Rita Venkatasamy : « Le Children’s Bill est un bon projet de loi »

Notre invitée de cette semaine est l’Ombudsperson for Children, Mme Rita Venkatasamy, et le sujet de l’interview, réalisée la semaine dernière, est le Children’s Bill qui vient d’être présenté au Parlement et qui a provoqué un débat public. Tout en soulignant que c’est une loi attendue depuis longtemps, l’Ombudsperson fait des propositions pour amender certaines des clauses proposées. Plus particulièrement celles sur l’âge de la responsabilité pénale et plusieurs aspects entourant l’âge du mariage à Maurice. Sans langue de bois et en appuyant ses propositions à partir d’analyses des textes des conventions internationales et des réalités locales.

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Votre silence après la présentation du Children’s Bill a étonné plus d’un. Qu’est-ce qui l’a provoqué ?

— En tant qu’Ombudsperson for Children et militante des Droits de l’homme depuis des décennies, j’ai le devoir d’apporter un éclairage au débat, de tout faire pour élever la conscience collective des Mauriciens de manière pédagogique et non pas agressive. Mais je ne peux pas dire n’importe quoi sur ce sujet délicat avant d’avoir effectué des recherches et réfléchi là-dessus. Il ne faut pas interpréter le silence d’une militante des Droits humains comme une complicité avec qui que ce soit ou une volte-face. Quand les autres sont en train de s’exprimer, il faut savoir écouter au lieu de se lancer dans des monologues sans faire l’effort d’écouter le point de vue des autres. Le bureau de l’Ombudsperson travaille dans un cadre juridique et la loi nous dit non seulement de promouvoir les Droits des enfants, mais de promouvoir également l’adhésion de toutes les parties concernées à la convention relative aux Droits de l’enfant. Et là, je dois dire qu’il ne suffit pas uniquement de citer les conventions, mais aussi d’étudier les observations générales. Ce sont les comités des experts des différentes conventions qui adoptent ces observations générales fondées sur des articles spécifiques.

Cela fait des années, bien avant que vous ne soyez nommée Ombudsperson for Children que vous militez pour les Droits des enfants. Eu égard à cette expérience et sans langue de bois, est-ce que le Children’s Bill est une bonne loi ?

— Oui, c’est une bonne loi dans la mesure où elle permet à Maurice de se rapprocher des principes relatifs aux Droits des enfants. L’idéal serait que les pays respectent à la lettre les règlements de la convention, mais ce n’est pas toujours possible pour de multiples raisons. Le Chil-dren’s Bill vient harmoniser la loi mauricienne et la loi internationale. Pour bien comprendre la nature du débat autour du Children’s Bill et y apporter une contribution positive et objective, nous devons d’abord mettre en perspective deux théories principales sur les rapports entre le droit international et le droit local interne. Pour simplifier, disons qu’il existe deux formes de régimes parlementaires de droit; d’abord le monisme dans lequel il n’y a aucune distinction entre le droit international et le droit local interne. A l’inverse, le système dualisme tend à considérer le droit international et le droit interne comme des ordres juridiques distincts. Il y a donc des différences entre les deux droits. Le régime parlementaire mauricien repose sur le dualisme, ce qui fait que même si l’Etat signe des conventions internationales, il doit passer par son Parlement pour qu’elles deviennent force de loi. C’est pour cette raison que la Convention des droits de l’enfant n’a pas eu force de loi à Maurice au moment de sa ratification.

Mais alors, pourquoi est-ce que l’Etat mauricien signe des conventions pour ne pas les appliquer ?

— Il n’est pas correct de dire que l’état mauricien signe des conventions pour ne pas les appliquer. Comme je viens de vous l’expliquer, il faut obligatoirement passer par le Parlement pour qu’une convention ait force de loi à Maurice. Les conventions nous permettent de suivre ce qui se passe et se fait sur le plan international et elles nous donnent des lignes directrices sur les bonnes pratiques à mettre en place. En tenant compte des réalités du pays les adaptant aux situations locales.

