TÉMOIGNAGE—CADRESS RUNGEN RACONTE…: La première messe de Divali du père Souchon en 1973

Cadress Rungen avait 15 ans lorsque le père Souchon, lors d’une visite au collège Bhujoharry – où il était élève –, lui a fait part de son idée de célébrer « enn gran lames Divali » à l’église Immaculée Conception. Engagé à l’époque dans la mission catholique indienne, le père Souchon lui confie alors la tâche de concrétiser ce projet, impensable à l’époque. Une initiative qui date de… 40 ans. Deux semaines après la disparition de celui qui a donné le ton au dialogue interreligieux à Maurice, le responsable du Groupe A de Cassis raconte, avec une grande émotion, le déroulement de cette messe, qui n’avait pas été du goût de quelques paroissiens conservateurs. Mais depuis 1973, l’Église a changé à Maurice, notamment en ce qui concerne l’accueil des autres sensibilités culturelles dans la liturgie.
« Débrouillez-vous… Cette messe de Divali doit avoir lieu ! ». C’est ce qu’avait lancé le père Souchon à ce petit groupe de jeunes qui, autour de Cadress Rungen, se concertaient dans la cure sur la manière de célébrer pour la première fois Divali à l’église Immaculée Conception. C’était en 1973. Quarante ans plus tard, Cadress Rungen se souvient dans les moindres détails des préparatifs, qui ont duré un mois. Des souvenirs qu’il se plaît aujourd’hui à partager avec ses deux enfants et son épouse, Rajini.
Il raconte : le père Souchon passait en coup de vent dans ces réunions, pour s’enquérir de l’évolution des préparatifs. Ne voulant pas choquer les paroissiens par cette nouveauté, Cadress explique que le groupe avait pensé à une messe plutôt sobre et s’était dit que l’inclusion de quelques chants en tamoul et l’installation de quelques diyas sur les parvis de l’église seraient suffisants pour « marquer le coup ». Mais Henri Souchon voulait une célébration beaucoup plus éclatante, tant dans la forme que dans le fond. « Il voulait des rites indiens dans la cérémonie. Il voulait que l’église soit décorée dans les éléments de la culture indienne. Li ti dir nou met fey banann dan lantre. Enn lot zour li dir nou “ki zot panse si mo met enn linz swami lor moi ? Mo pou fer enn vini depi l’Inde”. Les membres de la chorale devaient s’habiller en kurta, sari et churidar, le père Souchon insistait sur ce point. Sa lepok-la bann madam ti ezite pou rant dan legliz avek enn sari. Avan sa lames divali-la, zame mo finn oze met enn kurta pou vinn lames », raconte le coordinateur de cet événement, qui se souvient de l’étonnement qu’a marqué le petit groupe lorsque le père Souchon leur demanda de penser aussi à une danse après la communion pour la prière d’action de grâce. « Nou ti byen sirpri e dekonserte par so bann lide ki zame nou ti pou oze. »
Et ce n’est pas tout. Henri Souchon avait souhaité que Gian Sobhee, le meilleur joueur de tabla à Maurice – et qui avait gagné une grande réputation avec cet instrument (il est décédé il n’y a pas très longtemps) –, participe à cette messe de Divali. Et l’intéressé avait accepté. L’invitation à cette messe avait été lancée à l’ensemble des habitants de la région et aux paroisses avoisinantes ainsi qu’aux chefs d’autres confessions religieuses et à certains politiciens qui habitaient Port-Louis.  Tous étaient invités aussi à se joindre à une fête après la messe au Centre social Marie Reine de la Paix. Les jeunes organisateurs se sont alors rendus compte de l’ampleur de l’événement à venir et qu’il fallait renforcer l’équipe organisatrice. « Les différentes instances de la paroisse ont pris en main l’organisation et nous avons formé une grande chorale », poursuit C. Rungen. Un sentiment d’excitation, mêlé toutefois à un peu d’inquiétude, a empreint cette préparation. « Ne croyez pas que tous les paroissiens étaient  d’accord avec l’idée du père Souchon. On entendait souvent : “Ki zot pe rod fer dan legliz.” On se demandait nous – même si les fidèles allaient venir et s’ils resteraient jusqu’à la fin de la messe. »
Mais l’événement religieux, qui s’est déroulé à l’Immaculée Conception, a attiré une importante foule. Et finalement, tout se déroula selon le programme prévu. Sur une des photos – aujourd’hui jaunies par le temps – que Cadress Rungen garde précieusement, on peut y apercevoir Satcam Boolell, qui habitait d’ailleurs la capitale. Personne ne s’est offusqué que la messe ait été beaucoup plus longue que d’habitude. Et le mélange des langues pour les chants et les prières (kreol, français, anglais, tamoul, hindi et sanskrit) n’a  pas dérangé l’assistance. Cette messe,  qui a coupé à travers les cultures, a  marqué profondément ce collégien des années 70. « En tant que citoyen mauricien de foi catholique, et ayant des ancêtres d’origine tamoule, j’étais ému par ce qui se déroulait dans ce lieu de prières. J’avais 15 ans et j’étais au tout début de ma vie d’adulte. J’ai senti ce jour-là, et pour la première fois, l’Église universelle. Dans son homélie, le père Souchon avait rassuré les chrétiens réfractaires à sa démarche que l’Église n’avait pas dévié de sa mission et que cette messe de Divali était le symbole de l’unité des Mauriciens. Je pense qu’il a commencé ce jour-là à véhiculer l’esprit du mauricianisme, sans pourtant utiliser ce terme. J’ai vu comment  les personnes étaient contentes à la sortie de l’église. La fête qui s’en est suivie au Centre social a été un grand moment de fraternité. J’étais encore plus heureux d’avoir été impliqué dans les préparatifs de cet événement », témoigne le travailleur social, ajoutant que c’était aussi le début d’une belle amitié avec l’ancien curé de l’Immaculée Conception. « C’est grâce au père Souchon que je suis engagé dans le social aujourd’hui et, particulièrement, dans le combat contre la toxicomanie », confie-t-il.
A six semaines de la prochaine célébration de Divali, Cadress Rungen compte suggérer à la paroisse de l’Immaculée Conception de marquer ces 40 ans de l’initiative du père Souchon. Une occasion, selon lui, de rendre hommage à ce dernier d’une manière particulière pour avoir osé ce mélange interreligieux et interculturel, qui a ouvert la porte à d’autres initiatives  pour l’intégration d’autres cultures dans les grandes fêtes figurant au calendrier liturgique catholique et dans les cérémonies de mariage mixte.

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