« Wi mo’nn vann ladrog, me aster mo’nn sanze »… confidences d’une détenue

  • De 2008 à 2014, elle multiplie les va-et-vient en prison : « Je savais que je devais changer de vie, mais je n’y arrivais pas. »

Yasmina (prénom fictif) se décrit volontiers comme « la maman » de celles, officiers et détenues, qui évoluent à l’Open Prison for Women (OPW) de Barkly. Cette quinquagénaire, toute fringante et très coquette, retrouvera la liberté en 2019, soit après cinq ans d’enfermement. Sereine et posée, cette mère de deux enfants se livre sans fards, évoquant avec un brutal réalisme, ses années de “jockey” (vendeuse de drogue) dans la banlieue de Port-Louis, et ce jusqu’à ce qu’elle se retrouve derrière les barreaux et décide de prendre… un nouveau départ.

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Yasmina, 55 ans, est mère de deux enfants : un fils, Feroz, 36 ans, et une fille, Zeenat, 30 ans. Rien ne la prédestinait à une carrière de “vender ladrog”. Pourtant, en 1994, elle connaît ses premiers démêlés avec la justice.

« Je refourguais des objets volés… Pa ti ena swa ! Kan pe debrouye lor koltar, seki zot donn ou, ou bizin pran revende pou gagn kas », dit-elle. Résultat de cet incident : elle est retenue en cellule, obtient une amende et est ensuite libérée.

Mais entre-temps, le mal était déjà fait car Yasmina avait, « en âme et conscience », décidé de pratiquer le métier de vendeuse de drogues… En 2019, Yasmina quittera définitivement la prison et ne compte pas y revenir.

« Je veux et je vais changer de vie. Je ne veux plus jamais revenir ici ! Prizon, pa enn lavi sa… », souligne-t-elle. Lucide et réaliste, notre interlocutrice reconnaît ne pas avoir été un enfant de chœur ni a-t-elle été une victime de la vie.

« Oui, j’ai vendu de la drogue. C’était l’unique option que j’avais. Mais maintenant, j’ai changé. Et je mérite une deuxième chance », dit-elle.

Flash-back. Années 80. Yasmina se met à dos sa famille et épouse R, contre le gré de celle-ci. Ils ont deux enfants, Feroz et Zeenat. Elle explique qu’en l’épousant, « j’ignorai que mon mari était toxicomane ».

Elle ajoute : « Je ne l’ai appris que des années après, en vivant à ses côtés. » Bien vite, son époux devient dépendant. « Il était totalement accro et ne pouvait se passer de ses doses… Li ti pe klak Rs 5 000 par zour zis pou so ladrog ! Linn rann mo lavi bien difisil… », raconte-t-elle. La vie de rêve que s’imaginait Yasmina, au foyer, avec mari et enfants, vire au cauchemar en un rien de temps.

« Je savais que je ne pouvais que compter sur moi pour élever mes deux enfants. Quand ils avaient appris ce qui m’arrivait, mes proches, maman et papa, mes sœurs, mes cousines, ont eu la réaction automatique : “tonn roder, ti dir twa fer atansion, al gete ki to pou fer aster”. Et je devais, dans le même souffle, subvenir aux envies grandissantes de mon époux en matière de drogue. Il se laissait aller… », explique-t-elle.

C’est donc décidé : Yasmina vendra de la drogue.

« C’était l’unique solution », dit-elle. Elle poursuit : « Comment pouvais-je trouver autant d’argent, à la fois, pour lui donner pour qu’il se drogue, et pour faire vivre ma famille, les deux enfants allant à l’école, il fallait que je me débrouille… »

Pour faire ses débuts dans l’arène de la drogue, elle compte sur l’aide d’un beau-frère. « Li ti “jockey” limem. Ek li ti dir li pou depann mwa e ki li pou montre mwa travay-la », relate notre interlocutrice. Yasmina débarque ainsi sur le “koltar”.

« À cette époque, se souvient-elle, ce n’était pas aussi compliqué que maintenant ! Aster bann ladsu tas ar ou partou ! Bizin fer extra atansion… Sa lepok-la ti enn lot… » 2008 inaugure, pour elle, son « palmarès » de détenue.

