Vidur Ramdin : « Les Mauriciens ne s’intéressent toujours pas à l’Afrique ! »

Il y a un an et demi, Week-End publiait l’interview de Vidur Ramdin, Mauricien travaillant comme directeur des communications du Fond africain de développement (FAD). Ce fonds, dont Maurice fut un des membres fondateurs, a été créé pour aider les gouvernements et entreprises privées africains dans leurs projets de développements. Or, déplorait Vidur Ramdin dans son interview, Maurice et les entrepreneurs mauriciens n’utilisaient pas les programmes mis à leur disposition par le FAD. Il concluait en faisait un appel pour que les Mauriciens en général aillent en Afrique participer à son développement, et utilisent plus particulièrement les programmes du FAD. Nous l’avons rencontré à la veille de son retour en Afrique.

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Il y a plus d’un an et demi vous disiez que les Mauriciens ne s’intéressaient pas suffisamment à l’Afrique, n’ont pas de curiosité pour ce continent, que l’on surnomme celui de l’avenir. Est-ce que depuis la situation a évolué positivement ?
Malheureusement non. Et pourtant il existe des possibilités et des institutions — comme le Fonds africain de développement — qui sont là pour aider les investisseurs potentiels à venir en Afrique. Par exemple, le FAD a, depuis 2017, initié plusieurs missions et actions dans ce sens, mais malheureusement nos efforts n’ont pas été couronnés de succès. Des accords au niveau gouvernemental ont même été signés, mais tout cela prend beaucoup de temps à se mettre en place. Ceci étant, nous avons quand même noté quelques petits signes encourageants grâce à des institutions mauriciennes, comme la Banque de développement, qui ont manifesté leur intérêt. En ce qui concerne cette dernière institution, elle a même signé un accord avec nous et, par ailleurs, la banque Afrasia est en négociation dans ce sens. Les entrepreneurs devraient utiliser les outils mis à leur disposition pour faciliter leur venue et leur éventuelle implantation en Afrique.

Depuis une année et demie aucun entrepreneur mauricien ne s’est-il manifesté, n’a-t-il démontré son intérêt pour l’Afrique ?
Je dois dire que l’intérêt est, pour le moment, très faible. Probablement parce que les Mauriciens connaissent peu et mal l’Afrique en général. Peut-être parce qu’on ne dispose pas de suffisamment d’informations sur l’Afrique et les Africains à Maurice, plus particulièrement pour les entrepreneurs. Des informations sur tous les sujets : de la culture à l’économie en passant par la politique, la géographie, l’histoire et tout ce qui fait la richesse de ce continent. Il manque un élément de confiance en l’Afrique et son avenir de la part des Mauriciens.

Mais il y a de gros groupes ou entreprises mauriciens qui ont, sinon des partenariats avec des entreprises africaines, tout au moins des unités implantées en Afrique. Et pas toujours avec succès.
C’est vrai, mais pas mal de ces groupes et entreprises qui ont eu des problèmes n’ont pas fait les bons choix. Le Zimbabwe, le Mozambique et, dans une moindre mesure, le Kenya, n’ont pas été de bons choix d’investissements. Le Fonds africain de développement a des programmes pour aider les jeunes porteurs de projets mauriciens qui veulent investir en Afrique. En 2025, la population africaine globale sera composée de 25 % de jeunes et 50 % de cette population habitera dans des villes ou des régions urbaines et il faudra pourvoir aux besoins de communications, d’autant plus que la majorité des utilisateurs de smartphones sont les Africains qui sont grands consommateurs de « mobile banking » et de toutes les applications possibles du téléphone. L’Afrique aura besoin de traducteurs, d’informaticiens, de banquiers, de spécialistes de la restauration, du voyage, de l’hôtellerie et des loisirs. Il a également besoin de cadres formés et de personnel compétent et, dans ces domaines-là, Maurice a déjà une expérience et une expertise à offrir. Par ailleurs, le continent offre des perspectives à nos gradués qui ne trouvent pas d’emploi à Maurice.

Mais il y a quand même des pays africains où la situation politique et sociale est loin d’encourager l’investisseur potentiel.
C’est vrai, il y a en Afrique des pays où il y a des problèmes de différentes natures, y compris politiques et sociales. C’est vrai que des conflits et des situations de tension existent dans certains pays où il vaut mieux ne pas se rendre. Mais l’Afrique est un immense continent composé de régions géographiques différentes et de 54 pays ! Il faut choisir les pays où la situation est correcte et profiter des opportunités et des programmes pour encourager l’investisseur existe.

