Vert ça passe, rouge tu’t casses…

BERNARD CAYEUX

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Il est surprenant de constater à quel point les mêmes idées peuvent être reçues différemment, dépendant de qui les émet. Ou est-ce uniquement une question cosmétique ?

BERNARD CAYEUX

La semaine dernière, la plus importante banque commerciale qui se verdit le blason depuis quelque temps, a organisé la conférence “Klima”, au Caudan Arts Centre. Évènement tenu presque à huis clos vu la taille de la salle, à l’intention d’une assistance, semble-t-il, triée selon un volet au gabarit indéfinissable. L’enregistrement intégral de cet évènement est visible en ligne.

Comme son nom l’indique, l’évènement s’articulait surtout autour de l’arbre qui cache la forêt de la question environnementale, le climat et la neutralité carbone. Les préoccupations environnementales sont multiples, mais le climat continue de voler la vedette alors qu’il est le seul volet de l’environnement où il est permis de faire un minimum d’espace au doute quant à la contribution anthropique d’un dérèglement bel et bien réel. Pourquoi donc ce thème récurrent ? Parce que la compensation carbone est une piste fraîche de revenus sonnants et trébuchants, de surcroît lissée comme de l’or. On comprend mieux le rassemblement. La conférence a néanmoins touché les autres volets qui nous préoccupent et semble avoir fait mouche ; c’est autant de gagné. Les puristes pourraient voir en cet évènement une mascarade « des mêmes » qui cherchent encore à assouvir davantage leur boulimie ; il y avait forcément de ça mais avec une perspective sur la possible contribution du capital à très grande échelle à la solution du problème qu’il a lui-même créé.

Outre l’appellation Klima, avec un « K » pour apporter une touche populiste (tiens donc!) le tag était #successbeyondnumbers (re-tiens donc) ! Il y a environ 6 mois dans une de mes plaidoiries déplacées à l’intention d’un gro-palto, je sortis comme dernier recours l’argument que dans un avenir pas très lointain, les entrepreneurs auront pour motivation première, le bien-être des gens et donc la préservation de notre environnement. La répartie ne tarda pas : « Tu n’as donc rien compris du capitalisme. » Pas étonnant que ce même interlocuteur fut le plus « à côté de la plaque » de tous les intervenants lors de la conférence.

C’est qu’il y avait des pointures sur les planches de ce théâtre ; du grand art de la conférence. La teneur des monologues était certes riche et bien structurée, mais le contenu essentiel de la partie conférence n’était pas plus instructif que ce que répètent depuis des années, les experts et mouvements écologistes, y compris les organisations locales, qui sont parvenus à une érudition non-négligeable. À un contenu similaire packaging différent ; les convictions des uns venant du coeur sont sans artifice, celle des autres venant de l’intellect, se présentant sous forme de promesse juteuse. Il n’y a pas photo entre une promesse d’avenir juteux avec l’ivresse du sauveur de l’humanité en prime et une invitation à faire machine arrière et à l’abstinence. En somme ; vert ça passe, rouge tu’t casses…

La croissance serait pour les conférences de décideurs ce qu’est le biryani pour les meetings politiques…

Durant cette première partie la salle était comble et enthousiaste ; quelle était donc cette promesse miraculeuse ? Un modèle de développement durable maintenant le taux de la sacro-sainte croissance économique dans les 3 % comme estimé par la non moins divine Banque mondiale… La croissance serait pour les conférences de décideurs ce qu’est le biryani pour les meetings politiques… Il était question de créer de nouveaux types d’entreprises profitables, de fermes solaires d’algues ou de planctons – Gloups ! – de structures habitables flottantes (re-gloups) ! On citait Laurence Fink, CEO de Blackrock capital, on affichait des taux de rentabilité de 24,5 % atteints par les nouvelles activités d’un groupe industriel indien, qualifiées sans complexe de « vertes » sous prétexte qu’il s’agit de produits évitant ou réduisant les émissions de CO2.

Tout va bien donc dans cette belle salle climatisée, les sujets sont captivés, médusés par les invités du temple de la finance, les dieux sont tombés sur l’estrade. Les voilà allégés, rassurés, non seulement d’être au bon endroit au bon moment mais de l’avoir été depuis toujours, de faire partie de l’équipe gagnante ; comme d’hab.

