Smart Agriculture : vers une transition agro-écologique

  • 90% des agriculteurs utilisent des pesticides chimiques en préventif, selon un état des lieux effectué par la Chambre d’agriculture

Un état des lieux de l’utilisation des pesticides effectué auprès de quelque 300 planteurs a révélé que 90% d’entre eux utilisent des pesticides chimiques en guise de prévention, « c’est-à-dire qu’ils ne regardent pas s’il y a un symptôme, une maladie ou des ravageurs, mais qu’ils utilisent des produits en prévention de ces symptômes ». C’est ce qu’indiquent Maud Scorbiac et Blandine Rosies, deux Françaises envoyées par France Volontaires Région Réunion en mission à la Chambre d’agriculture. Elles travaillent toutes deux sur un projet appelé “Smart Agriculture” et dont l’objectif est d’encourager les producteurs à se diriger vers une transition agro-écologique. Rencontre.

- Publicité -

« On veut essayer de casser ce paradigme selon lequel on dit qu’on fait du bio organique. Notre objectif, c’est d’aller davantage vers l’agro-écologie. L’agro-écologie, c’est limiter au maximum les intrants, les pesticides, les fertilisants et utiliser ce qui est présent sur l’exploitation, tous les services que la nature peut nous rendre. Le but est que les producteurs traitent moins, produisent mieux et répondent plus aux attentes des consommateurs », indiquent Maud Scorbiac et Blandine Rosies, respectivement ingénieure agronome et détentrice d’un Master en Agro-Ecologie. Si elles avouent être choquées « en tant que consommatrices » par le taux de pesticides utilisés, elles disent pouvoir comprendre la situation des agriculteurs « quand on voit comment cela se passe sur le terrain ».

Maud Scorbiac travaille sur ce projet depuis 2015. « On a commencé par un état des lieux de l’utilisation des pesticides. On avait entendu dire que les planteurs font de telle manière mais on avait besoin de confirmer ce qui était dit sur le terrain. Cela a duré trois mois auprès de 300 planteurs à travers toute l’île. On a analysé les données et on est venu avec un plan d’action, qui portait sur plusieurs aspects : la certification, la commercialisation, la législation et l’accompagnement des producteurs. » La deuxième phase du projet a consisté à s’appuyer sur ce qui se fait en France pour mettre en place le système DEPHY, dont le but est de gérer des réseaux de producteurs pour qu’ils améliorent leurs pratiques et utilisent moins de pesticides.

La question du changement climatique est un autre volet pris en compte dans le projet “Smart Agriculture”. Selon Blandine Rosies, le changement climatique « se voit en ce moment, avec des pluies assez exceptionnelles, des chaleurs plus fortes, la présence de plus en plus de ravageurs, des pesticides qui ne marchent plus forcément, parce qu’il y a des résistances… » Elle reprend : «On essaie donc de mettre au point des pratiques qui soient plus résilientes face à ce changement climatique. Il faut aussi que nos producteurs s’en sortent et puissent continuer à produire pour assurer la sécurité alimentaire de l’île et qu’ils assurent leurs revenus, que ce soit les petits comme les plus grands. Nous travaillons avec les deux types de producteurs. »

Une des choses qui a retenu l’attention suite à l’état des lieux de l’utilisation des pesticides, selon nos interlocutrices, c’est que dans 90% des cas, les planteurs utilisaient des pesticides en préventif. « Et sur un plan plus social, nous avons remarqué que les planteurs sont tous très vieux, parfois très peu formés. Mais ils ont une réelle envie de changer. La seule chose, c’est qu’ils ne savent pas comment. Il y a une réelle attente donc de leur part pour qu’on les aide en ce sens. »