Paradoxalement, pendant que les Mauriciens hésitent encore à aller vers l’Afrique, d’autres pays, dont la Chine, sont présents sur l’ensemble du continent.
C’est ça qui est chagrinant. Non seulement Maurice est géographiquement à côté du continent, mais il en fait partie par des liens historiques et toute une série d’accords économiques qui le lient aux pays et aux institutions africains. Mais il n’y a pas que les Chinois qui sont installés en Afrique, il y également les Arabes et les Indiens qui ont pris des risques calculés avant de s’établir dans différents pays d’Afrique, des risques que les Mauriciens ne prennent pas. En attendant, d’autres pays sont implantés en Afrique et fournissent aux pays des marchandises, des expertises et du savoir-faire dont le continent a absolument besoin pour se développer. Il est temps de mettre sur place, à Maurice au moins, une institution avec des personnes qui connaissent le terrain et les réalités des pays africains pour informer et accompagner les entrepreneurs mauriciens qui feront le pas. Il est grand temps de penser à une politique mauricienne globale vers l’Afrique. Nous ne pouvons pas ne pas profiter des opportunités offertes aux Mauriciens par le continent africain. Il faut penser à demain : l’Europe et l’Asie sont des marchés un peu saturés, tandis que l’Afrique est celui de l’avenir. Nous avons signé des dizaines de traités avec des pays africains, des « special economic zones » ont été créées par le Mauritius Africa Fund, il faut juste les faire exister concrètement dans la réalité pour que les entreprises mauriciennes participent au développent des pays africains où elles choisiront de s’établir.

Dans votre première interview, vous invitiez les entrepreneurs mauriciens à prendre avantage des conditions offertes par le FDA. Avez-vous eu des demandes de financement de projets ?
Nous avons eu quelques demandes de renseignements. Pour être franc, nous n’avons pas reçu de dossier, mais néanmoins il y a des signes d’intérêt qui commencent à se manifester. Je relance l’appel à tous les entrepreneurs mauriciens, petits et grands, et tous les jeunes diplômés à la recherche d’un job intéressant, qu’ils n’arrivent pas à trouver à Maurice : il existe des institutions et des entreprises africaines qui ont besoin d’eux et, par ailleurs, l’Afrique a besoin d’entrepreneurs dans pratiquement tous les secteurs. Le FAD a créé un comptoir spécial pour Maurice afin d’accompagner les entrepreneurs mauriciens. Nous avons signé un accord de garantie avec la Banque de développement de Maurice d’une valeur de Rs 70 millions à l’intention des PME mauriciennes. Cela veut que si un projet bien pensé et bien présenté est approuvé, son auteur n’aura pas besoin de chercher des capitaux, de mettre son terrain ou sa petite entreprise en gages pour obtenir les capitaux nécessaires. Nous n’attendons que les projets. Venez vous renseigner, venez prendre avantage d’un fonds dont fait partie Maurice depuis sa fondation.

Est-ce qu’en tant que pays, Maurice a fait appel au FAD ?
Ce fonds compte 14 pays membres — dont Maurice qui est un des pays fondateurs — célébrera cette année ses quarante ans d’existence. Durant ces quarante ans, Maurice n’a présenté que deux projets qui ont été financés par la FAD : la construction du Bulk Sugar Terminal en 1982 et, en 2002, pour la construction de 200 maisons par la NHDC. Les autres pays utilisent à fond les dispositions du FAD pour financer leurs projets de développement. Je peux même annoncer que s’il y a un intérêt de la part des entrepreneurs mauriciens, le FAD envisagerait la création d’une branche à Maurice pour traiter les dossiers et activer les démarches. La Chine, l’Inde et les pays arabes savent que dans le futur le développement de la planète passera par l’Afrique. Pourquoi est-ce que nous, mauriciens, en dépit de nos liens historiques, politiques et géographiques avec l’Afrique ne prenons pas avantage de ce qui est offert aux entrepreneurs, jeunes ou déjà bien installés ? L’Afrique est non seulement un immense marché, mais également un continent qui regorge de pétrole, d’uranium, d’or, de toutes sortes de métaux et de terres. Il lui manque l’expertise et les hommes et les femmes formés pour développer ces richesses. Il y a du travail pour les jeunes diplômés et ce travail est bien payé.

Quand vous tenez ce discours aux décideurs mauriciens que vous répondent-ils ?
Ils sont, au début, très réceptifs, enthousiastes même. Mais, malheureusement, il n’y a pas de suite concrète au discours. En tant que directeur des communications du FAD sur les réseaux sociaux et à chaque fois que l’occasion m’est donnée, je passe le message de l’invitation, mais jusqu’à présent nous n’avons pas reçu le « response » que nous attendons. Peut-être faudra-t-il que le gouvernement donne un coup de main pour inciter les entrepreneurs à aller vers l’Afrique. Je le répète : il ne faut pas avoir peur du continent africain, il y a là-bas toutes les ressources et toutes les possibilités de développement que l’on peut souhaiter. La seule chose à faire est de s’intéresser et de s’informer et surtout mettre de côté l’image encore négative que le Mauricien a de l’Afrique.

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