ROUPIE FORTE : Ballon d’oxygène d’urgence

Face au glissement au tableau du taux de change de la Banque de Maurice, avec la roupie forte se transformant en un véritable handicap pour le secteur des exportations, confronté à de graves problèmes depuis plus d’une année déjà, le gouvernement est venu de l’avant avec des mesures temporaires. L’une de principales mesures porte sur la mise en opération dès demain d’un Exchange Rate Support Scheme sous forme d’une subvention maximale de Rs 2.50 par dollar américain, avec un taux de change de référence de Rs 34.50. En plus de ce soutien financier, les planteurs et usiniers-planteurs de l’industrie cannière devront bénéficier d’autres mesures d’urgence, avec un complément puisé du Sugar Insurance Fund Board de Rs 1 250 par tonne de sucre et une suspension temporaire du paiement du CESS en vue de financer les support services institutions de ce secteur. Globalement, ce ballon d’oxygène devra coûter à l’Exchequer la somme de Rs 1, 2 milliard. Toutefois, au cas où l’Exchange Rate Support Scheme, géré par le ministère de l’Industrie et du Commerce, est prolongé au-delà de la période initiale de six mois, il faudra ajouter une enveloppe supplémentaire variant entre Rs 450 millions et Rs 500 millions. À moyen terme, l’Economic Development Board, qui est à la recherche d’un Chief Executive Officer, devra prendre la relève pour se pencher sur des contraintes structurelles affectant le secteur des exportations. Néanmoins, une autre menace guette un autre pilier des exportations, en l’occurrence le seafood hub. À partir de demain, la diplomatie mauricienne tentera un coup de poker à Bruxelles pour arracher une dérogation sur quelque 4 000 tonnes de thon pour continuer à faire tourner la chaîne des conserveries de thon après octobre, avec quelque 8 000 emplois dans la balance.
 L’Hôtel du gouvernement n’a pas mis longtemps pour réagir à l’alerte des opérateurs économiques tournés vers l’exportation devant le poids insupportable de la roupie forte de ces derniers mois. L’évolution du taux de change de la roupie par rappprt aux principales devises étrangères, dont entre autres le dollar américain, la livre sterling et dans une moindre mesure l’euro, démontre que la situation devenait de plus en plus intenable aux yeux des capitaines de l’industrie. Ainsi, les buying rates pratiqués dans le circuit bancaire indiquent que la roupie mauricienne a connu une appréciation de 6,6% par rapport à la monnaie américaine, de 8,1% contre la livre sterling et de 0,3% vis-à-vis de l’euro, de juillet de l’année dernière au mois dernier. Comme le démontre le tableau plus loin, le dollar, qui était coté à Rs 34.95 en juillet de l’année dernière, se retrouve à Rs 32.65 en août de cette année. Brexit — le divorce entre Londres et Bruxelles — oblige, la livre sterling est passée de Rs 45.95 en juillet de l’année dernière à Rs 42.22 le mois dernier.
Cette roupie forte génère des répercussions sur le bilan et la performance du secteur des exportations, déjà fragilisé, débouchant sur un déficit commercial frisant les Rs 100 milliards contre des recettes nettement sous cette barre. L’une des premières attributions du Technical Committee, sous la présidence du secrétaire financier, Dev Manraj, et comprenant des représentants du secteur privé, dont Business Mauritius, la Chambrte d’Agriculture, le Syndicat des Sucres et de la Mauritius Export Association, de même que des officiels de la Banque de Maurice, était de contrer les effets de cette appréciation de la roupie. Après une première réunion lundi dernier, avec le secteur privé faisant son cas, le Conseil des ministres de vendredi a entériné une série de mesures à court terme vu l’urgence de l’équation.
La MEXA, dont les membres sont les plus concernés par la robustesse de la roupie, soutenait la thèse d’un glissement de la roupie à hauteur de Rs 3 par dollar américain, soit de l’ordre de 10%. Tenant en ligne de compte l’analyse du Monetary Policy Committee de la Banque de Maurice au sujet de la tendance à la hausse de l’inflation, les autorités ont préféré adopter une approche plus prudente en matière de politique monétaire. « Inflation in Mauritius went up noticeably since the last MPC meeting, reflecting transient factors, including the impact of higher prices of alcoholic beverages, tobacco and Mogas and gas oil. Headline inflation rose from 1.3 per cent in March 2017 to 2.7 per cent in July 2017. Year-on-year inflation has been volatile and stood at 5.3 per cent in July 2017. Barring any major shock, headline inflation is forecast at about 4.0 per cent for calendar year 2017 and at about 3.8 per cent in 2018 », note le communiqué de la Banque de Maurice de mercredi, en décidant de réduire à 3,5% contre 4% le Key Repo Rate, soit le niveau le plus bas historiquement et également négatif vu que la « year-on-year inflation » est déjà 5,3% en juillet dernier.
