SOCIÉTÉ : Rodrigues fête l’un de ses rares centenaires masculins

Pour marquer cet événement, le centenaire était entouré, avec toute l’affection attendue et méritée de six enfants encore vivants, de ses 32 petits-enfants et 36 arrière-petits-enfants et des amis et connaissances. Des membres de sa famille, dont trois installés au Canada, en Angleterre et en Australie, ont fait le déplacement pour une grande réunion familiale, hier, démarrant avec une messe d’actions de grâces en l’église de Notre-Dame de Brûlée, puis une réception civique avec la participation des personnalités de l’île, dont le chef commissaire, Serge Clair et le commissaire de laSécurité sociale, Daniel Baptiste, pour terminer avec un dîner plus intime dans un des restaurants les plus In de Rodrigues dans la soirée.
Affichant une parfaite santé et une démarche des plus fringantes, Papen Plaiche fait preuve d’une mémoire quasi infaillible sur les principales étapes de la vie à Rodrigues Létan Lontan. Il demeure une véritable exception parmi les hommes à Rodrigues. Et pour cause. Le fait inéluctable dans l’île se traduit par les méfaits chez les hommes de l’alcoolisme ou encore de l’abus de boissons alcoolisées que ce soit sur la santé des individus ou sur le tissu familial et social.
D’entrée de jeu dans la conversation, le centenaire se fait un point d’honneur de souligner un fait avec force. Il n’a jamais touché à une goutte d’alcool jusqu’ici et ce ne sera pas le jour de ses cent ans qu’il en fera l’exception. «J’ai atteint l’âge de 100 ans parce que je n’ai jamais consommé de boissons alcoolisées, ni grillé une cigarette. Dans mon enfance, j’ai consommé du lait de vache et de chèvre et j’ai été nourri abondamment d’Arrow Root sans compter subséquemment de la farine de maïs, de cornflour ou encore de café planté, récolté et torréfié à la rodriguaise», déclare-t-il en substance avec ses yeux pétillants de bonheur du devoir accompli.
Echappé aurecrutement des pionniers
Né le 9 août 1914, soit presque au début de la Première Guerre mondiale, Papen Plaiche croit également qu’il est toujours en vie aujourd’hui parce qu’il avait échappéau recrutement des pionniers pour aller sur le front lors de la Seconde Guerre mondiale dans les années 40. Il évoquera cette tranche de sa vie avec un brin de nostalgie, mais teintée d’une franchise des plus déconcertantes.
«A cette époque, les autoritésrecrutaient des Rodriguais pour aller à la guerre. Ti nek dir bann dimoune ki ti lor quai mont lor bato pou allé. Bann fami nek konné kan bato ine fini allé. Mo ti lor quai et major-là dir mwa rantr dan bato pou alle la guerre. Mo fine réfize. Ki fer? Mo fine mazine mo fami avek mo dé tibaba. Mo pas ti ouvle kit zot. Après, mo ti per atansyon mo alle mor laba», avouera Papen Plaiche avec un sourire éclairant son visage.
Avant de venir passer sa retraite à Grande-Montagne, à côté d’une de ses filles, PierrePlaiche a vécu initialement à Pointe Apine, une petite agglomération au Sud de Rodrigues et en bord de mer. Une région où les rares habitants s’adonnaient à des activités relevant de la pêche, de la culture vivrière et de l’élevage. Puis en raison de l’éducation de ses enfants, il s’est déplacé à Saint-François avant d’atterrir à Grande-Montagne.
«Je ne possédais pas autant de têtes de bétail que mon père. Il en avait environ 300. Mais pour nourrir les membres de ma famille, soit mes huit enfants, j’avaisun élevage de 40 boeufs et j’étais également pêcheur. Mo fine passé par buku danzé dans la mer. Mé Bondié fine protez mwa buku», poursuit-il.
Le centenaire se rappelle comme si c’était hier de cet épisode où il luttait avec une grosse carangue en mer alorsque sa pirogue filait seule hors du lagon. Cette affaire remonte aux années 50 où le poisson était encore en abondance pour dire le moins. «En ramenant dans l’embarcation des casiers de poissons, il y avait toujours des carangues rôdant aux alentours tentant de se nourrir des prises. Ce jour-là, j’avais vu une énorme carangue. Kuma mo ine truv sa, mo ine pran ène lafouine pou pik kuma li remonte. Comble de malchance, le poisson ainsi ferré avait continué à lutter et j’ai dû descendre dans le lagon. Mais quand j’avais pu maîtriser le poisson et le placer sous mon bras, je me suis rendu compte que ma pirogue prenait le large. Je me suis mis à courir dans l’eau pour la rattraper et ce ne fut nullement facile. J’ai pu retourner à terre sain et sauf par la grâcede Dieu»,se rappelle-t-il.
L’aventurela plus dramatique
Mais ce ne fut pas l’aventure la plus dramatique pour lui en mer. «Un autre jour, j’étais seul dans mon embarcation pour une partie de pêche. Ene kut létan nek leve. Mo truv bann vagues hauteur bann gros gros montagne vini. Mo trakassé. Mo bato ti à vwal. Mo fer laprière et ène ti moma après, bann vagues-là tourne mo bato en direksyon la terre. Labriz ine gonflé mo lavwal et mo bato alle vers lakot. Sa ti ene gran moma dans mo lavi. Mo ti kwar la fin pe vini en fas», concède-t-il en regrettant encore aujourd’hui le meurtre d’un homme religieux et d’un dénommé Joseph Félicité en pleine mer dans les années 60.
«Jusqu’ici, il n’y a eu aucune trace de ces deux victimes. Et ce n’est un secret pour personne que la sévère sécheresse, qui a prévalu de 1968 à 1975 à Rodrigues, est perçue dans la croyance populaire comme une véritable malédiction suite à ce double meurtre en mer. Cette sécheresse a décimé le cheptel bovin et caprin à Rodrigues avec des conséquences graves pour les cultures vivrières», fait-il comprendre avec tout le sérieux du monde.
En tant que père de famille, Pierre Plaiche a toujours accordé priorité à l’éducation de ses enfants. Aujourd’hui il ne peut être que très fier du parcours réalisé par chacun des huit enfants, dont six sont encore en vie. L’un de ses fils, Louis Plaiche, qui a émigré en Australie et a fait le voyage à Rodrigues pour cet anniversaire hors du commun, saisit l’occasion pour rendre un vibrant hommage à son père.
Il sera rejoint par sa soeur Marjolaine Plaiche, qui a terminé sa carrière en tant que maîtresse d’école. «Papa est un homme généreux de coeur. Il a tout fait, au risque de sa sacrifier, pour l’avenir de ses enfants. Nous ne manquions de rien en terme matériel. Contrairement à maman, qui était très sévère, papa nous gâtait», ajoute-t-elle.
Et à Papen Plaiche de conclure avec son credo : le travail et l’effort sont à la base de toute réussite, aussi minime soit-elle, même si ce n’est nullement une mince affaire d’être reconnu comme le premier centenaire masculin de Rodrigues

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