Suttyhudeo Tengur : « La politique n’est pas une cuisine avec quelques casseroles »

Il est temps pour le Premier ministre, Pravind Jugnauth, de déployer les grands moyens pour regagner la confiance de la population. C’est ce que pense le syndicaliste et président de l’Association for the Protection of the Environment and Consumers, Suttyhudeo Tengur. Pour lui, « la politique n’est pas un salon avec quelques verres et encore moins une cuisine avec quelques casseroles ». Toutefois, il salue les récentes mesures prises en faveur de la population, telles le salaire minimal.

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En tant qu’observateur politique, quelle est votre analyse de la situation politique actuelle ?

Faisons d’abord brièvement l’historique des événements. Au lendemain des élections de 2014, le nouveau régime en place, l’Alliance Lepep sous la férule de sir Anerood Jugnauth, bénéficiait d’un goodwill formidable auprès de la population. D’ailleurs, sa victoire écrasante en témoignait. Les attentes de la population étaient énormes et l’on s’attendait que le deuxième miracle économique se reproduise avec Vishnu Lutchmeenaraidoo aux Finances. D’ailleurs, le premier budget du régime était focalisé sur de gros projets afin de faire de toute l’île Maurice un énorme chantier de travail. L’espoir était de mise, mais pas pour longtemps. Au fil des mois, cette confiance a commencé à s’éroder. Maintenant, cela fait trois années que la population est lasse d’attendre. Cela paraissait peut-être normal pour n’importe quel gouvernement élu dans le cadre d’un système démocratique. Mais, malheureusement, à la place des projets de développement, ce sont les tiraillements internes, soit Bhadain v/s Lutchmeenaraidoo et les nominations scandaleuses des proches, qui allaient dominer la scène politique. L’arrogance s’installait au plus haut niveau. C’était le début de l’usure de la confiance peuple-gouvernement. De l’autre côté, l’opposition, divisée, n’était pas en mesure de pousser le régime dans ses derniers retranchements. À part les Private Notice Questions au parlement et les reportages kilométriques n’ayant même pas touché la population, on est en droit de se demander ce que vaut cette opposition. On dit toujours que la population a le gouvernement qu’elle mérite, mais est-ce qu’on a l’opposition qu’on mérite ? Une telle situation permettait aux dirigeants des largesses en plaçant leurs proches à des postes clés.

D’ailleurs, la passation du pouvoir de SAJ à son fils Pravind, histoire de “papa-piti”, est devenu un slogan. Et dans le sillage de ce changement, c’est Roshi Bhadain qui a voulu jouer aux gros bras. Mais comme tout néophyte en politique, sa démission pour provoquer la partielle au N° 18 comme une protestation contre le Metro Express lui a porté un coup fatal. Il se relèvera difficilement et pourra bien être un petit roquet politique. Le régime a laissé des plumes durant ces trois dernières années mais cela ne veut pas pour autant dire que l’opposition est remontée en dépit de la victoire d’Arvin Boolell à cette partielle. Valeur du jour, le régime de Pravind Jugnauth devra déployer les grands moyens, s’il en est capable, pour remonter la pente et regagner la confiance perdue auprès de la population.

Avec les finances publiques soutenant sa horde de conseillers, je lui souhaite bonne chance car la politique n’est pas une question de salon avec quelques verres, et encore moins de cuisine avec les casseroles ; il faut vivre la réalité sur le terrain, sinon la pente sera encore plus dangereuse…

Nous avons assisté à de nombreux scandales ces derniers temps, pensez-vous qu’en deux ans le gouvernement pourra améliorer cette image déjà affectée auprès de la population ?

L’arrogance des nouveaux dirigeants pour nommer leurs proches était sans limites. La nomination du papa de Roshi Bhadain à la présidence de la BDM était déjà une affaire de papa-piti. Celle de Vijaya Sumputh comme directrice du Cardiac Centre, la femme d’Anil Gayan à la tête du MGI, son gendre Kevin Ramkaloan comme directeur de la Mauritius Tourism Promotion Authority, étaient une indication claire de cette arrogance. D’ailleurs, il ne faut pas oublier la déclaration intempestive de Gayan, « we are here to govern », qui en dit long. Depuis, les autres scandales se sont succédé, dont l’affaire “bal kouler”, le “BiscuitGate” et Heritage City, projet piloté par Roshi Bhadain, et qui a engouffré plusieurs millions de roupies de l’État, payées à une firme douteuse de Dubaï, sans compter les affaires Betamax et BAI, toujours pilotées par Bhadain. On peut continuer à égrener la quarantaine de scandales qui ont secoué le pays et qui ont donné un rude coup à ce nouveau régime. Entre-temps, les gros projets annoncés en grande pompe se font toujours attendre alors que l’espoir de la population s’amenuise de plus en plus. À moins d’être aveuglé par l’arrogance pour ne pas constater cette réalité.

