Richard Via: Le bilan du chargé d’affaires

Richard Via, chargé d’affaires de l’ambassade de Madagascar à Maurice, retourne dans son pays natal après avoir passé quinze ans chez nous. Ce très long séjour a été provoqué par les soubresauts de la crise politique malgache qui a duré des années et dont il se dit une des victimes collatérales. Portrait d’un diplomate qui ne jure que par les relations bilatérales entre Madagascar et Maurice.
Richard Via est né sur une propriété sucrière dans les environs de Diégo-Suarez, port commercial et base militaire malgache, il y a cinquante-sept ans. Il est né dans une famille de huit garçons et deux filles, dont le père était le directeur adjoint de la compagnie nationale de manutention. Richard Via a été à l’école des frères de Diégo-Suarez, puis a passé le bac à Antananarivo. Entre-temps, Madagascar était passé du stade de pays indépendant à celui de République socialiste avec à sa tête le lieutenant-colonel Didier Ratsiraka, après plusieurs coups d’Etat mené par les militaires. Après son bac, Richard Via va passer deux ans au service national qui avait été institué pour les diplômés qui allaient, sur le modèle chinois, alphabétiser les élèves des écoles de campagne. De retour du service volontaire, Richard Via fait son droit à l’université de Madagascar et après une double maîtrise en droit public et privé, effectue un séjour dans un institut parisien qui formait les hauts commis de l’Etat malgache. Contrairement à beaucoup de jeunes Malgaches, il ne reste pas en France après son stage parce qu’il voulait entrer aux Affaires étrangères et venait de se marier avec Sandia, une jeune étudiante en lettres. “Je voulais surtout mettre en pratique une maxime d’un de mes professeurs français : ‘Pour celui ou celle qui aime son pays, il n’y a pas de plus beau métier que celui de le représenter’.” Le jeune avocat commence sa carrière au ministère des Affaires étrangères malgache comme stagiaire et va rapidement grimper dans la hiérarchie, devenir chef de service et premier directeur de la section s’occupant de la coopération régionale, dans la mouvance de la création du COI et de la Coemsa, ce qui le fait tourner dans les pays de l’océan Indien. En 2000, au vu de sa connaissance du dossier de la coopération régionale, il est nommé Premier secrétaire à l’ambassade de Madagascar à Maurice. En ce début de siècle, c’était encore le lieutenant-colonel Didier Ratsiraka qui était revenu au pouvoir, après une période d’exil en France. Il sera battu aux élections de 2001 par le maire d’Antananarivo, Marc Ravalomanana, mais refusera d’accepter sa défaite en provoquant une autre crise constitutionnelle. A Maurice, avec le changement de pouvoir, André Tsilanizara, l’ambassadeur en place est rappelé à Madagascar, et Richard Via fait six mois d’intérim avant l’arrivée du nouvel ambassadeur nommé par Marc Ravalomanana : Bruno Ranarivelo. “L’ancien ambassadeur était surtout un administratif et le nouveau très politique et hommes d’affaires. Ils ont tous les deux, chacun à sa manière, participé à mon accomplissement personnel et en tant que diplomate.”
Richard Via continue son travail de Premier secrétaire, qui fait souvent de l’intérim, jusqu’en 2009, où il est nommé numéro deux de l’ambassade de Madagascar à Bruxelles, pour suivre les règles diplomatiques qui veulent qu’un diplomate ne reste pas plus de cinq ans dans un pays. Mais, entre-temps, Marc Ravalomanana avait démissionné sous la pression de la rue et de l’armée et, en attendant les nouvelles élections, une Haute Autorité est nommée pour diriger le pays avec Andry Rajoelina à sa tête. Avec cette nouvelle situation politique, tous les ambassadeurs sont rappelés et les premiers secrétaires font fonction de chargé d’affaires. “J’ai été une des victimes collatérales de ces crises politiques cycliques qui ont eu lieu à Madagascar au cours des dernières années et j’étais bloqué à Maurice. Ce n’était pas désagréable du point de vue familial, mais du point de vue professionnel, ce n’était pas gratifiant. Maurice a été mon premier et mon dernier poste diplomatique où je suis resté pendant quinze ans. Sans les crises, j’aurais eu une carrière normale dans la diplomatie malgache.” Comment fait-on pour servir son pays quand ce pays change si souvent de dirigeants politiques ? “Je suis un fonctionnaire qui obéit aux directives que lui fait parvenir le gouvernement à travers le ministère des Affaires étrangères. On m’envoie le mode d’emploi de la politique décidée et moi je l’exécute. Je ne suis que le bras exécutif du ministère des Affaires étrangères. J’ai essayé de faire correctement mon métier aussi bien pendant la période socialiste que celle de l’ouverture tous azimuts avec une préférence pour les USA, puis maintenant la realpolitik, un peu plus tournée vers l’Est.” Pour le chargé d’affaires, l’actuel pouvoir malgache, dirigé par Hery Rajaonarimampianina est bien différent des précédents. “Celui qui est au pouvoir est différent parce que le président, le gouvernement et les députés ont été tous élus démocratiquement et qu’en plus, les élections municipales ont eu lieu ainsi que les sénatoriales. Les institutions de la République fonctionnent et donnent un gage de stabilité qui nous a longtemps manqué. C’est vrai qu’il y a beaucoup à faire, mais comme Madagascar a touché le fond, on n’a qu’une seule possibilité: remonter à la surface. Je crois que nous allons vers la bonne gouvernance, la justice égale pour tous et la lutte contre la corruption.” C’est possible après tant d’années de, disons, laisser-aller ? “Nous ne pouvons pas nous en sortir autrement. Sans un retour aux pratiques démocratiques, Madagascar ne bénéficiera plus de l’aide internationale dont elle a besoin pour remonter à la surface et commencer à respirer normalement.”