Ce même intervenant devait cependant apporter le premier bémol lorsqu’il avoua ne pas reconnaître cette île qu’il avait visitée en tant que touriste (seulement) 15 ans plus tôt, en raison de sa forte urbanisation… Gageons qu’à ce moment précis certains dans l’assistance se sont subitement rappelé qu’ils avaient rendez-vous ailleurs.

La salle était d’ailleurs bien moins comble lors de la 2ème partie, sous un format de table-ronde, durant laquelle il a été question des réalisations bienfaitrices du cosmos capitaliste, notamment celles de Livelihood Funds (émanation du groupe Danone), dans les différentes régions du monde, comme la réhabilitation de la mangrove dans le delta du Gange. Mais en alternance, des plaidoiries appelant à la conservation pure ainsi qu’à la nécessité d’un retour à un mode de vie frugal.

Hourra ! Le concept de smart cities fut balayé du revers de la main par un des intervenants, prônant plutôt un concept de ville adaptée au climat tropical réalisable sous certaines conditions, entre autres : que les matériaux des bâtiments soient de matières végétales et que ces « villes » soient riches en arbres…

Pendant ce temps, à Floréal, des arbres se faisaient massacrer l’un après l’autre pour faire place à un Mauricio qui, toujours au même moment, était HS…

Découlant des intervenants mauriciens, c’est non-seulement la réalité d’une lourdeur administrative (red tapes) mais ce flou, même pas artistique, à propos de la directive, rejoignant d’ailleurs ce qu’avait dit C. Gounden du collectif AKNL un peu plus tôt la semaine dernière, à savoir que la politique en matière environnementale et de planning du développement en général restait « brouillon » ; citant d’ailleurs le même exemple, celui du projet waste to energy qui subitement refait surface (adding insult to injury avec un opérateur étranger).

Il s’agissait d’un avenir possible et relativement proche, tellement proche qu’on ne peut que regretter qu’en préparation pour ces prochaines étapes, il n’y ait pas de mesures légales ou économiques pour inciter, voire obliger les commerçants et industriels à récolter et traiter les déchets émanant de leurs activités. Ainsi pour chaque machine à laver vendue, obligation de récupérer l’ancienne. Si vraiment, comme ils le prétendaient, le recyclage et le traitement de déchets peuvent être des activités profitables, pourquoi ne pas s’y mettre dès aujourd’hui. Il ressortait qu’on ne peut s’attendre à aucun investissement dans le traitement de déchets solides tant que cette politique n’est pas précisée. Allons-nous faire preuve d’attardement à éventuellement trier en aval (ou pas du tout pour mieux nourrir l’incinérateur et engraisser l’investisseur) ou comme une société mature et responsable et implémenter le tri en amont et la culture du compostage et de l’économie circulaire par la même occasion ?

Les grandes idées se rencontrent bel et bien ; qu’elles proviennent d’une écologiste ou d’un panel de businessmen, d’investisseurs ou d’experts. L’enjeu est quant à lui défini, la notion du progrès est ainsi redéfinie et les éléments saboteurs identifiés. Le calendrier aussi est connu, nous avons tout juste une décennie pour tout changer. Alors activistes, capitalistes et même les utopistes doivent se mettre à table, à la même table. Plus le temps d’ignorer, de renier, de tergiverser, de diaboliser, de boycotter et encore moins d’intimider par des biais juridiques douteux et autres coups sous la ceinture. Pour rejoindre le discours en conclusion, un capitalisme repensé peut former partie de la solution au problème de l’environnement, même s’il en est la cause première. La beauté de la chose est que si nous extrapolons cette réflexion, il y a de plus fortes chances que ça soit l’écologie qui sauve le capitalisme…

Ce jeudi 13 février, les acteurs du privé sont encore une fois conviés, au même endroit, cette fois par l’ONG Eco-sud et la thématique sera à propos de la nécessité du ESA Bill ; projet de loi visant à protéger les zones sensibles sur l’ensemble du territoire, qui dort dans un tiroir depuis… 2009. Nous ne pouvons qu’espérer que la salle soit aussi pleine et aussi enthousiaste, même s’il ne s’agira pas de se leurrer d’une croissance à 3 %.

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