Selon votre dernier communiqué, la population s’attend à la concrétisation du projet Metro Express. Croyez-vous que ce projet sera l’élément principal pour que Lalians Lepep remporte à nouveau les élections générales ?

Le Metro Express sera certainement le plus gros projet que l’île aura connu et qui sera en quelque sorte le moteur de la croissance économique. Mais il n’y aura pas que le Metro Express. Il y a aussi d’autres projets d’infrastructures publiques qui je suppose seront mis en chantier dans les mois à venir. Donc, la locomotive du développement économique ne sera pas que le Metro Express mais aussi d’autres projets qui seront tous des projets de l’État.

Toutefois, je constate que le secteur privé n’est pas au premier plan de ces développements. L’investissement du secteur privé se limite surtout dans des projets qui lui rapportent gros, tels les “smart cities”. Donc pour que Lalians Lepep puisse remonter la pente et gagner les prochaines élections générales, il y a bien plus à faire pour rétablir cette confiance de décembre 2014. Pravind Jugnauth ne manque pas de “superconseillers” pour le guider vers cette voie !

Vous abordez également la situation socio-économique en parlant d’une distribution équitable de la richesse nationale pour qu’il y ait la stabilité politique. Devrons-nous accepter le fait que l’écart se creuse davantage entre les riches et les pauvres ?

Qui sont les riches ? Si vous regardez la grille salariale dans le secteur privé, vous verrez l’énorme fossé qui existe entre le salaire du CEO et le dernier des plantons. Dans le gouvernement, il y a aussi des nouveaux riches à la tête des corps parapublics ou comme directeur de cabinet ou “superconseillers”.

Donc, quand je parle d’une redistribution des richesses, je souhaite un nivellement par le bas mais qui s’accompagne aussi d’une amélioration du taux de productivité. On ne peut pas tout simplement augmenter les salaires sans rien attendre. J’estime qu’un des points positifs de Lalians Lepep est l’introduction du salaire minimal. C’est un excellent début pour une nouvelle répartition de la richesse nationale.

Le prix de l’essence et du diesel a récemment enregistré une hausse. La raison évoquée est l’augmentation de prix au niveau mondial. Pensez-vous qu’il était inévitable d’avaliser cette hausse ?

J’estime qu’il n’y a aucune justification pour imposer une telle augmentation surtout en décembre pendant la période festive. Quand le prix du pétrole s’élevait à USD 140 le baril, ce fut ce prix qu’on imposait alors qu’aujourd’hui, le prix se situe autour de USD 60. Où est la logique ? Pourquoi pénaliser la population injustement ?

Pensez-vous que le PSAC allège le fardeau de l’élève ?

Avec l’évaluation continue pendant l’année et les examens écrits (40-60), c’est déjà un premier pas pour que l’enfant et surtout ses parents ne soient soumis à un stress inutile. Cependant, il faut encore un meilleur encadrement de l’enfant pour qu’il puisse se développer dans un environnement optimal – tant pour son développement physique qu’intellectuel. On est encore à la première année du PSAC. Attendons voir. S’il y a encore des mesures correctives à prendre pour améliorer le système, les autorités doivent agir en fonction avec la participation des parties prenantes, dont les enseignants à travers leurs syndicats et aussi les parents.

Le PSAC est critiqué par les syndicalistes dans le secteur de l’éducation. Vous-même en tant que syndicaliste partagez-vous cet avis ?

Il faut voir le projet de Nine-Year Schooling dans sa globalité. Les détracteurs de ce projet veulent-ils un retour à l’ancien système avec le CPE ? À moins qu’ils aient perdu la tête ! Veulent-ils un taux d’échec annuel de 35 % ? Il ne faut pas porter des œillères. Il faut être ouvert et placer l’enfant au centre du système d’éducation afin que le pays en tire les bénéfices à long terme. Je ne voudrais pas en dire plus au risque d’en offenser certains.

Par ailleurs, quel est votre point de vue sur la qualité de nos légumes et la santé de la population ?