« 2009, 2010, 2011, 2012… je fais le va-et-vient », se souvient-elle avec une pointe d’amertume dans la voix. « Je n’avais qu’une chose en tête : vendre de la drogue car cela me permettait d’avoir des sous, beaucoup de sous, en mains ! Je jonglais de grosses sommes, les années passant : de Rs 25 000 à Rs 200 000. Cela représentait une fortune en ces jours-là », explique-t-elle.

Par la suite, comme les ennuis ne viennent jamais seuls, Yasmina se sépare de son époux. « L’autre homme avec qui j’ai voulu refaire ma vie se révéla encore plus accro que mon ex-mari ! Ala mo lavi vinn pli difisil… Sap dan karay tom dan pwalon », précise-t-elle.

Dans la foulée, son beau-frère, censé lui « enseigner » les rouages du métier de dealer, « devient lui-même junkie ». Quand il a commencé à se droguer, il faisait toutes sortes de combines. « Mais le plus grave, c’est qu’il volait dans le cargo de drogue qui nous était confié et que nous devions vendre… », dit-elle.

Et parallèlement, l’appât du gain commence à gagner la jeune femme.

Mauricienne d’origine très modeste, voire pauvre, puisqu’elle élève ses deux gosses dans un ghetto de la capitale, Yasmina a « soif d’argent ». Elle explique : « Larzan permet ou ena seki ou anvi… Ou kapav aste tou ar larzan. Cela me permettait de vivre comme je l’entendais ! Puisque personne n’avait voulu m’aider quand j’en avais besoin, je n’en faisais plus qu’à ma tête… »

La « vie de château » qu’elle s’octroie via la vente du “Brown Sugar” n’est évidemment pas sans répercussions ! « Kouma koze-la dir, si pa badine, menot », dit-elle. Yasmina sait au fond d’elle « qu’un jour, ou l’autre, je me ferais coincer ». Elle ajoute : « Je prenais des précautions, bien entendu. Mais j’étais loin de m’imaginer ce qui m’attendait en prison ! »

Ce n’est pas demain qu’elle oubliera ce jour où elle se fait prendre. Nous sommes en 2012.

« J’étais sur le trottoir. Je portais une magnifique robe noire ornée de dentelle en haut, et le bas, en satin. J’avais spécialement demandé à ma couturière de me confectionner cette robe… J’avais les cheveux courts, à l’époque, et je portais des talons hauts. J’étais là, à faire le guet… Attendre des clients. Quand j’ai entendu un véhicule s’arrêter, et une voix derrière moi dire “ohlala, ki sa aktris la pe fer la do vou zot ?” Je me retournais instinctivement pour voir qui avait dit ces paroles. Et quelle ne fut pas ma stupéfaction de découvrir un policier affecté à l’ADSU qui me pistait depuis longtemps », raconte-t-elle.

Yasmina lui demande ce qu’il fait là. « Polisie-la dir mwa li pa ti Moris kelke tan ek li ti fek retourne… », souligne-t-elle. Quelques jours plus tard, le policier et son équipe effectuent une descente dans la maison de Yasmina.

«  C’était un vendredi, aux alentours de 18h. Je venais de vendre une certaine quantité de “Brown Sugar” à un client et je n’avais pas encore fait le ménage. Quand ils ont débarqué, tout était sur la table… », indique-t-elle.

Yasmina se fait pincer et, cette fois, elle ne pourra pas s’en sortir aussi facilement que les autres fois ! Condamnée à cinq ans de prison, elle entre, en 2015, à la prison des femmes. « C’était le cauchemar ! Jamais je n’oublierai ce jour noir… », dit-elle.


« Mon fils, ma bataille ! »

Yasmina est « profondément attachée » à ses deux enfants. Si sa fille ne vit plus à Maurice, son fils, Feroz, en revanche, est toujours à ses côtés. « Mon fils a grandi avec sa grand-mère maternelle, je n’avais pas le choix. Par contre, Zeenat ne voulait pas me quitter… Elle est restée très proche de moi et a fait de mauvais choix dans la vie », raconte-t-elle.

Quand elle commence à aller et venir en prison, le fils de Yasmina la rejette. « Li ti deteste mwa ! Li pa ti le tann parle, ni vinn get mwa… », dit-elle. Elle poursuit : « Cependant, lorsqu’on s’est parlé, quand j’ai été condamnée à cinq ans de prison, et que je lui ai fait comprendre que je voulais en finir avec cette vie, une fois pour toutes, il a commencé à changer… » De fait, le jeune homme est venu voir sa mère à chaque visite permise.

« Et à chaque fois que je voulais quelque chose, une robe, des biscuits… je lui demande et il me l’apporte. C’est une relation de confiance qui s’est à nouveau bâtie entre nous deux », souligne-t-elle. Yasmina est consciente du « sacrifice » que fait son fils.

« Il aura 36 ans en janvier. Il ne s’est pas marié. Il a préféré me donner cette priorité dans sa vie. Et quand je vais sortir, je veux lui retourner l’ascenseur. Je veux être une bonne mère pour lui. Il le mérite tant ! C’est à mon tour de veiller sur lui et faire qu’il ait toutes ses chances dans la vie… Quand mes enfants étaient petits, je n’ai pas été une bonne mère pour eux. Je veux me racheter », dit-elle.


Prison : l’université !

La toute première fois que Yasmina découvre l’univers de la prison, elle se trouve en “Remand”. « C’était un véritable cauchemar ! Je voulais mourir », dit-elle. Elle se souvient être restée debout, sans bouger et à regarder l’endroit où elle allait devoir vivre pour les prochaines années : « Mo ti san parol… »

Et les jours qui suivaient n’étaient guère mieux. « On ne me donnait rien à manger ni à boire. Cela fait partie du régime de la prison, destiné à vous décourager à y rester, prendre vos aises », dit-elle. Malgré cela, Yasmina fera le va-et-vient à plusieurs reprises. « Je savais que je devais faire des efforts et changer de vie, au moins pour mes enfants. Mais je n’y arrivais pas… Sa fasilite ki ena kan ou ena kas dan ou lame-la, enn lot zafer sa. »

Ses premiers jours en prison, Yasmina, encore « naïve et crédule », pense qu’elle les coulera facilement, et ce avec l’aide de ses « amies ». Elle poursuit : « Mo ti ena bann ti kamarad ki monn kone lor koltar… Enn la ti gagn trape zis apre mwa. Mo ti panse li pou ed mwa, soutenir mwa andan. Manti ! Kan linn trouv mwa andan, linn fer kouma dir li pa konn mwa. »

Une autre « amie » de ses années à vendre de la drogue atterrit en prison. « Elle et une autre jeune fille, avec qui je partageais ma cellule, ont bien pris soin de moi. Elles m’ont expliqué des choses, les codes, les règles quand on est détenue… », dit-elle. À la prison des femmes, contrairement à l’Open Prison for Women (OPW) de Barkly, « se enn liniversite ».

Elle ajoute : « Enn lot mem sa ! » Pour notre interlocutrice, « à la prison des femmes, il faut se battre ». Et de poursuivre : « Je n’ai pas honte de le dire, oui, j’ai fait du trafic de téléphones portables à l’intérieur. Il fallait se battre pour survivre… » Mais une fois arrivée à l’OPW, depuis fin 2016, indique-t-elle, « c’est une autre histoire ».

Elle explique : « Ici, les officiers m’ont accueillie et il n’y a pas cette tension latente et permanente qu’il y a à la prison des femmes. » Depuis son arrivée ici, Yasmina s’est forgé une place de choix. « Les officiers et détenues me considèrent un peu comme leur maman. J’ai eu une bonne conduite. J’ai suivi des formations et des cours divers, dispensés par les services de la prison. Cela m’a énormément aidé ! J’ai découvert une foule de choses sur moi-même et sur la vie en général », dit-elle.

Elle explique comment, par exemple, avoir compris ce que Divali veut dire. « Ce n’est pas juste aller dans ce quartier du nord de l’île et y acheter des gâteaux, comme je le faisais avant ! J’ai appris les prières, les rituels, l’importance du nettoyage… Idem pour la fête de Pâques et le carême chrétien », dit-elle.

Yasmina souhaite « remercier » le personnel de la prison, et le CP Appadoo. « J’ai eu beaucoup d’encouragement de leur part. Et j’ai aussi beaucoup appris avec eux. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont tout le temps gentils et doux. Au contraire ! Kan bizin pile, zot pa ezite ! Mais tout cela m’a beaucoup servi. Quand je sortirai, j’y puiserais des forces… », dit-elle.

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