Secondaire : Autopsie du programme bilingue Prevokbek

Des réussites à célébrer, des “success stories” à raconter pour quelques années encore

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Le programme bilingue Prevokbek, destiné aux enfants n’ayant pas obtenu le minimum requis au CPE/PSAC dans les écoles catholiques, est arrivé à sa fin. Premier programme à utiliser la langue maternelle comme médium de manière formelle à l’école, le Prevokbek a préparé la voie au kreol morisien, aujourd’hui au primaire et au secondaire. Plus que cela, c’est 18 ans de patience, de recherche et d’adaptation que les enseignants ont investis pour rejoindre les apprenants dans leurs réalités. Aujourd’hui, avec la Nine Year Continuous Basic Education, le Prevokbek cède la place à l’Extended Programme. Pour les enseignants, c’est un retour en arrière. Ils en témoignent avec tristesse et colère…

Pour Brian Pitchen, enseignant au St Mary’s West et un des pionniers du secteur, c’est avec un pincement au cœur qu’il voit le Prevokbek arriver à sa fin. L’année scolaire 2019, qui arrive à terme bientôt, refermera ainsi une page de l’histoire de l’éducation catholique. Mais pas n’importe laquelle. Celle où, pour la première fois, la langue maternelle a été utilisée comme médium dans un programme formel. « Dix-huit ans, c’est un beau parcours. Les choses évoluent, il va falloir s’adapter. Mais je peux dire que je suis très fier du parcours accompli. Il y a des réussites à célébrer, des “success stories” à raconter pour quelques années encore. Je suis fier de cette génération. »

Le succès du Prevokbek, ajoute Brian Pitchen, réside non seulement dans l’utilisation de la langue maternelle, mais aussi dans la détermination des enseignants. « Nous avons voulu apporter un système à valeur ajoutée, en apportant notre style. Avec notre première évaluation, nous avons pu corriger les lacunes dès le départ. Nous avons, par exemple, fait le choix d’inclure des “alpha coaches” pour former à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. »
Le système actuel, ajoute Brian Pitchen, a un maillon manquant. « L’éveil à l’éducation technique est important. L’éducation est multifacettes, pas juste académique. Il faut consolider ce secteur afin d’avoir une éducation technique de qualité. » Cet aspect a déjà été abordé avec les autorités et le SeDEC attend toujours une réponse. Le Prevokbek, poursuit Brian Pitchen, c’est aussi tout un ensemble d’outils pour l’encadrement. « Nous avons été formés à la discipline positive par l’ICJM. Nous avons ainsi appris des techniques pour “deal” avec les enfants. Il y a également une ligne de communication avec les parents. Un suivi à la fois académique et social est nécessaire. »
Jean-Jacques Arjoon, Head of Prevocational Department au collège de La Confiance, récuse, lui, l’argument que le prévoc a été un échec. « Pour moi, le Prevokbek a été une bouée de sauvetage, une porte de sortie pour de nombreux jeunes. Hormis l’aspect académique, ce sont des compétences pour la vie que les jeunes ont acquises. » Les “lifeskills”, ajoute-t-il, ont appris aux jeunes à développer les compétences de négociant dans la société. « Le Prevokbek a aussi été un terroir riche en développement de la créativité. » Exposés à la musique, au théâtre et à la peinture, entre autres, les jeunes ont ainsi pu exploiter leurs talents et montrer de quoi ils sont capables, alors que jusqu’ici, ils avaient toujours expérimenté l’échec. Ce qui l’amène à dire : « Après trois années de Prevokbek en kreol, ces enfants ont le niveau de GP, mais avec l’Extended Programme, ils vont droit dans le mur… » Jean-Jacques Arjoon ne cache pas sa joie non plus de voir aujourd’hui ses anciens élèves avoir leurs propres entreprises ou leur propre transport.

Une deuxième chance

Aurore Lenette, du collège BPS de Beau-Bassin, est “facilitator” pour l’Extended Stream. Elle se sent un peu comme la « maman des élèves », devant veiller aux forces et aux faiblesses de chacun et les aidant à aimer l’école. Elle avoue cependant qu’au départ, le Prevokbek a été difficile pour elle, car elle ne connaissait pas le kreol écrit. « Heureusement qu’on a eu Dev Virahsawmy, qui nous a bien tiré les oreilles. Avec le temps, on a pu faire de la langue maternelle un outil d’apprentissage pour les élèves. C’est ainsi que nous avons pu avoir beaucoup de succès avec les élèves. Elles n’avaient plus cette honte de faire partie de ces filles du “mainstream” ne pouvant s’exprimer. Elles pouvaient venir lire un texte à l’assemblée. »
Le passage à l’Extended Programme, avoue-t-elle, est assez difficile, car la philosophie est différente. « Les filles ont une deuxième chance avec l’Extended Programme, mais le système n’est pas adapté pour elles. Elles ont beaucoup de difficultés qui remontent au primaire. On est en train de reproduire le même système. Certaines pourront s’en sortir, mais la majorité ne parviendra pas à évoluer avec l’Extended Programme, tel que c’est aujourd’hui. » Elle déplore également les mentalités qui perdurent. « Il y a des profs qui croient que c’est toujours le prévoc et ne veulent pas venir aider, comme prévu dans le système. »
Jason Lingaya, enseignant au collège de Saint Joseph, ne cache pas sa colère devant la tournure des événements. « Les autorités n’ont jamais voulu faire quelque chose pour nous. C’est-à-dire “upgrade” le système, faire quelque chose de plus professionnel. J’ai beaucoup de tristesse car je me demande où on va. » Il estime que l’Extended Program n’est qu’un changement de nom et qu’il n’y a rien qui réponde aux besoins des enfants. « L’Extended Programme est un programme de “mainstream” avec un examen national. Il y a des enfants qui ne savent pas écrire leurs noms et d’autres qui ne peuvent même pas s’asseoir en classe, et ce sont eux qui vont passer un examen national dans deux ans ? »
Selon lui, les problèmes de fond n’ont pas été touchés, dit-il. De même, il se demande pourquoi ce n’est que maintenant que les autorités s’intéressent à la formation des enseignants. « C’est maintenant qu’on va introduire le BEd, alors qu’il y a des profs qui ont eu le temps de faire d’autres cours. Maintenant, il faut tout recommencer. »
Revenant à l’Extended Programme, il ajoute que l’une des grosses lacunes est que le programme est fondé sur l’aspect académique. « Que fait-on de ceux qui échouent ? Le “remedial” ne va pas agir comme une baguette magique. La manière de réfléchir est ridicule. En 18 ans, nous avons fait quelque chose de valable qui méritait d’être reconnu. »
Jason Lingaya conserve ainsi de bons souvenirs du Prevokbek, estimant qu’il était heureux de pouvoir faire un travail utile pour la société, malgré les hauts et les bas. « Ma plus grande joie est d’avoir croisé un de mes anciens élèves, devenu un professionnel alors que, lorsqu’il était petit, on ne savait pas ce qu’on allait faire avec lui… »

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