 Tout en accueillant favorablement le projet de loi vous émettez toutefois des réserves sur un de ses articles concernant l’âge de la responsabilité pénale des enfants fixé à 12 ans. Quels sont vos arguments ?

— Le document principal de la Convention des Droits de l’enfant ne mentionne pas un âge spécifique, mais dans leurs observations générales en 2007 les experts du Comité des Droits de l’enfant ont recommandé de « ne pas fixer ce seuil trop tôt, eu égard aux problèmes de maturités affectives, psychologiques et intellectuelles ». En effet, l’âge de 12 ans constitue le minimum absolu. Le comité préconise un âge minimum de la responsabilité pénale plus élevée, la tranche de 14 à 16 ans. Le rapport d’experts, en 2010, a demandé aux pays de fixer un âge de responsabilité pénale n’allant en dessous de 12 ans et préconise que l’on considère plutôt la tranche de 14 à 16 ans. Mon bureau a étudié les conventions et la situation dans plusieurs pays à travers le monde et en prenant en considération le profil et la situation de l’enfant mauricien, nous trouvons que 12 ans ne convient pas et nous demandons que l’âge fixé soit revu dans le Children’s Bill.

Effectivement, comme nous l’avons dit à la ministre de l’Egalité des Genres dans Week-End : 12 ans c’est l’âge où l’enfant mauricien quitte le primaire !

— Vous avez eu raison de le souligner. Si l’on fixe l’âge pénal à douze ans cela signifie qu’un enfant de cet âge pourrait être arrêté, même si en dernier lieu le DPP aura son mot à dire. C’est pourquoi nous proposons que cet âge soit fixé à 14 ans et même à 16 ans, si l’Etat le décide. Il faut donner à l’enfant qui aura fait des erreurs ou des bêtises l’occasion de se reprendre, de comprendre ce qu’il a fait, de se corriger et de rebondir pour affronter la vie.

Un des sujets qui fait débat dans le Children’s Bill est l’âge légal du mariage. Quel est votre sentiment sur cette question ?

— Depuis que le projet de loi a été rendu public, nous avons reçu beaucoup d’appels et rencontré beaucoup de personnes qui voulaient donner leurs points de vue sur les recommandations et plus particulièrement sur l’âge du mariage précoce. Il faut situer ce débat dans le temps et son contexte. Nous avons eu un long échange avec des représentantes du Mouvement Libération Fam qui a rappelé qu’en 1981, l’Assemblée nationale d’alors avait institué un Select Committee pour étudier, entre autres, la question de l’âge légal du mariage. Suite aux travaux de ce comité, le Code civil a été amendé et l’âge du mariage fixé à 18 ans, avec une provision qu’un juge en Chambre puisse apporter une dérogation dans des circonstances exceptionnelles. A l’époque, il y a eu des foules de parents avec le test de grossesse positif de leurs filles devant le bureau du juge pour demander la dérogation prévue dans la loi. Mais, en 1984, le Parlement a voté à l’unanimité une proposition de loi pour que l’âge du mariage soit fixé à 16 ans avec le consentement des parents ou avec l’autorisation d’un juge en chambre et c’est la situation légale actuelle.

 Le Children’s Bill n’apporte aucun élément nouveau sur la question de l’âge du mariage…

— Le projet de loi a lancé un débat national sur le sujet et les Mauriciens s’expriment. La ministre a déclaré qu’elle est ouverte aux propositions pour modifier, dans le sens de l’amélioration, le projet de loi avant qu’il ne soit voté, ce qui est quand même une avancée. Nous avons étudié les lois sur l’âge du mariage en vigueur dans plusieurs pays. Dans les pays nordiques, très avancés sur beaucoup de sujets de société, l’âge légal pour le mariage a été rehaussé à de 18 ans récemment. La Charte africaine des Droits de l’enfant qui fixe l’âge légal du mariage à 18 ans est sans équivoque. Mais, prenant en compte les conventions internationales et le contexte de la situation locale, nous avons continué à discuter, à écouter et à consulter nos réseaux à l’étranger avant de prendre une position.

