MUSIQUE : Le piano romantique de Kenneth Babajie

Kenneth Babajie regrette de ne pas avoir plus souvent l’occasion de jouer du piano classique en concert. Aussi a-t-il relevé le défi de réaliser un album pour piano seul, entièrement conçu et enregistré à Maurice, histoire de créer l’envie de l’écouter en vrai. Romantic Piano propose cinquante-trois minutes d’émotions avec des oeuvres composées pour beaucoup à l’ère romantique (Chopin, Liszt, etc), postromantique (Bridge, Granados) avec quelques incursions dans l’école moderne française (Debussy, Poulenc). Il comporte aussi deux morceaux du compositeur mauricien Francis Thomé.
L’appétit vient en mangeant… La sortie d’un disque consacré aux oeuvres classiques pour piano interprétées par un artiste mauricien, enregistré et entièrement conçu à Maurice est en soi un événement à saluer, peut-être le premier du genre. Surtout, il devrait donner l’envie d’écouter plus souvent ces musiques dans la vraie vie en concert, histoire de voir le pianiste à l’oeuvre et de goûter directement le son d’un piano à queue… « J’aime jouer. Quand je ne joue pas, je suis malheureux », nous confie Kenneth Babajie, en se souvenant avec émotion des nombreux petits concerts auxquels il a participé lorsqu’il était encore adolescent.
Son ambition n’était alors pas au sens strict du terme de faire carrière dans la musique, mais de continuer à explorer les oeuvres et pouvoir jouer le plus souvent possible. Aussi est-ce la raison pour laquelle après une incursion dans le journalisme pendant plus d’un an, et parallèlement à des études en sciences politiques, il s’est réinvesti dans l’exercice de la musique au quotidien ces dernières années, en tant qu’enseignant en collège tout d’abord, et aussi en tant que concertiste au gré des demandes. Mais les occasions sont rares. Depuis le début de l’année, il participé à un seul concert, de la musique de chambre avec des solistes allemands. En 2012, il nous signale un récital privé dans le cadre du festival d’Opera Mauritius, tandis que l’année 2011 lui a permis de se produire deux fois, d’une part pour accompagner des chanteurs lyriques et d’autre part en donnant un concerto de Mozart.
Ce pianiste qui aime autant jouer Chopin qu’Hindemith, a conçu son album, Romantic Piano, en alternant oeuvres connues et oeuvres à découvrir, morceaux complexes et morceaux plus simples dans l’exécution mais non moins émouvants. À trente-quatre ans, après les distinctions de la Royal School of Music et toutes ces années de pratique, la motivation de ce pianiste consiste davantage à partager sa passion pour certains compositeurs plutôt que de chercher à faire ses preuves en tant qu’interprète. Elles sont déjà faites pour ceux qui le suivent depuis ses débuts et aussi pour ceux qui soutiennent la sortie de ce disque à l’instar de la Société musicale et d’une dizaine d’amateurs.
De Chopin à Poulenc
Romantic piano commence avec une des plus belles valses de l’artiste romantique par excellence, Frédéric Chopin. « Avoir joué Chopin, c’est comme si j’avais pleuré sur des péchés que je n’ai jamais commis, et porté le deuil de tragédies qui n’ont jamais été les miennes », disait Oscar Wilde à son sujet. Deux impromptus dont une fantaisie tout en fluidité s’en suivent ainsi qu’un nocturne. Après ces standards du répertoire romantique, l’artiste nous fait découvrir Rosemary, une oeuvre peu connue du compositeur britannique Frank Bridge, musicien néoromantique influencé par Fauré qui se tournera progressivement vers les modernes et l’atonalité.
Retour aux sources les plus pures du romantisme avec Liebestraum (“rêve d’amour” en allemand) de Franz Liszt, cet interprète virtuose et extraordinaire compositeur qui a décuplé les possibilités du piano. Ensuite, dans l’entrain d’une improvisation de Francis Poulenc, nous franchissons l’époque moderne avec ce musicien qui aime associer harmonie néoclassique et chanson française. Arrivent alors les deux morceaux du Mauricien Francis Thomé, Simple aveu et Papillons roses, le premier exploitant la veine nostalgique et un peu fleur bleue, le deuxième la légèreté et la vivacité. Ensuite, le Clair de lune de Claude Debussy semble apprivoiser les peurs de la nuit pour entrer dans sa féerie. L’auteur de La mer, qui a considérablement renouvelé le langage musical, disait notamment : « Il n’y a pas de théorie : il suffit d’entendre. Le plaisir est la règle ! » Cette règle sera aussi de mise en final avec un morceau peu joué, Allegro de concierto du compositeur espagnol Enrique Granados, qui a su mêler influences romantiques et musiques ibériques
« Nous avons réussi à produire cet album avec des moyens modestes, conclut notre interlocuteur. Cela prouve que soutenir la production musicale classique à Maurice est possible. J’espère sincèrement que d’autres musiciens prendront le relais. » Le peintre Alix Le Juge a fait de cet album un bel objet. Si les textes renferment quelques coquilles, la qualité sonore du CD est remarquable grâce au professionnalisme de l’ingénieur du son Pierre Gerval, par ailleurs pianiste, et de son collègue Fyley Lalanne, batteur et chanteur quant à lui. Kenneth Babajie rêve de faire la tournée des écoles pour faire aimer la musique classique. En attendant, il présentera cet album grâce au concert que la Société musicale propose en novembre, dans le cadre d’un festival de piano consacré aux interprètes mauriciens.

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