Nous constatons que l’utilisation excessive des produits chimiques dans nos cultures a un effet néfaste sur notre santé. Mais on ne peut pas blâmer les planteurs car ils n’ont aucune assurance pour réparer les dégâts. Alors faut-il qu’ils aient des protections tout comme les éleveurs de porcs pour pouvoir continuer à produire des légumes sains pour la population ? La balle est dans le camp du ministère de l’Agriculture.

Pensez-vous que nous sommes en retard dans l’éducation des planteurs concernant l’utilisation des fertilisants bio ?

Un retour au bio est salutaire. On assiste en ce moment à un engouement pour les produits bio, malgré les prix élevés. Mais pour ce qui est des planteurs, il faut toute une campagne d’éducation pour les ramener à la culture bio. Cependant, il ne faut pas oublier que non couverts par une assurance, ces planteurs de légumes auront toujours recours aux produits chimiques pour protéger leurs plantations. Il appartiendra au ministère de l’Agriculture, conjointement avec celui de l’Environnement, de mener une campagne agressive auprès des planteurs pour un retour vers la culture bio. Encore faudra-t-il que ces planteurs aient suffisamment de fumier et autres compost pour une agriculture saine.

Pensez-vous que nous arrivons à implémenter comme il le faut les lois qui sont votées pour la protection des consommateurs ?

Même pour les lois qui sont là, il faut éduquer le consommateur. Je constate que le gouvernement n’a pas une politique clairement définie pour éduquer le consommateur. Le ministère de la Protection des consommateurs doit initier un plan au niveau national pour que les consommateurs connaissent leurs droits et puissent avoir une proximité pour enregistrer leurs plaintes. J’estime que, sur ce plan, le ministre de tutelle a complètement échoué.

Craignez-vous que l’augmentation salariale et le salaire minimal puissent entraîner une hausse des prix à tous les niveaux ?

Oui et non. La raison, c’est que les Mauriciens sont plus judicieux dans leurs achats. Une fois l’euphorie passée, les Mauriciens, à quelques exceptions près, savent faire des choix judicieux dans leurs achats. Ce n’est pas parce que les Mauriciens vont gagner plus d’argent qu’ils vont s’adonner à une folie furieuse de dépenses. Je pense que le Mauricien devient plus responsable dans la gestion du budget familial.

Il y a eu des débats sur l’introduction de la langue créole à l’Assemblée nationale. Il semble que vous n’êtes pas uniquement d’accord avec le kreol mais aussi d’autres langues. Quelles sont vos raisons ?

Et pourquoi pas l’hindi ? Et pourquoi pas l’ourdou ou encore le tamil ou le mandarin ? Il ne faut pas être ridicule. Il faut respecter le décorum parlementaire. Je n’ai rien contre la langue créole. Je vois mal les parents encourager leurs enfants à apprendre une langue qui ne les mènera nulle part. C’est un débat ridicule et j’estime qu’il faut laisser le temps au temps car l’implantation d’une langue prendra encore de nombreuses années. Alors, il ne faut rien bousculer. Et comme le disait si bien feu SSR, « na pa tous lalang ou la kiltir ».

Nous avons commencé l’année avec des accidents meurtriers. Et l’année dernière, nous avons enregistré 157 morts sur nos routes. Est-il temps de réintroduire le permis à point ou devons-nous davantage durcir les lois ?

Pour moi, un mort sur la route, c’est un mort de trop. Est-ce qu’en rendant les lois plus sévères avec des pénalités encore plus sévères, on arrivera à atteindre notre but ? L’alcool à Maurice fait déjà beaucoup de victimes. Sous les provisions de la Road Traffic Act, le taux d’alcoolémie autorisé à Maurice est de 23 microgrammes pour 100 millilitres de souffle. Les lois sont là, mais il faut les appliquer dans toute leur sévérité…

Je vous rappellerai une pensée de William Shakespeare dans Twelfth Night : « One draught above heat makes him a fool, the second mads him and a third drowns him ! » En outre, des règlements plus sévères, tels la suspension immédiate d’un permis de conduire en cas d’alcoolémie plus élevée, doivent être introduits sans plus tarder. De même, les policiers, surtout les motards, doivent être mis sous étroite surveillance pour des cas de corruption.

Quels sont vos souhaits pour 2018 sur le plan socio-économique et politique ?

Je souhaite que les Mauriciens puissent aspirer à une meilleure qualité de vie avec un “feel good factor” pour qu’on puisse vivre en paix.

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