Quelle est cette position ?

— En 2014, il y a eu une observation générale conjointe du comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et du Comité des Droits de l’enfant sur les pratiques préjudiciables de la convention qui est ainsi libellée : « Pour respecter la capacité évolutive de l’enfant et son autonomie dans la prise de décision, le mariage d’un enfant mature de moins de 18 ans et doté de toutes ses capacités peut être autorisé à condition que l’enfant ait au moins16 ans et que la décision soit prise par un juge pour des motifs légitimes exceptionnels définis par la loi et sur la base de preuves de la maturité de l’intéressé et non par soumission aux cultures et traditions. » C’est la position que nous adoptons sur la question de l’âge du mariage à Maurice.

Il y a aussi dans le débat sur l’âge du mariage un aspect que l’on semble ne pas vouloir aborder publiquement : le mariage forcé…

— Merci d’avoir posé cette question. C’est pour cette raison qu’il faut suivre le commentaire des deux comités d’experts que j’ai cités, que la décision soit prise par un juge en Chambre. C’est clair et sans équivoque.

Soyons aussi clairs et sans équivoque : selon la proposition du Children’s Bill, le mariage d’un mineur peut être célébré avec le consentement des parents ou dans des cas exceptionnels par un juge. Votre proposition est que ce soit seulement un juge qui, après examen, donne ou refuse cette autorisation ?

— C’est exactement la proposition du Bureau de l’Ombudsperson for Children sur le mariage précoce. Il faut que l’autorisation soit donnée par un juge, point barre. Cela éliminera les risques de mariages forcés avec toutes les conséquences qui peuvent aller avec. Je souligne que c’est uniquement pour respecter la capacité évolutive du mineur et son autonomie de prise de décision que cette exception soit autorisée.

Vous pensez que les parents mauriciens ne sont pas assez responsables ?

— Je n’ai pas dit ça. Je dis que dans certaines situations il se pourrait que des parents ne fassent pas preuve de responsabilité. Nous ne pouvons pas prendre de risque dans ce domaine. C’est pourquoi nous laissons cette responsabilité au juge qui se prononcera après une enquête sociale et dans des cas exceptionnels.

En parlant du mariage légal, il faudrait aussi aborder le mariage informel qui, me dit-on, est en augmentation à Maurice.

—   Selon l’UNICEF, « le mariage d’enfants désigne tout mariage officiel ou toute union non officialisée entre un enfant de moins de 18 ans et un adulte ou un autre enfant ». Donc, il est clair que quand nous parlons du mariage des enfants, nous ne parlons pas uniquement de mariage légal. Effectivement, le mariage informel dans lequel deux jeunes, parfois deux enfants, se mettent en concubinage est un problème grave. Souvent la pauvreté expose les jeunes filles au mariage d’enfant et le mariage à tendance à limiter les opportunités d’éducation de ces filles, ce qui va accentuer la pauvreté. Dans un mariage informel, il est encore plus difficile d’assurer la protection des droits des jeunes filles. Je sais qu’à l’heure où je vous parle, qu’il y a des filles mineures qui vivent avec des hommes beaucoup plus âgés qu’elles. Certaines vivent l’enfer de la violence domestique et d’autres abandonnent l’école très tôt. Ces filles qui se mettent en concubinage ont rarement accès aux méthodes de contraception et c’est ainsi qu’elles tombent très facilement enceintes. Les mariages informels à Maurice ne concernent pas uniquement ceux qui ont entre 16 et 18 ans, mais également ceux qui sont en dessous de 16 ans. Dans ce contexte-là, on ne peut parler de capacité évolutive et encore moins de consentement. Il faut le souligner, ce problème n’est pas circonscrit à une ou deux communautés, c’est un problème national. Et ce sont les jeunes des couches les plus pauvres de la société qui se retrouvent dans cette situation. Sans droit, sans protection et parfois avec des enfants en bas âge. Dans les classes sociales plus élevées, on a un copain, une copine, on peut avoir des relations sexuelles, mais on ne vit pas ensemble, on ne quitte pas l’école pour se mettre en ménage et avoir des enfants. C’est un problème auquel il faut s’attaquer sérieusement à travers une sensibilisation agressive.

