THÉÂTRE Madogs of Diego: Sapsiway porte la voix des Chagos à San Francisco

Époustouflante. C’est ainsi qu’on peut qualifier la pièce “Madogs of Diego” écrite et mise en scène par Gaston Valayden de la Trup Sapsiway. Elle raconte l’épisode qui a précédé la déportation des Chagossiens et le démantèlement de l’archipel du territoire mauricien. La pièce a été choisie pour être présentée au San Francisco Fringe Festival qui se tient en septembre aux États-Unis. Cette année, Sapsiway portera la voix chagossienne aux États Unis.
C’est l’obscurité la plus totale. Soudain le silence est rompu par une voix qui relate en grandes lignes la création de l’humanité. Et nous voilà plongés dans une scène qui a existé autrefois dans l’archipel de Diego Garcia : des Chagossiens dépaillant les noix de cocos et s’affairant autour de leurs filets de pêche. Que des souvenirs aujourd’hui dans la mémoire de ceux qui ont été déportés afin que Maurice puisse obtenir son indépendance de la Grande-Bretagne en 1968. Leur souffrance est encore vive. Le combat que mènent les Chagossiens pour retrouver leur terre natale en témoigne.
Cet attachement à leur terre, leur mode de vie, leurs chiens, Gaston Valayden le dépeint de très belle manière dans sa pièce. Dans un décor dépouillé, il laisse beaucoup de place à l’imagination du spectateur, aidé en cela par les bruitages appropriés de Lorven Vydelingum et la musique de Lindley Jean. La souffrance engendrée par la déportation également est ainsi plus flagrante, et les comédiens ne tombent pas dans l’exagération pour la faire sentir. Leurs répliques et leur jeu de scène suffisent.
Émotions
Une des scènes fortes de la représentation est sans conteste celle de la négociation, où l’on voit le Premier ministre d’alors s’entretenant avec un Britannique. Elle montre les deux personnages assis sur le dos des Chagossiens et renvoie l’image forte que c’est sur leurs dos que Maurice a pu obtenir son indépendance et qu’ils ont été déportés sans leur consentement. Voilà pour le scénario.
Concernant l’interprétation de la pièce, elle est tout simplement magnifique. Insensible sera celui qui ne sera pas touché par la pièce jouée par Gaston Valayden et Marcel Poinen, qui interprètent plusieurs rôles, ainsi que Christopher Ratsizaonen (Vincent) et Aarti Tacouri (Sylvie). On peut même rester pantois quant à la manière de faire des Britanniques et des Américains et le double langage du PM de l’époque.
Le metteur en scène a aussi réussi le pari de dépeindre la vie, et la joie, qui ont régné dans ces îles lointaines, et la souffrance qui s’est ensuivie avec la déportation, sans tomber dans le mélodrame. Laissant ainsi au spectateur le libre soin de ressentir les émotions qu’il veut pour la scène qui défile sous ses yeux. Le jeu des comédiens et les différents rythmes imposés y contribuent également.
Choqué
Pour en arriver là, il a bien évidemment fallu beaucoup de travail. Tout commence en 2004 quand Gaston Valayden laisse monter son inspiration pour écrire la pièce. Cela après avoir longtemps été touché par l’histoire de la déportation des Chagossiens. « L’histoire était dans ma tête depuis les années 76-77. Avec Kishore Mundil on discutait du problème des Chagossiens à l’Université de Maurice. C’est là que j’ai pris conscience de leur situation ».
Touché, il ne savait pas encore sous quelle forme il allait pouvoir parler de leur vécu. Sa rencontre avec Olivier Bancoult et Mme Talate a été décisive. « J’ai été choqué par la manière de faire des Britanniques et des Américains ». C’est là qu’il décide de se joindre à leur combat en écrivant “Les Chiommes” (Chiens – Hommes) rebaptisé par la suite “Madogs” (Man – dogs) pour être présenté à un public anglophone quand la pièce a été choisie pour participer au San Francisco Fringe Festival.
Accomplissement
Alors que le froid et la fine pluie de ce jeudi soir en auraient incité plus d’un à rester chez eux, entre les quatre murs de l’atelier de la Trup Sapsiway, à Roches-Brunes, l’atmosphère est marquée par une chaude ambiance. Les comédiens de la Trup Sapsiway sont en place pour leur répétition. Des représentations devant un public restreint sont aussi au programme.
Les présentations faites, les comédiens se replongent dans leur exercice de concentration. Texte en main, ils relisent une dernière fois leurs textes. Peu après, chacun enfile son costume, des vêtements sans artifices qui témoigne de la simplicité de la vie qui a régné à Diego Garcia. D’une voix forte, Gaston Valayden invite tout le monde à se mettre en place. Les répétitions peuvent commencer.
Tous se disent heureux de pouvoir interpréter cette pièce qui a demandé à chacun de bien s’imprégner de l’histoire des Chagossiens pour pouvoir bien entrer dans son rôle. Comme pour tout comédien aguerri, se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre n’a pas été très compliqué. L’expérience de Gaston Valayden a été d’un atout indéniable pour Christopher et Aarti, même s’ils n’en sont pas à leur première pièce avec le metteur en scène.
La troupe est heureuse aussi de pouvoir présenter cette pièce à un public américain qui n’est sans doute pas au courant du drame qui s’est joué il y a plus de 40 ans dans l’océan Indien. « C’est un rêve qui devient réalité », dit Gaston Valayden, qui considère aussi que pouvoir participer au festival de San Francisco est une reconnaissance de son travail et un accomplissement.

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