« Temporary relief »
Justifiant sa demande pour cette révision du taux de change de la roupie de Rs 3 par rapport au billet vert américain, la MEXA avait soutenu que cette dernière devise était passée de Rs 35.60 à Rs 32.60 au cours de ces derniers mois. « The Export Oriented Enterprises (including textiles, seafood, jewellery and the emerging exports to Africa) are severely impacted by the sharp depreciation of the US dollar against the rupee », fait-on comprendre dans les milieux autorisés, même si des nuances apparaissent au bottomline des prognosis. L’arbitrage de la Banque de Maurice est arrivé à la conclusion que le taux le plus compétitif pour l’économie reste un dollar US à Rs 34.50 et ce taux de référence est retenu pour les besoins de l’Exchange Rate Support Scheme. Au lieu des Rs 3 de la MEXA, le maximum support au chapitre du taux de change est Rs 2.50 par dollar américain. De ce fait, le secteur privé se dit satisfait de « la mise en place d’un Exchange Support Scheme pour les exportateurs, notamment le gouvernement, à travers Enterprise Mauritius, contribuera sur les six prochains mois à la différence entre le taux de change effectif du dollar et un taux de base de Rs 34.50. Cette contribution est toutefois sujette à un maximum de Rs 2.50 par dollar échangé. »
La gestion de mécansime de subvention au taux de change ne devant nullement influencer de manière négative les prix à la consommation, avec l’inflation immunisée en principe de tout risque de dérapage, sera assurée par le ministère de l’Industrie avec un « Special Desk to receive and assess the claims of exporters ». Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui avait rencontré les représentants du secteur privé vendredi après-midi pour annoncer les détails de ce package, fait comprendre en substance que « the aim of the Exchange Rate Support Scheme is to provide temporary relief to exporters who are facing the impact of the sharp depreciation of the US dollar ». Cette mesure, qui entrera en vigueur dès demain, sera maintenue pour une période initiale de six mois, avec les premiers paiements mensuels de la subvention intervenant à partir du 2 octobre. Pour les six premiers mois, le ministère des Finances a misé sur une enveloppe d’aide de Rs 450 millions aux exportateurs sinistrés par la roupie forte.
En sus de cette mesure d’encadrement de la roupie, l’industrie sucrière, qui semble naviguer dans un perfect storm d’une baisse de la production sucrière avec très probablement les chiffres des 360 000 tonnes réduits encore très bientôt, pour être de 350 000, « the lowest output since the end of the guaranteed price under the Sugar Protcol » il y a dix ans, des effets négatifs d’une roupie forte et des changements drastiques des conditions du marché d’exportation, avec l’élimination des quotas d’exportation sur l’Europe, pourra compter sur deux autres principales béquilles. La Chambre d’Agriculture et le Syndicat des Sucres soutiennent que pour les récoltes sucrières de cette année et de l’année prochaine, un manque à gagner de Rs 2 milliards est inévitable. « Such losses, if not addressed most urgently, can only cripple the sugar industry leading to major risks of massive land abandonment resulting in a major incidence on the environment, on the tourism industry and also affecting competitive energy production », arguent ces deux institutions du privé.
Collaboration participative
La correspondance officielle de l’industrie sucrière au gouvernement, plaidant pour une intervention du gouvernement, ouvre également une parenthèse pour rappeler que « it is worth mentioning that the subsidized rates that the Central Electricity Board grants to several sectors of the economy, for instance the export-manufacturing sector, are made possible only because the sugar sector power producers export electricity at competitive rates. » Pour pallier les problèmes générés par une baisse de plus de Rs 2 570 par tonne de sucre avec la menace d’un prix avoisinant les Rs 12 694 de la récolte sucrière de 2014, les mesures de soutien au secteur cannier se résument comme suit :
la suspension, pour l’année 2017, de la contribution du secteur au CESS, qui est un prélèvement effectué par l’État sur les revenus des producteurs et qui sert à financer des institutions paraétatiques liées à l’industrie cannière ;
une contribution du Sugar Insurance Fund Board à hauteur de Rs 1250 par tonne aux planteurs et usiniers, et révision de la taxe douanière sur l’importation du sucre.