Est-ce que, de votre point de votre point de vue, Maurice a suffisamment de compétences et de personnes formées au sein des institutions pour s’occuper de la défense des Droits des enfants ?

— Nous avons beaucoup d’efforts à faire dans le domaine de la formation des éducateurs et des encadreurs qui s’occupent des enfants. Il faut qu’ils soient formés sur les lois et règlements, mais aussi qu’ils soient formés pour s’occuper des enfants. Autrefois, on disait : « Mo kontant zenfant mo kapav travay avec zot. » C’est une époque révolue. Il ne suffit pas d’aimer les enfants pour travailler avec eux. Il faut être formé pour apprendre à travailler auprès d’eux et nous avons beaucoup d’efforts à faire dans ce domaine à tous les niveaux. Je pense aux infirmières, aux instituteurs, aux personnes qui travaillent dans les institutions spécialisées, au abris, etc. Je le redis : pour travailler avec les enfants, l’amour seul ne suffit pas.

Vous n’êtes pas surprise par le fait que les débats sur ce projet de loi, promis depuis des années, ont été renvoyés après avoir été inscrits à l’ordre du jour du Parlement ?

— Je n’ai pas à faire de commentaires sur le calendrier des séances du Parlement. Le projet de loi a été présenté en première lecture au Parlement et depuis suit son cours vers une deuxième et une troisième lectures avec les débats et des propositions d’amendements avant son adoption. J’aimerais dire que Fazila Daureawoo a eu le mérite d’amener ce projet de loi au Parlement. Beaucoup, avant elle, ont essayé sans y parvenir. C’est un projet de loi complet qui donne plus de droits aux enfants en situation de conflit avec la loi. J’aimerais aussi souligner qu’elle propose l’abolition du Juvenile Offenders Act qui permettait à certains parents de se débarrasser de leurs enfants en les faisant placer dans des centres RYC, en prétextant qu’ils n’arrivaient pas à les contrôler.

 Qu’est-ce qui manque dans ce projet de loi ?

— Je pense que toutes les recommandations du projet de loi sont dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce qui manque dans le projet de loi sera compensé par les rules et regulations qui vont l’accompagner. Ce qui donne vie à un projet de loi voté, ce sont les regulations qui l’accompagnent. C’est un travail difficile et compliqué qui est impératif.

Comment avez-vous pris le fait que le MMM a déclaré attendre vos commentaires sur l’âge légal du mariage pour prendre position sur cette proposition du Children’s Bill ?

— Je suis heureuse que le MMM respecte l’institution de l’Ombudsperson et son avis. C’est aussi le cas de nombreuses personnes qui veulent connaître notre position sur des propositions du projet de loi, notamment celles ayant trait à l’âge de la responsabilité pénale et du mariage. Et pour respecter l’acte qui gouverne mon bureau, nous avons discuté, étudié et consulté avant d’émettre les positions que je vous ai dites. Il faut que le débat sur le Children’s Bill, qui est hyper important pour la promotion de la cause de l’enfant, se passe dans le dialogue, dans l’écoute de l’autre et de ses arguments. Il faut que le débat soit dépassionné et objectif pour nous permettre d’avancer et de mieux défendre les enfants.

Permettez-moi de terminer cette interview par une question plus personnelle. Votre mandat comme Ombudsperson for Chil-dren arrive à expiration à la fin de l’année. Etes-vous intéressée par un éventuel renouvellement ?

— L’éventualité que vous évoquez ne relève pas de mes responsabilités.

On croirait entendre un candidat à la candidature ! Je ne vous demande pas qui est responsable de la nomination de l’Ombudsperson for Children, mais si vous seriez intéressée par un second mandat ?

— A l’heure où nous parlons, je suis trop prise par mon travail pour réfléchir à cette possibilité. Quand le temps approprié sera venu, je me poserai la question et vous ferai connaître ma réponse.

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