Présidentielles à Madagascar : Andry Rajoelina, le favori indésiré

Depuis le 16 novembre, Madagascar vit le premier tour de présidentielles teintées d’irrégularités. L’opposition dénonce de graves atteintes à la démocratie et a, en dernier recours, demandé et obtenu le boycott des élections. De son côté, bien qu’impopulaire auprès des citadins, Andry Rajoelina se présente comme favori à ce scrutin. Différentes manœuvres politiciennes, de même que sa nationalité française obtenue en 2014, ternissent cependant son éventuelle réélection. A l’instar des violences policières qui ont éclaté à travers le pays pour faire taire les voix dissidentes.

« Moi, j’adore mon président », murmure-t-elle. Un taquin sourire se dessine sur ses lèvres alors qu’elle se penche délicatement en avant, exposant un regard charmeur. Installé en cette soirée sur une chaise haute d’un bar malfamé d’Antananarivo, Asia* est l’unique Malgache rencontrée à afficher son soutien au président sortant.

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Les interrogations en vue de comprendre cette position insolite refroidissent les ardeurs de cette fille de joie. Celle-ci a abandonné son village retiré pour rêver d’une meilleure vie dans la capitale de la Grande-île. « Pourquoi poses-tu toutes ces questions », lâche-t-elle au final, avant de s’éloigner brusquement. Nulle explication ne sera donnée.

Hormis elle, aucune voix favorable au leader orange ne s’est élevée au cours d’un récent périple dans la capitale malgache et ses alentours. Néanmoins, des tractations politiques opérées depuis plusieurs mois le placent comme large favori aux présidentielles.

Début 2019 pourtant, le fraîchement élu Andry Rajoelina recevait le soutien de toute une population, qui voyait en cet élégant businessman la fin de la misère malgache. L’ancien maire de Tana, âgé de 49 ans, avait promis monts et merveilles.

De Manakara, dans le Sud-Est, jusqu’à Tuléar, dans le Sud-Ouest, en passant par Fianarantsoa, au centre… les habitants se floquaient du T-Shirt du Young Malagasies Determined ; une vague orange avait déferlé sur Madagascar.

Téléphérique de la honte.

« Regardez, je ne supporte plus cette couleur », soupire un chauffeur, en pointant vers des cloisons en tôles, peintes aux couleurs du président Rajoelina. Celles-ci entourent une immense structure en métal qui s’élève en plein cœur de Tana.

Non loin de ce prestigieux pylône en voie d’installation, un vieil homme aux pieds-nus tend péniblement la main aux passants. Quelques pièces lui suffiraient.

Cependant, aux abords bondés de l’hôtel White Palace, personne n’a de temps à lui accorder. D’autant que les mendiants et pickpockets y sont légion.

Entre-temps, des techniciens étrangers s’affairent auprès de l’impressionnante structure, qui contraste avec la misère visible des environs. Cette prestigieuse colonne constitue l’un des projets phares défendus par Andry Rajoelina : un téléphérique.

« Ne me parlez pas de ça ! », s’emporte une employée de l’aéroport d’Ivato, qui ne touche qu’entre 200 000 et 300 000 Ariary par mois (Rs 2 000 à 3 000). Se disant privilégiée, cette mère de famille éprouve tout de même des difficultés à nourrir les siens.

« Nous ne mangeons du zébu qu’une fois par semaine », confie-t-elle auprès de ses collègues, tous élégamment vêtus de gris. D’autres Malgaches raconteront se priver de cette chaire, se contentant majoritairement de vary (riz) accompagné de carottes et pommes de terre bouillies, entre autres légumes.

A l’heure du déjeuner, quatre employés de la capitale s’installent à une table d’une gargote aménagée au bout d’un lugubre passage. Les plats ici – du riz servi avec de la viande, des légumes et un bouillon – coûtent environ 5 000 Ariary (Rs 50). Somme énorme pour beaucoup.

« Nous n’aimons pas notre président ! », lancent finalement ces jeunes, en scrutant inquiets les alentours. « Qu’a-t-il fait pour nous ? », se demandent-ils

A des kilomètres, en la station-service de Jovena, un père de famille se plaint de la cherté de la vie. « Je cumule trois à quatre petits boulots », entre chauffeur ou homme de main, relate-t-il. Malgré ses sacrifices, subvenir aux besoins mensuels de ses petits représente d’un parcours du combattant.

« La vie est dure à Madagascar », regrette-t-il, en montrant ses mains usées par d’éreintants efforts.

« Democratic dictatorship ».

Le dur labeur touche l’ensemble des générations, même les plus jeunes. Les promesses d’Andry Rajoelina de mettre un terme à l’explotation de la main-d’oeuvre infantile n’ont guère été réalisées.

En témoigne la floppée d’enfants – dont certains en bas âges – qui parcourent les rues dans des vêtements souillés. Leur quête : des bouteilles en plastique qu’ils revendront pour quelque 200 Ariary (Rs 2), expliquent difficilement en français un groupe de gamins.

