Sada Curpen se cache derrière sa « mémoire sélective »

— Paul Lam Shang Leen: « On va faire venir Sivom Paupiah à Maurice et lui offrir toutes les protections nécessaires, car il a beaucoup d’informations à votre sujet et sur votre famille »

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— Sam Lauthan : « Est-ce l’omerta qui a poussé Cindy Legallant et d’autres à se rétracter alors qu’ils vous avaient accusé ouvertement ? »

— Sada Curpen nie l’existence de plusieurs communications téléphoniques entre lui et Peroumal Veeren pendant deux mois l’an dernier

Audition très attendue hier que celle de Sada Curpen, Mauricien qui a longtemps vécu en France et qui était détenu à la prison “La Bastille” jusqu’en septembre 2012, écroué dans une affaire de possession de Subutex. Puis, son nom a aussi été cité dans l’enquête sur l’assassinat de Denis Fine, entre autres. Devant la Commission, il a soigneusement évité de répondre aux questions précises de l’ancien juge Paul Lam Shang Leen sur ses avoirs et sources de revenus, ou encore ses liens avec Parvin Appadoo, Sivom Paupiah, les avocats Tisha Shamloll et Raouf Gulbul ainsi qu’avec le détenu Peroumal Veeren. Ce qui a sérieusement agacé Paul Lam Shang Leen, qui a rappelé à Sada Curpen à diverses reprises qu’il était sous serment et qu’il devait faire attention à ne pas commettre un parjure.

Pendant presque 90 minutes, l’ancien juge a tenté de tirer les vers du nez de Sada Curpen, mais en vain. Au bout du compte, le président de la Commission d’enquête sur la drogue a fini par lui demander de justifier ses avoirs et ses sources de revenus d’ici une quinzaine de jours, principalement « les nombreux cash deposits que l’on a trouvés. Et vous devez aussi expliquer d’où vient l’argent que vous utilisez pour jouer, au casino, aux courses et autres. Car vous misez très gros » Sada Curpen a fréquemment répondu aux questions de Paul Lam Shang Leen et ses deux assesseurs, Sam Lauthan et Ravind Dhomun, par des « je ne me rappelle pas » et « je ne sais plus »… Paul Lam Shang Leen lui a fait alors remarquer qu’il a une « mémoire défaillante ». En guise de réponse, Curpen a expliqué qu’il a « connu beaucoup de catastrophes dans ma vie… Cela a affecté ma mémoire ». Pour sa part, Sam Lauthan a préféré parler de « mémoire sélective » du témoin.
Mais c’est surtout la mention du nom de Sivom Paupiah, époux « de ma cousine », et dont le nom avait été cité dans l’affaire de l’assassinat de Denis Fine, en 2010, en fin d’audition, qui a retenu l’attention.

Paul Lam Shang Leen : Ah ! Une chose que j’ai oublié de vous demander : vous connaissez Sivom Paupiah ?
Sada Curpen : Il est marié à une de mes cousines.
PLSL : Donc, c’est un membre de votre famille ?
SC : Je ne le considère pas comme un membre de ma famille.
PLSL : Ah, parce qu’il est lié par alliance, j’imagine… Où se trouve-t-il ?
SC : Je ne sais pas. Je n’ai pas de ses nouvelles. Justement, je me demande une chose : comment cela se fait qu’il soit arrivé en France ? D’après ce que j’avais lu dans les médias, la police l’avait trouvé en possession de drogue… Et malgré cela, il est parvenu à arriver en France. Et la police avait également trouvé de l’argent dans sa valise…
PLSL : Un peu comme dans votre cas, n’est-ce pas ? Quand la police avait trouvé 28 000 euros sur vous, et qu’après la fouille à votre domicile, ils y avaient trouvé Rs 285 000 en liquide et une foule de documents sur lesquels je vais vous interroger plus tard… Mais j’ai lu beaucoup de choses qu’il dit sur vous sur Facebook. Vous êtes au courant ?
SC : J’en ai entendu parler… Des gens m’en ont parlé. Je ne suis pas intéressé par ce qu’il dit.
PLSL : Il dit notamment qu’il a peur pour sa vie s’il revient au pays. Et qu’il sait beaucoup de choses sur vous et votre famille…
SC : Pourquoi il a peur ?
PLSL : Il dit qu’il sait tout de l’affaire de l’assassinat de Denis Fine, c’est pour cela qu’il craint pour sa vie. Je n’étais pas au courant de tout ce qu’il sait à propos de vous. Ce sont les enquêteurs qui ont attiré mon attention sur la chose. Je crois que nous allons demander que l’on fasse venir Sivom Paupiah à Maurice. On lui donnera toute la protection nécessaire pour qu’il n’ait pas à craindre pour sa vie. Et on sera très contents d’entendre tout ce qu’il a à dire sur vous…
SC : Il a le droit de dire ce qu’il veut !
PLSL : Il dit beaucoup de mal de vous…
SC : Je ne sais pas. Monn tann tande kumsa. Mo pa frekante li.
PLSL : Bien que vous ne le fréquentiez pas, il sait beaucoup de choses sur vous… Il a aussi dit que vous avez agi de connivence avec un journaliste pour écrire des choses contre lui !