Au cours des quinze années passées à Maurice, Richard Via “a beaucoup travaillé pour le développement des relations entre Maurice et Madagascar, plus particulièrement leurs liens économiques et agricoles”. Vous voulez parler du commerce de bois de rose ? Le chargé d’affaires botte en touche, diplomatiquement. “Je préfère parler du commerce de bois de pin qui se développe bien entre nos deux pays. La sécurité alimentaire est un sujet que j’ai étudié avec attention au point de lui consacrer un livre. Madagascar peut redevenir le grenier de l’océan Indien, surtout le principal fournisseur de produits agricoles de Maurice, comme dans le passé. Nos deux pays ne sont qu’à une heure et demie d’avion et trois jours de bateau et nos intérêts économiques sont convergents. Pourquoi aller chercher en Inde ou en Afrique du Sud des légumes ou des épices comme les pommes de terre et les oignons?” Pourquoi est-ce que cette coopération, qui semble si évidente, quand on en parle, ne fonctionne pas ? “Parce qu’il semblerait qu’il y ait des monopoles — et sans doute des commissions derrières — auxquels on n’ose pas toucher. “ Mais une des raisons ne serait-elles pas le manque de fiabilité des producteurs malgaches ? “C’était le cas dans le passé, ce ne l’est plus aujourd’hui. Avec la nouvelle politique agricole malgache, dont le développement est suivi de près par la Banque Mondiale, les délais sont respectés et nous avons actuellement des surplus d’oignons et de pommes de terre qui pourraient faire baisser les prix de ces denrées à Maurice. Il y a des préjugés et des clichés que nous nourrissons entre nous, comme celui des entrepreneurs mauriciens trop autoritaires, des touristes malgaches qui se transforment en marchands ambulants ou la crainte de la prochaine crise politique à Tana. Tout cela n’est pas tout à fait faux, mais à force de les répéter on en fait des obstacles difficiles à franchir alors que tous les instruments de coopération entre nos deux pays existent. Il y a plein de choses à faire au niveau bilatéral en direction du marché africain qui va du Cap au Caire et compte des millions de consommateurs. Pourquoi ne pas rapprocher nos deux économies pour aller à la conquête de ce marché ?” Qu’est-ce qui a frappé Richard Via lors de son séjour à Maurice ? “J’admire la capacité de rebondissement des Mauriciens, qui peuvent passer de l’industrie sucrière à l’industrie cannière sans attendre la fin du protocole sucre. Les Mauriciens ont une capacité de rebondissement, d’anticipation des problèmes et de travailler sur les solutions pour y faire face qui est remarquable. J’ai été également frappé par la transformation de votre pays. Quand je suis arrivé à Maurice, en septembre 2000, Ebène était encore un champ de cannes, regardez ce qu’il est devenu en quelques années. Vous avez une capacité de rebondissement et de vision que les Malgaches n’ont pas. Je suis convaincu que la multiculturalité a été pour quelque chose dans cette capacité de rebondissement, cette culture entrepreunariale des Mauriciens. J’ai été également impressionné par la solidarité dont font preuve les Mauriciens quand leurs voisins sont frappés par des catastrophes naturelles.”
Qu’est-ce qui explique que Richard Via soit rappelé à Antananarivo, après quinze ans ? “Mon rappel s’inscrit dans le cadre de la nouvelle politique étrangère du gouvernement. Tous ceux qui étaient jusqu’à maintenant chargés d’affaires sont rappelés pour être remplacés par des ambassadeurs. Je crois que celui qui sera nommé à Maurice arrivera chez vous avant le 12 mars. Et ce qui me concerne, je vais réintégrer le ministère après quatre mois et demi de congé de fin de séjour.” Pour faire quoi ? “Je ne le sais pas encore. Mais une chose est certaine pour moi : je vais continuer à oeuvrer pour le développement des relations entre nos deux pays. Je vais offrir mes services et mon expérience à mes amis de Maurice – et leurs partenaires – qui souhaitent investir à Madagascar.” Et le mot de la fin de ce portrait ? “Je vais répéter que nos économies et nos peuples sont complémentaires et que les instruments de coopération existent. Utilisons-les et oeuvrons pour créer un pôle de développement économique qui va bénéficier à toute la région.”

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