Ils disparaissent hâtivement dans les artères, en emportant sur leurs épaules des sacs en jute bourrée de leurs trouvailles.

« Les enfants de Madagascar souffrent ! », chante en malagasy le trio de rock LohArano. Sorti fin octobre, Velirano caricature les promesses politiciennes qui dupent le peuple.

« Listen to me, Dear Citizens, I’m the Mother F*** so follow me! Those who dare to contradict me will be imprisonned or executed. I feed you a democratic dictatorship », scande la chanteuse Mahalia Ravoajanahary.

Malgré l’impopularité d’Andry Rajoelina, tiut semble indiquer inoniquement qu’il se dirige vers une réélection, l’opposition se disant museler à différents niveaux – dont certains jugés comme portant atteinte à la Constitution et à la démocratie.

Des présumées atteintes trop complexes qui ne bousculent guère les contrées retranchées de la Grande-île.
En effet, même si les citadins s’opposent de vives-voix à TGV, « il lui suffit de donner quelques Ariary ou des T-Shirts aux campagnards pour se voir réélire », se résout un ancien, conscient que des voix majoritaires peuvent ainsi être achetées.

« Il a déjà gagné les élections », prévoit-il.

Des images de résultats provisoires, diffusées sur la toile, donnent raison aux paroles de ce Dadabe. Andry Rajoelina est largement en tête.

Les résultats provisoires de ce premier tour seront annoncés par la Commission électorale nationale et indépendante de Madagascar d’ici la fin de la seaine, le décompte officiel étant attendu au début de décembre.


« Madagascar, rouge d’espoir »

C’est le titre qu’avait accordé en 2019 Scope Magazine à un dossier consacré à La Grande-île, après un voyage de deux semaines. « Andry Rajoelina a repris les rênes de Madagascar en janvier. Au pays du mora mora (lentement), TGV – comme il est surnommé – veut bouger rapidement pour continuer le changement enclenché dans l’île rouge depuis quelques années. De la capitale, Antananarivo, jusque dans les villages du Sud, ces changements sont perceptibles à bien des niveaux », était-il écrit.

Il s’agissait d’une reprise économique visible par les marchés bondés, d’un secteur touristique en voie de reconquête, d’une campagne musclée contre l’insécurité (avec des agents déployés dans la capitale pour veiller sur les visiteurs). De même que des engagements afin de réduire le taux de chômage et d’accorder une plus grande considération à la jeunesse.

Il y a certes eu les remous de la Covid-19. Toutefois, la corruption généralisée semble toujours gangréner les tentatives de développement. La misère et la prostitution, parmi d’autres maux, sont toujours si criardes dans la Grande-île, qui subit les délestages quotidiens, soit des interruptions volontaires dans la fourniture d’électricité et d’eau, pour plusieurs heures.

Les scandales, eux, se sont enchaînés à l’encontre d’Andry Rajoelina.


Les universités ciblées

Le virement des bourses aux étudiants, par l’Etat malgache, a pris du retard conséquent cette année. Les quelque 22 000 Ariary remis aux universitaires pour leur première année – la somme augmentant au fil des études – se révèlent primordiales pour beaucoup, bien que insuffisantes.

D’autre part, des professeurs ne recevraient la somme due pour leurs heures supplémentaires, alors que des professionnels non titulaires ne seraient payés. Par conséquent, des universités tiennent des grèves, des cours ne s’y tenant plus.

En août, des manifestations estudiantines ont éclaté dans les établissements tertiaires. Une chanson acclamant le président Rajoelina a été parodiée par les jeunes, des images fuitant sur la toile.

Une missive datée du 24 août 2023 – avec comme entête « le ministère de l’Enseignement supérieur » – a mis le feu aux poudres. Signé par le président de l’université d’Antananarivo, Mamy Ravelomanana, cet ordre a autorisé temporairement « les forces de l’ordre » à pénétrer l’université en vue d’assurer « la sécurité des biens et des personnes ».

Des officiers de la gendarmerie nationale et de l’armée ont dès lors investi les lieux, arrêtant sans discrilination des étudiants. Entourés de soldats, des universitaires ont notamment reçu des coups de matraques.

« Oui j’ai été agressé », confie l’un d’eux, qui n’a souhaité en dire davantage de peur de représailles. Des vidéos de ces actes, largement relayées, ont provoqué l’indignation. La violence face aux voix discordantes semble s’étendre à tous.


Des élections ternies

Plusieurs atteintes à la Constitution et à la démocratie ont été dénoncées par l’opposition, qui compte douze candidats à la course aux présidentielles (le 13e étant Rajoelina).

Il y a d’abord les révélations de l’ancien président du Sénat, Herimanana Razafimahefa, qui devait assurer la suppléance à la présidence le temps de l’élection.

Le 8 septembre, il a adressé une lettre de renonciation à la Haute Cour constitutionnelle, souhaitant se retirer pour des « raisons personnelles ». Toutefois, le 9 octobre, Herimanana Razafimahefa a confié avoir subi des « menaces de mort ».