Cette enveloppe financière mise à la disposition de l’industrie cannière est de l’ordre de Rs 700 millions, soit Rs 500 millions puisées des fonds du Sugar Insurance Fund Board, disposant d’un war chest variant entre Rs 3,5 milliards et Rs 4 milliards, et Rs 200 millions avec la suspension du CESS. Commentant ces développements, Business Mauritius, qui regroupe 1 200 entités du privé, souligne que « les comités techniques public-privé continueront à collaborer dans les semaines qui suivent afin de trouver des solutions, à moyen et à long termes, pour rendre ces secteurs plus compétitifs. »
De son côté, Arnaud Dalais, président de Business Mauritius, déclare que « nous saluons la décision du gouvernement qui, grâce à un dialogue ouvert avec la communauté des affaires, a rapidement mis en place des comités techniques conjoints qui ont travaillé d’arrache-pied afin de trouver des solutions pouvant soulager ces deux secteurs. Il y a encore de nombreux défis à relever, et c’est dans cet esprit de collaboration participative que nous arriverons à faire avancer le pays. »
Diplomatie
D’autre part, l’Economic Development Board devra prendre le relais en vue de renforcer les muscles du secteur des exportations et de l’industrie cannière. Ainsi, l’un des mandats attribués est que « to consolidate the resilience of the export sector the upcoming Economic Development Board will address the structural constraints to improve efficiency and competitiveness of export enterprises. These include mainly labour marker issues, innovation, Research and Development, marketing, promotion and logistics development. » Ce volet de la mission de l’Economic Development Board devrait intéresser davantage l’industrie sucrière, qui a opéré au cours des six des dix dernières « at a price below the viabilty price agreed under the Multi-Annual Adaptation Strategy (MAAS) ».
Officiellement, le coût de production dans le secteur sucre a connu des augmentations substantielles en raison des révisions salariales de 70%. Le labour cost constitue 50% des coûts globaux avec 4 500 emplois. La Chambre d’Agriculture et le Syndicat des Sucres exercent des pressions en avançant que « there is an urgent need to integrate fully the sugar sector mainstream economy and harmonise the labour laws ». Dans cette conjoncture, l’industrie sucrière préconise deux mesures, soit « no interdiction should be imposed on employment of seasonal labour just like in other sectors » et qu’avec les collective agreements en vigueur, « the provisions of the Additional Remuneration Act that prescribe a wage increase at the beginning of each year to compensate the loss of purchasing power after the tripartite negotiations should not be applicable in cases where Collective Agreements are in force ».
Ces demandes du patronat ont provoqué de vives réactions de la part du Joint Negotiating Panel des syndicats de l’industrie sucrière. Ashok Subron, négociateur, est déjà sur le pied de guerre pour mobiliser ses troupes en vue d’objecter par des actions industrielles à toute tentative de remettre en question les droits acquis des travailleurs de l’industrie sucrière. Toutefois, l’intention de l’Economic Development Board est de consulter tous les stakeholders avant d’arrêter un nouveau train de mesures à moyen et long termes.
D’autre part, si l’Economic Development Board est également appelé à proposer des « medim term structural measures that can be taken to strengthen the resilience of other export sectors, such as tourism, ICT and financial services », dans l’immédfiat, la situation dans le seafood hub préoccupe. Avec l’imposition de quotas de capture de thon dans les eaux de l’océan Indien, les entrerpises de conserverie de thon courent le risque d’être à court de matière première à partir du mois prochain. De ce fait, le ministre des Affaires étrangères, Vishnu Lutchmeenaraidoo, a été dépêché en urgence à Bruxelles en vue de négocier une dérogation pour l’importation de quelque 4 000 tonnes de thon, pêchées hors de la zone océan Indien. Cette dérogation de la Commission européenne s’avère cruciale pour permettre à ces conserveries locales, dont Princess Tuna, qui traite quelque 110 tonnes de thon annuellement, de poursuivre leurs opérations, de garder le tempo des exportations et de maintenir les quelques 8 000 emplois dans ce secteur.

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