« Shamloll ment ! »

Plutôt, durant son audition, un autre aspect intéressant a été évoqué : Sada Curpen a été interrogé sur ses liens avec l’avocat Raouf Gulbul, candidat battu du MSM lors des élections générales de décembre 2014. Il convient de rappeler que lors de sa déposition devant la Commission d’enquête sur la drogue, l’an dernier, l’avocate Tisha Shamloll, ancienne junior de Me Gulbul, avait allégué que Sada Curpen avait financé la campagne de l’homme de loi et avait soumis des extraits de messages pour appuyer ses dires.

Paul Lam Shang Leen : Qui est votre avocat attitré ?
Sada Curpen : Me Raouf Gulbul.
PLSL : Est-ce qu’à une certaine époque, Tisha Shamloll n’a pas été votre avocate ?
SC : Non, elle n’était pas mon avocate. Elle venait avec moi, me filait un coup de main…
PLSL : Elle travaillait pour qui, à l’époque ?
SC : Me Gulbul.
PLSL : C’est ça. Elle était la junior de Me Gulbul.
SC : Ça, je ne sais pas.
PLSL : Vous vous rappelez, lors d’une comparution en cour de Pamplemousses… Qui avait préparé le document qui devait être présenté ? Pas Tisha Shamloll ?
SC : Oui, elle était venue et oui, elle était mon avocate dans ce cas-là.
PLSL : Je vois que vous appréhendez déjà la prochaine question ! Vous savez que je vais vous parler de Faisal Husain. Qui était cette personne, pour vous ?
SC : J’ai fait sa connaissance en prison.
PLSL : Et vous faisiez mettre des sous sur son compte…
SC : Moi ?
PLSL : Oui, par l’intermédiaire de Me Shamloll. C’est ce qu’elle nous a dit.
SC : Je n’ai jamais fait ça !
PLSL : C’est ce que vous dites. Donc, c’est votre parole contre la sienne…
SC : Et évidemment, vous la croyez parce qu’elle est avocate, et moi…
PLSL : Alors, pourquoi elle mentionne votre nom et pas celui d’une autre personne ? Vous envoyez des messages à Me Shamloll ?
SC : Oui, avant.
PLSL : Quand ?
SC : Quand nous étions amis.
PLSL : Via Whatsapp ?
SC : Oui, et des messages normaux aussi.
PLSL : Votre avocat attitré était candidat aux dernières élections. Quel a été votre rôle dans sa campagne ?
SC : Aucun. Je n’ai jamais suivi la politique, d’ailleurs, je n’ai jamais voté de toute ma vie.
PLSL : Vous lui avez donné de l’argent pour sa campagne ?
SC : Jamais ! Je n’ai jamais donné un sou à quelque politicien.
PLSL : Pourtant, selon les messages via Whatsapp que Me Shamloll a produit ici, il est fait mention que vous avez donné de l’argent à Raouf Gulbul pour sa campagne.
SC : J’ai vu ça sur Facebook et dans des médias…
PLSL : Et selon la teneur de ces messages, vous écrivez qu’« il a perdu ; pourtant il avait de l’argent » : donc, vous lui avez donné de l’argent.
SC : Pourquoi elle ne vous a pas donné le message dans son intégralité et en a choisi seulement un extrait qui la convient ?
PLSL : Peut-être que le contenu est trop confidentiel. Vous n’avez pas conservé ces messages, vous ?
SC : Non, ça date de 2014, je ne garde pas de vieux messages. Je souhaiterais qu’elle produise l’intégralité des messages.
PLSL : Dans cet extrait que nous avons, vous avez répondu que Raouf Gulbul n’a pas utilisé l’argent…