Beau et lisse

Si la manière d’utiliser les pesticides peut être difficile à digérer en tant que consommateurs, nos deux interlocutrices soulignent aussi les difficultés auxquelles font face les agriculteurs. « Une des raisons de l’utilisation des pesticides par les producteurs est que les consommateurs attendent des produits parfaits. Ils ont des exigences assez élevées et plus parfois sur le prix que sur la qualité des légumes. Ils ne vont pas forcément regarder s’il y a moins de pesticides, mais si c’est moins cher, si c’est beau et lisse. Or, beau et lisse ne veut pas forcément dire de bonne qualité. Les producteurs nous font part tous les jours de ce problème : on leur demande des légumes parfaits et sans pesticide avec toujours un rendement élevé parce qu’il faut satisfaire la demande. Il faut donc que cela soit rentable pour eux, pas trop cher pour les consommateurs. C’est un métier qui devient difficile finalement. On leur impose beaucoup de contraintes. Nous, on est là pour essayer de les accompagner. Ce qu’on souhaiterait aussi, c’est faire évoluer la mentalité des consommateurs, qui sont les acteurs de ce changement. Ils doivent prendre conscience que oui, il y a des pesticides, oui ce n’est pas forcément bon pour la santé, mais qu’ils peuvent par leur pouvoir d’achat faire changer cela. C’est-à-dire d’accepter que les légumes ne soient pas parfaits ou lisses, d’accepter qu’il n’y a pas tous les légumes à toutes les saisons car il y a des saisons où il y a plus de ravageurs. »

Maud Scorbiac et Blandine Rosies reconnaissent qu’on se trouve dans un climat tropical. « Il y a beaucoup de maladies, beaucoup de ravageurs. Les conditions ne sont pas évidentes. Cela peut se comprendre. Mais c’est vrai que du point de vue des consommateurs, l’utilisation de pesticides est difficile à accepter. Si on peut éliminer les pesticides, tant mieux. Mais ce n’est pas que le pouvoir de l’agriculteur : il y va aussi de la demande du consommateur. Un des leviers, c’est de changer les variétés. Mais il faut que le consommateur accepte. Donc, le producteur et le consommateur doivent travailler main dans la main. »

Quid de l’utilisation de pesticides à La Réunion ? « La Réunion est soumise à la réglementation européenne. On n’utilise pas les mêmes pesticides. D’ailleurs, il y a des pesticides qu’on utilise ici et qui ne sont pas du tout homologués en Europe. Par ailleurs, on ne travaille pas forcément sur les mêmes superficies. Ici, il y a des surfaces plus grandes. Mais globalement, on fait quand même face à un certain nombre de ravageurs qui sont communs, ce qui est un des gros problèmes de l’agriculture. »

Les deux chargées de mission en agro-écologie disent sentir que les agriculteurs « ont envie de changer, même pour leur propre santé, car ils mettent leur santé en jeu » en utilisant des pesticides. « Par contre, on a l’impression que, pour l’instant, ils n’ont pas les moyens de changer et qu’ils prendraient trop de risques. En effet, s’ils n’ont pas un rendement avec leurs choux à la fin du cycle, ils ne pourront pas nourrir leur famille. Ils ont besoin d’avoir des moyens. On leur propose un accompagnement technique. » Elles espèrent à terme déclencher un changement dans les pratiques agricoles et que « les producteurs se lancent dans une nouvelle dynamique ». Elles poursuivent : « Mais on ne donne pas de chiffres. On travaille avec du vivant et c’est compliqué. Par contre, les producteurs ont déjà commencé à changer. Ils ont déjà commencé à mettre de petits leviers agri-écologiques. C’est ce qu’on veut voir de plus en plus. On n’a pas annoncé pas de chiffres mais on annonce des objectifs d’amélioration qui sont propres à chaque producteur. Ce sont eux qui les déterminent en fonction de ce qu’ils veulent. »

La Chambre d’agriculture a répondu à un appel d’offres du HRDC pour un programme de formation sur un an. La première partie de la formation a été entamée la semaine dernière. « Il y a des experts qui viennent de La Réunion et de France, mais aussi des experts locaux, pour leur donner des outils afin de leur permettre d’améliorer leur système de production. »

Maud Scorbiac et Blandine Rosies sont deux jeunes volontaires rémunérées et envoyées en mission par France Volontaires. Leurs contrats respectifs – qui durent un maximum de trois ans – expirent en septembre pour l’une et en décembre pour l’autre. Maud Scorbiac explique : « Je trouve assez extraordinaire ce contrat. C’est ma première expérience après mon diplôme. Je ne pense pas que j’aurais pu avoir accès à ce type de responsabilités en France. C’est très enrichissant de travailler avec l’ensemble des acteurs de toute une filière. Après, cela correspond à mes valeurs personnelles d’aider à changer l’environnement… ».

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -