L’Histoire à l’école : exception culturelle mauricienne

TANIA CASAVOOLOO

En 2013 résonnait sur toutes les ondes « Papaoutai », Stromae commence sa chanson en se demandant « Dites-moi d’où il vient, enfin je saurai où je vais ». À travers ces simples paroles et son martèlement constant Stromae marque l’absence de son père comme facteur bloquant son développement. De manière plus générale, le chanteur montre l’importance de connaître ses origines, ses racines et son histoire pour comprendre son identité et ainsi avancer dans la vie.

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Cette phrase de Stromae a une résonance actuelle. Il a été dit de la Covid-19 qu’elle était totalement imprévisible alors qu’il est connu des historiens et spécialistes qu’à chaque début de siècle une nouvelle épidémie surgit. Et pour traiter cette épidémie, comme cela a été fait auparavant, un confinement a été mis en place dans la majorité des villes du monde. La solution du confinement n’est donc pas nouvelle bien que l’épidémie soit différente. Cette solution a été retenue par nos gouvernements car son efficacité a été auparavant prouvée.

Cette observation trouve aussi à s’appliquer :

•Nous constatons aujourd’hui que les premiers jalons d’une nouvelle guerre froide Chine/États-Unis ou États occidentaux commencent à se poser.

•Nous notons aussi une résurgence de contestations ethniques et sociales demandant à la fois l’égalité entre les « races » et les sexes se cristallisant notamment autour des mouvements #Blacklivesmatter ou #Balancetonporc, #Metoo et #Payetaschneck.

•Et, nous constatons aussi que nombreux sont les gouvernements qui décident de sombrer dans l’autoritarisme en optant pour un contrôle renforcé des forces de police tout en faisant l’éloge de cette même institution et en utilisant propagande, censure et culte de la personnalité à l’image de nombreux États dans les années 1930.

Mais pour comprendre tout cela, encore faut-il comprendre ce que signifie « guerre froide » ; « égalité raciale et entre les sexes » ; « régime autoritaire » tout en le différenciant de « régime totalitaire » et de « dictature » ; « propagande », « censure », « culte de la personnalité » ou les évènements internationaux durant les années 1930. Comprendre cela nécessite de comprendre un minimum de l’histoire de notre monde contemporain ; encore faut-il que l’Histoire nous soit enseignée.

Bien sûr, notre programme scolaire comprend des cours d’Histoire, mais ceux-ci ne sont enseignés que jusqu’au Grade 9. Aussi, ces cours ne concernent que l’histoire globale de notre île, quid du reste du monde et des détails ? Par ailleurs, le syllabus des SC et HSC accessible sur internet mentionne des cours d’Histoire et de relations internationales du monde contemporain, mais l’enseignement de ces matières ne semble pas être une priorité. Dès lors, le programme scolaire concernant l’Histoire semble insuffisant qu’il soit au regard de l’Histoire de l’humanité ou de celle de notre île, et surtout au regard de la pluralité d’histoires que compose notre société multiculturelle. Alors, comment préparer une génération à une éventuelle guerre, qu’elle soit politique, nucléaire, économique ou sanitaire alors que cette même société ne sait pas combien de guerres auxquelles a fait face l’humanité au siècle dernier ?

Origine, original 

Les organisations internationales à l’instar de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, les sciences et la culture ou l’Organisation des Nations Unies reconnaissent l’importance de l’Histoire pour promouvoir l’amitié, la paix, la tolérance et l’égalité notamment. Ces deux organisations, ont par exemple rappelé l’importance historique de la Shoah et de son enseignement afin de prévenir de tels crimes.

L’enseignement de l’Histoire permet la passation de connaissance pour permettre à un peuple de progresser mais aussi de ne pas tomber dans les écueils passés. Pendant très longtemps, et encore aujourd’hui, les cultures européennes ont été admirées ; cela s’explique par le fait qu’elles aient su conserver leur Histoire à travers monuments et écrits et aient pu transmettre leur histoire aux générations futures. C’est notamment pour cette raison qu’elles ont été en mesure de coloniser de nombreux territoires.

Aujourd’hui, la majorité des pays enseignent l’Histoire dans leurs programmes scolaires. C’est ainsi le cas des pays dits « développés » comme le Canada, l’Australie, l’Allemagne ou la France, où l’histoire est une matière obligatoire faisant objet d’un examen de fin de scolarité (Baccalauréat, Cambridge, Matura). Mais c’est aussi le cas de pays dits « en cours de développement » ou « moins avancés » comme le Sri Lanka, la République démocratique du Laos, l’Indonésie ou l’Ouzbékistan où l’histoire de notre monde contemporain est enseignée. Au regard de ces éléments, notre programme scolaire paraît quelque peu original.