SC : Je peux voir ?
Paul Lam Shang Leen demande alors à son secrétaire, K. Conhye, de présenter le document à Sada Curpen, qui le parcourt.
SC : Non, ce que j’ai voulu dire, c’est qu’il avait de l’argent et il ne l’a pas utilisé.
PLSL : Ça, c’est votre interprétation ! Même un enfant de sixième comprendrait que vous lui aviez donné de l’argent et qu’il ne l’a pas utilisé : c’est cela que vous voulez dire dans ce message !
SC : M. le Président, laissez-moi vous dire que cette femme m’avait envoyé beaucoup de messages, me demandant de financer la campagne de Raouf Gulbul. Mais j’ai refusé.
PLSL : Maintenant vous bluffez ! Écoutez, nous avons l’essentiel de la teneur des messages. Vous, vous avez quoi ? Rien ! Alors taisez-vous !
SC : Elle a produit des messages qui servent ses intérêts. Je vous le dis sous serment…
En début de séance, Sada Curpen a expliqué qu’il a une unique source de revenus : « je loue un appartement à Grand-Gaube ». Cela par l’intermédiaire d’une compagnie, Erchwan Ltd, dont il est le créateur et l’unique actionnaire, et qui ne détient pas de permis émis par la Tourism Authority (TA) pour la location avec tant des Mauriciens que des étrangers. C’est, entre autres choses, ce qui lui a reproché Paul Lam Shang Leen, qui a également relevé que Sada Curpen « ne déclare pas les avoirs de cette compagnie aux autorités ». Le témoin a nié cela, rétorquant que « mon comptable fait les déclarations fiscales ». Entre le président de la Commission d’enquête et celui qui déposait, il y a eu quelques zones d’ombre quant à la date à laquelle l’appartement de Grand-Gaube a été acquis. En effet, Sada Curpen maintient qu’il en avait fait l’acquisition « en 2007 ou 2008, je ne me souviens pas exactement », tandis que pour l’ancien juge, « les documents officiels donnent la date de 2012. Et en 2007/08, vous étiez en prison ». Ce que Sada Curpen a expliqué : « Oui, je me trouvais effectivement en prison. Mais l’achat, je l’avais fait avant d’être emprisonné. Et c’est à ma sortie, en 2012, que j’ai pu signer le contrat en bonne et due forme ».
Contacts téléphoniques avec Veeren

Paul Lam Shang Leen a demandé à Sada Curpen s’il connaissait Siddick Islam et Peroumal Veeren et s’il entretenait des contacts téléphoniques avec eux. Répondant par la négative, Sada Curpen a alors été confronté à Paul Lam Shang Leen : « Avril 2017, ce n’est pas loin, ça, n’est-ce pas ? Lors d’une saisie en prison, un téléphone avait été trouvé sur Peroumal Veeren. Après analyse de la carte SIM de ce téléphone, il s’avère que lui et vous avez été en communication pendant deux mois et demi, l’an dernier. Comment expliquez-vous cela ? » La réponse du témoin est venue : « Vous savez, en prison, plusieurs détenus utilisent un même téléphone… » Le président Lam Shang Leen a rappelé à Sada Curpen que « quand vous étiez en prison, souvent lors des fouilles, des téléphones, batteries, chargeurs étaient trouvés sur vous… » Réponse de Sada Curpen : « Une seule fois on a trouvé un téléphone sur moi. »