Deux jours plus tard à TV5 Monde, il a soutenu endurer « des pressions » quotidiennes contre sa personne et sa famille.

Cependant, des sénateurs proches de Rajoelina ont plaidé pour sa destitution pour « des problèmes de santé mentale ». Un argument rejeté par Herimanana Razafimahefa, qui a assuré le poste de président du Sénat pour trois ans.

L’objectif de la majorité sera atteint lors d’une session extraordinaire, convoquée par le Premier ministre d’Andry Rajoelina, Christian Ntsay. Dans la foulée, ce dernier a accédé au poste de président suppléant. Il veille dès lors à la sécurité dans le cadre de la tenue des élections.

Les regroupements publics des membres de l’opposition et de leurs soutiens sont violemment réprimés par les forces de l’ordre. Quatre candidats aux élections avaient été blessés au sang en octobre lors d’un rassemblement, auquel se sont violemment opposées les forces de l’ordre.

Des vidéos des violences diverses et récurrentes à l’encontre de leurs partisans circulent. Alors qu’en parallèle, Andry Rajoelina arpente librement Madagascar et rameute.
Comme ultime recours, dix des candidats de l’opposition ont appelé à un boycott des présidentielles.

Le président par intérim a donné des instructions pour contenir les manifestations d’opposants. Davantage de violences sont à craindre dans la Grande île.


Observations du premier tour

Sur les 27 millions d’habitants de Madagascar, 11 millions sont attendus aux urnes. Cependant, l’observatoire des élections SAFIDY, dans un communiqué émis jeudi, a indiqué que l’enthousiasme à cette étape des présidentielles « est faible ».

A midi ce 16 novembre, seulement 22.4% des électeurs s’étaient rendus aux urnes, comparativement aux 44% affichés à ce stade lors des précédentes élections. L’ambassade américaine à Madagascar a relevé qu’aucun acte de violence n’avait éclaté lors de cette première journée.

Cependant, les observateurs de SAFIDY ont relevé des « shortcomings in the application of voting procedures ». Ils notent que « the cases of voters who have received permission to vote without having the necessary documents have multiplied ». Des cas de « voters with an electoral card and/or the registration stamp », mais qui « are not on the list » ont également été observés.

Tout comme de « several cases of temporary closures of polling stations have also been reported through green numbers ».

D’autre part, des observateurs indiquent que des représentants de partis rencontrent les votants dans l’enceinte des centres de vote. L’un des autres méfaits identifiés à ce stade.


Rajoelina, le Français

« Le président malgache a un président, et c’est Emmanuel Macron ». L’affirmation a de quoi surprendre. Pourtant, l’opposition pointe du doigt ici la nationalité française du président sortant Andry Rajoelina.

Un fait intervenu en 2014 et révélé vers 2022 à travers la fuite de documents sur les réseaux sociaux, avant que l’information ne soit confirmée par la presse. La nationalité française du président sortant a été obtenue après qu’Andry Rajoelina a lui-même logé une demande de naturalisation par filiation.

La binationalité à la naissance est autorisée à Madagascar. Toutefois, la nationalité malgache se perd si une autre nationalité est demandée et obtenue à l’âge adulte, font comprendre des observateurs. De fait, l’opposition a relevé l’inégalité présumée de la candidature d’Andry Rajoelina en marge de ces présidentielles.

Cependant, le principal concerné a obtenu son certificat de nationalité malgache, car ni le procureur ni la Haute Cour constitutionnelle n’ont envoyé son dossier devant le tribunal Civil, qui n’a ainsi pu statuer sur cette affaire.

« La binationalité est acceptée par le Code de nationalité malagasy », a simplement rétorqué Andry Rajoelina.


Surveillance aux teintes d’espionnage

Est-ce que le logiciel de surveillance Predator sert à l’espionnage ? « Tout ce que nous faisons, c’est dans un cadre légal ». Questionné quant au déploiement à Madagascar – par le groupe français Nexa – du logiciel Predator, Andry Rajoelina a affirmé à RFI vouloir prévenir « des menaces intérieures et extérieures ». Il s’appuie à cet effet sur le démantèlement présumé « réseaux de corruption » et de « kidnapping ».

Cependant, une enquête de Mediapart et du consortium European Investigative Collaboration a établi que le propriétaire de la Gazette de la Grande île, Lôla Rasoamajaro, avait été placé sur écoute après avoir révélé l’affaire de double nationalité. Il a été emprisonné pour extorsion de fonds, diffamation, menaces et injures suite à une plainte à son encontre.

Le Monde indique que « le logiciel Predator, développé par la société Cytrox et aujourd’hui distribué par l’alliance Intellexa, un consortium international d’acteurs du marché de la surveillance, est officiellement vendu aux polices et services de renseignement à des fins exclusives de lutte contre le terrorisme et le crime organisé ».

Il est ajouté que « comme son concurrent Pegasus (développé par l’israélien NSO), il a cependant été utilisé de façon détournée par certains de ses clients pour surveiller opposants politiques et journalistes. Il est aujourd’hui au cœur d’un scandale politique en Grèce ».

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