Il est vrai que nombreux sont ceux qui objecteront par l’argument de l’absence de moyens. Cependant, la fourniture d’ordinateurs aux élèves est possible alors que cela requiert des moyens financiers qui ne sont pas nécessaires à l’enseignement de l’Histoire que s’effectue généralement au moyen d’un livre. Aussi, l’idée selon laquelle cela viendrait à alourdir le programme scolaire, la charge de travail des élèves apparaît être une véritable insulte aux capacités intellectuelles de nos élèves qui possèdent dès la petite enfance un cerveau extrêmement performant et subissent par la suite, à l’adolescence, un remodelage en profondeur de leur cerveau ce qui augmente leur capacité d’encodage mnésique.

Le seul problème potentiel que cela pose est l’absence actuelle d’enseignants formés dans ce domaine ; ce qui devra être développé. Mais cela n’empêche pas qu’une formation soit donnée à certains professeurs volontaires, ou le recrutement d’enseignants issus d’écoles privées et/ou venus d’ailleurs. Ces dernières solutions, permettant une plus grande ouverture, ne peut qu’être bénéfique pour notre pays et nos élèves sachant que Maurice souhaite se positionner comme véritable centre éducatif international.

Au regard de ces arguments, l’intégration d’un véritable programme d’Histoire dans notre système éducatif ne semble pas dénuée de sens.

L’Histoire, outil politique

subjectif à multiples objectifs

Bien que l’Histoire soit une matière fondamentale dont devraient bénéficier nos élèves, il est nécessaire de souligner qu’il n’existe pas une histoire. A fortiori, pour notre société mauricienne, celle-ci se compose d’une multitude d’histoires à la fois africaine, indienne, chinoise, anglaise, française, nationale et internationale. Nos élèves et notre pays pourraient réellement bénéficier d’un tel enseignement. Cela aiderait à répondre à la question identitaire, en particulier au désenchantement et à la perte de repères que traversent nos jeunes générations tout en apportant un changement quant à l’enseignement de cette matière.

Au-delà de cet aspect, l’histoire, contrairement aux autres matières, n’est pas une science humaine « objective ». Elle est soumise à différentes interprétations selon son narrateur, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une entité. Ainsi, jusqu’en 1956, il était considéré dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques que Staline avait été le grand stratège militaire ayant permis la victoire des Alliés, de la même manière, le thème de l’esclavage est seulement effleuré dans les manuels scolaires français et est abordé sous son aspect économique.

L’enseignement de l’Histoire permet donc de servir une politique. Très souvent, l’histoire est racontée et est utilisée de manière à servir un objectif d’unité, à créer un sentiment national et solidaire. En effet, raconter une histoire sous un certain angle plutôt qu’un autre, permet à un individu de s’identifier à un autre et crée le sentiment d’appartenance à une nation. La création du sentiment national peut laisser libre cours à des dérives telles que la montée des extrémismes, comme entre 1870 et 1890 en Prusse/Allemagne avec Bismarck, qui permet l’unification de la Prusse et la création d’un État allemand que certains considèrent comme à l’origine de l’échec de cette démocratie ayant conduit à la Première Guerre mondiale, ou en Autriche durant les années 1920-1930.

Cependant, à Maurice la création du sentiment unitaire n’est peut-être pas nécessaire mais sa conservation reste primordiale. La solidarité et l’unité trouvent en effet leur source dans des éléments propres au mauricianisme tels que la lutte pour l’indépendance, les évènements socio-culturels et les divers combats unifiant le peuple mauricien. Mais la composition du « mauricianisme » pourrait à la longue s’essouffler et se perdre sans une structure permettant sa continuité. Par ailleurs, notre société mauricienne est multiculturelle et se diversifie davantage au fil des années, alors la conservation du sentiment unitaire et solidaire se révèle être de plus en plus essentiel tout comme le besoin de réconciliation des divers groupes, qu’il s’agisse des communautés entre elles et entre autres sociétés étrangères.

Dans cette perspective l’absence de l’enseignement de l’Histoire peut aussi être perçue comme un choix politique. L’absence de l’Histoire dans la grande partie de nos programmes scolaires peut s’expliquer par l’effacement de cette matière au profit de matières plus pragmatiques servant des objectifs économiques au détriment, peut-être, du développement identitaire ou de solidarité nationale.

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