Curpen, l’employeur

Paul Lam Shang Leen est revenu sur l’affaire de blanchiment d’argent pour lequel Sada Curpen est actuellement poursuivi. Cela par rapport à « une série de documents qui ont été trouvés chez vous. Notamment des documents relatifs à, entre autres personnes, car je ne veux pas les nommer, l’ASP Hector Tuyau, ici présent. Il s’agit de procès-verbaux de ces personnes. Pourquoi aviez-vous ces documents chez vous ? » Le témoin a répondu que « ce sont tous des témoins dans des affaires qui me concernent ».
De plus, parmi ces documents, a poursuivi Paul Lam Shang Leen, « il y avait dans une enveloppe le CV d’un officier de la prison habitant Goodlands. Pour quelle raison ces documents étaient en votre possession ? » Sada Curpen devait répondre qu’« il m’avait demandé de lui trouver du travail… Monn anvi fer li plezir, monn pran so bann dokuman. Me monn zett zot dan enn coin ». L’ancien juge n’a pu s’empêcher de commenter : « Pourquoi ? Vous trouvez de l’embauche pour des gens, vous ? En tout cas, cet officier va adorer apprendre de quelle manière vous l’avez traité quand il lira tout cela dans les journaux demain. »

Lauthan évoque l’omerta

Une fois encore, l’ancien ministre de la Sécurité sociale Sam Lauthan, assesseur de la Commission d’enquête sur la drogue, a évoqué l’omerta : « Cindy Legallant a, au départ, quand elle a été arrêtée, clairement porté ses accusations sur vous. Puis, après quelque temps, elle s’est rétractée et c’est elle qui a encaissé toute l’affaire. Même modus operandi dans l’affaire de Denis Fine : des gens vous ont accusé, puis se sont rétractés. Au final, eux portent le chapeau, et vous vous en sortez tranquille et libre. C’est très caractéristique du monde du trafic de la drogue ! L’omertà permet d’acheter le silence des uns, notamment par des pressions exercées sur eux ou les membres de leurs familles. S’ils ne respectent pas, il y va de leur vie… »
Paul Lam Shang Leen a aussi rebondi sur l’argument, rappelant que « votre avocat dans ces affaires est Raouf Gulbul, n’est-ce pas ? Celui qui fait changer les versions en faveur de ses clients… »
Par ailleurs, l’assesseur Lauthan a tenu à demander à Sada Curpen s’il était consommateur de drogues, spécifiquement de Subutex. Le témoin répondit par la négative. Sam Lauthan a ainsi fait la remarque suivante: « Cependant, vous avez été condamné et fait la prison pour possession de Subutex et non pour trafic…»

Curpen et ses 28 000 euros

Sada Curpen était attendu devant la Commission d’enquête sur la drogue le 7 février dernier, mais l’huissier n’avait rencontré personne à son domicile. Le lendemain, alors que son « bon ami » Parvin Appadoo déposait devant l’instance présidée par Paul Lam Shang Leen, Sada Curpen s’est présenté à la Cour commerciale où se tiennent les auditions. Il a reçu des instructions du secrétaire de la Commission, Kossiram Conhye, suivant les directives du président Lam Shang Leen.
Son nom a été cité à diverses reprises par plusieurs témoins qui ont défilé devant Paul Lam Shang Leen et ses deux assesseurs depuis le début des travaux de la Commission d’enquête sur la drogue : l’avocate Tisha Shamloll, Reeaz Gulbul, ancien secrétaire de Me Raouf Gulbul, le policier suspendu Shabeer Goolamghouse, qui avait épousé sa sœur, Roobena Curpen, ainsi que le fameux Temwin Sok Samachar. À noter que devant Paul Lam Shang Leen et ses assesseurs, Sada Curpen a, à maintes reprises, déclaré qu’il « n’est pas en bons termes avec ma sœur. Je ne sais pas ce qu’elle fait, avec qui elle vit… »
Sada Curpen est surtout connu pour son implication dans le cartel maintenant démantelé d’importation de Subutex à Maurice, sur l’axe Plaisance/Paris, ainsi que dans l’assassinat de Denis Fine, un ex « proche collaborateur ». Pour rappel, il est en liberté conditionnelle, car poursuivi dans une affaire de blanchiment d’argent, et doit se présenter régulièrement au poste de police de Terre-Rouge. Il doit également respecter un couvre-feu et ne doit pas être hors de sa maison après 17 heures. Or, il a violé ce règlement à diverses reprises.
L’affaire de blanchiment d’argent pour lequel il est actuellement poursuivi remonte à 2010 quand plus de 28 000 euros ont été trouvés sur Sada Curpen. Lors d’une fouille à son domicile, plus de Rs 285 000 en liquide ont été trouvées par les policiers.

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