmes allaitent jusqu’à six mois, elles devraient commencer par modifier les lois qui limitent le congé maternité à 3 mois. Car il est bien beau de prétendre faire la leçon à une femme qui doit “tirer son lait” au boulot alors qu’il n’y a ni un lieu adéquat pour le faire ni un frigidaire pour conserver le lait. Et si l’article 30 de l’Employment Rights Act stipule qu’un employeur a l’obligation d’accorder une permission d’une heure à une employée qui allaite son enfant durant les 6 mois suivant son accouchement,  ce “droit” généralement malmené ne s’applique qu’aux employées du secteur privé…

Il y a aussi le moment auquel ce message arrive. Un moment où, de plus en plus, les femmes sont confrontées à la nécessité de se battre pour pouvoir allaiter en public, comme s’il s’agissait là de quelque chose de shameful. On peut y répondre par l’ironie, comme ces deux femmes, au Mexique et aux États-Unis, dont l’image a largement circulé sur internet ces deux dernières semaines : des personnes leur ayant intimé de “se couvrir” alors qu’elles allaitaient en public, elles se sont tout bonnement recouvert la tête et le visage d’une serviette, et ont continué à allaiter !

Respect, aurait pu clamer Aretha Franklin. Or how to change the narrative…

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