Ne pas tout mélanger

En politique, il vaut mieux ne pas se laisser guider par ses tripes juste parce que quelques partisans excités et bruyants vous insufflent suffisamment de cette adrénaline qui vous pousse à tenir des propos irréfléchis. C’est ce qu’ont fait vendredi Roshi Bhadain et Rama Valayden en invitant l’opposition à démissionner en bloc. Cela peut satisfaire un public qui a été alimenté en arguments démagogiques et confus visant à saper la confiance dans tout ce qui se rapporte à la représentation nationale. Mais démissionner n’est pas une plaisanterie.

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Roshi Bhadain en sait pourtant quelque chose et on aurait pu légitimement penser qu’il aborderait ce genre de sujet avec bien plus de circonspection. Il avait démissionné avec fracas en juin 2017 suivant l’arrivée par “l’imposte” de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre. Il était candidat à sa réélection à la partielle de décembre 2017 à Belle Rose/Quatre Bornes. Le MSM, bravache, avait, lui, choisi de ne pas aligner de candidat et, dans une bataille entre les partis de l’opposition, c’est Arvin Boolell qui s’était imposé.
Comme quoi, une démission n’est pas forcément un moyen de faire plier un gouvernement autoritaire et opaque. Quant à Rama Valayden, c’est facile pour lui de lancer des injonctions à la démission à l’opposition puisqu’il n’a, lui, jamais été élu à l’Assemblée nationale. Il s’était trouvé, en plus, un peu dans la posture de “l’imposte” lorsque, bien que battu au N°19, Navin Ramgoolam en avait fait son Attorney General après les élections de 2005. Rama Valayden avait auparavant connu, à la fin des années 1990, un mandat de conseiller municipal assez constructif et collaboratif à Rose-Hill pendant le mandat de maire de son ami Deven Nagalingum avec qui il avait travaillé en bonne intelligence pour l’avancement des villes sœurs.

Démissionner pour quoi faire ? Provoquer des partielles ? Permettre à ceux qui peuvent se sentir un peu étroits et limités dans la rue d’accéder à l’hémicycle ? Pourront-ils faire mieux que ceux qui ont été élus aux dernières élections générales ? Il est franchement permis d’en douter. Les coups d’éclat stériles, ça peut amuser pendant un certain temps, mais le travail méthodique, sérieux, efficace comme l’a fait jusqu’ici l’ensemble de l’opposition parlementaire et son leader Xavier Duval en particulier, ces derniers temps, est autrement plus utile à la société et au pays. Qui aurait su pour le Molnupiravir ?

Même si les ministres restent impassibles face aux accusations graves et aux dossiers solides qui les accablent, la pression de l’opposition parlementaire a néanmoins l’avantage d’éclairer l’opinion et le citoyen sur les dérives d’un pouvoir qui a déjà vampirisé la majorité des organismes publics. Il n’y a qu’à voir comment fonctionne la MBC ou la police pour s’en convaincre. Si l’on ne l’était pas déjà. Démissionner ? Et qu’est-ce que cela changera aux méthodes d’un régime brutal, dictatorial et corrompu si ce n’est de lui octroyer un boulevard pour enfoncer davantage le pays dans une autocratie sans contradiction ni garde-fou ?

Laisser l’hémicycle au seul gouvernement, c’est lui donner la possibilité d’introduire et de voter des Prosecution Bill, des IBA Bill, des Press Council Bill et des projets pour emprisonner encore un peu plus facilement les opposants et pas que déterrer de manière grotesque une affaire de bois volé datant de dix ans. En l’absence de toute opposition parlementaire, avec des partielles de remplacement qui n’auraient lieu que le plus tard possible, soit dans un délai de six mois, ce gouvernement pourrait voter des lois encore plus scélérates, sans compter qu’il aurait aussi la possibilité de jouer sur les clauses ambiguës de la Constitution et, pourquoi pas, abolir la loi suprême du pays elle-même.

Avec le régime auquel on est confronté, rien ne paraît impossible. Bien au contraire, le « tout possible » étant d’ailleurs sa devise revendiquée et assumée. Voilà pourquoi il ne faut pas plaisanter avec ce genre de sujets. Et il ne faut surtout pas tout mélanger. Entre décision personnelle et isolée et démission collective, il y a des nuances importantes. Lorsqu’un député s’en va, cela ne fait qu’une différence d’une voix à soustraire ou à ajouter à la majorité existante ou à l’opposition, mais lorsque ce sont plus d’une vingtaine d’élus qui décident de laisser des sièges vacants dans treize circonscriptions, c’est une toute autre paire de manches.

Que l’actuel gouvernement ait tout cadenassé, pour reprendre l’expression très juste de Nando Bodha pour décrire le régime qu’il a heureusement et courageusement quitté, c’est un fait indéniable. Tout a été essayé pour le pousser à revoir sa copie, à changer de cap, à diriger dans le dialogue et la consultation. Il est resté de marbre. Ceux qui réclament la démission de l’opposition parlementaire sont ceux-là mêmes qui revendiquent avoir fait descendre dans la rue 150 000 personnes le 29 août 2020 pour protester et crier à l’éviction du pouvoir en place, le désormais fameux « BLD ». Il est toujours là et rien n’a changé.

Si la rue, nombreuse et vocale, n’a rien pu faire, en quoi une vacance prolongée de l’opposition au Parlement changerait quelque chose au destin immédiat du pays ? Et l’ironie veut que la demande d’une démission de l’opposition intervienne au moment même où cette unité tant recherchée des forces qui se dressent sur le chemin des excès du gouvernent se soit réalisée. Dans la difficulté, certes, mais le regroupement de l’opposition, parlementaire et extraparlementaire, est là, et c’est là-dessus qu’il faut construire l’alternance.

Oui, il faut que l’opposition se réinvente, oui, il faut que les visages changent, se renouvellent, mais démissionner là, maintenant, n’est pas une option. Elle serait, au contraire, une faute vis-à-vis du pays et des Mauriciens.

2020

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