CHAMPS DE CANNES À BEAU-VALLON : Le difficile métier de femmes aux champs

C’est une question de courage. C’est aussi une question d’amour du métier, mais lorsqu’il faut garder son rythme pendant plusieurs heures d’affilées, les gestes mécaniques prennent vite le dessus. Telle une automate, Putwantee Barat, 59 ans, qui exerce le difficile métier de femmes aux champs, livre ses impressions sur cette profession qu’elle exerce depuis ses 20 ans.
Ses gestes sont précis et rapides. A 59 ans, Putwantee Barat dégage une énergie et une force de caractère pour le moins déconcertantes. Lorsqu’elle est aux champs, inutile de lui demander à quoi elle pense, car elle ne «pense pas», ni ne réfléchit ; elle n’a qu’un but en tête : «rane so louvraz».
D’ailleurs, c’est à peine si elle a le temps d’échanger quelques mots avec nous. Couverte de la tête aux pieds par des haillons propres lui servant de vêtements, arborant un large chapeau sur la tête pour se préserver des atteintes du soleil et chaussée de bottes de caoutchouc, notre interlocutrice s’élance, habile à travers les interlignes du champ de cannes labouré en amont. Difficile de la suivre, il nous faut donc courir pour la rattraper, mais à peine sommes-nous arrivés à sa hauteur, qu’elle repart à nouveau, les bras chargés de paquets de cannes coupées en plusieurs morceaux disséminés par des employés de la compagnie sucrière. Ce sont ces bouts de cannes ressemblant à des bâtonnets qui seront mis en terre.
Elle est également insensible au soleil levant et au cadre champêtre qui l’entoure. L’aurore n’est pas non plus une source d’apaisement pour elle, encore moins le soleil timide qui réchauffe l’atmosphère. La seule consolation peut-être, l’éclairage qu’il amène puisqu’elle est aux champs depuis 4 heures. Maîtresse des lieux, Putwantee Barat à, depuis le temps, trouver ses propres repères dans un vaste champ de cannes à perte de vue.
«Ne pas être un fardeau pour mes enfants»
Elle n’a pas forcément besoin de lumière pour se déplacer. Le soleil est, au contraire, dit-elle, source de tracas car cela lui fait inévitablement transpirer et, par conséquent, lui fait consommer beaucoup d’eau. «Des fois nou boir plis ki 4 litres delo», dit-elle sans jamais s’arrêter. Après une journée de dur labeur, confie-t-elle, il arrive que des gens qui font ce métier consomment de l’alcool afin d’apaiser leur fatigue ou pour tomber dans un profond sommeil pour être dispos dès l’aube, le lendemain. Putwantee insiste : «quand on fait ce métier-là, il faut boire beaucoup d’eau». «Avek sa travay-la, be si zot boir, zot pou fini sa. Zot boir boku boku delo par contre», renchérit Duth Soochit, 63 ans, le « sirdar » des lieux. Lui-même est un ancien travailleur des champs. A la retraite par le biais du Voluntary Retirement Scheme (VRS), la propriété de Beau-Vallon Cie Ltd a fait appel à lui, tout comme Putwantee Barat et une cinquantaine d’autres personnes.
Putwantee Barat a choisi ce métier pour vivre décemment, dit-elle, et «pour ne pas être un fardeau pour mes enfants». «Bizin travay. Samen metier mone fer», dit-elle, stoïque. Les femmes aux champs sont payées en moyenne Rs 200 par journée et peuvent toucher jusqu’à Rs 1200 par semaine. Elles se montrent toutefois avares de confidences sur cet aspect financier. «C’est 475 à 500 bâtonnets de cannes mis en terre par chacune des femmes et elles sont six au lieu de sept aujourd’hui. Je suis là pour m’en assurer», précise Duth Soochit.
Un esprit d’entraide
Des courbatures, Putwantee Barat en a certes, mais ne s’en plaint pas. Elle est de cette génération qui travaille sans rechigner, car «le travail aide à subvenir à mes besoins» et se dit heureuse de pouvoir «tenir encore sur mes deux pieds».
«Kan nepli kapav tenir douler, lerla mo ale lopital pou gagne medecine. Les reins casser ek sa travay-la, nek bizin verser pou mett cannes dan la terre», confie-t-elle. Il lui est arrivé, dit-elle, de s’évanouir lors de périodes de fortes chaleurs ou de fatigues accumulées, « lerla ale lopital enkor », poursuit-elle sur un ton léger. Et de déplorer le désintérêt de la jeune génération pour ce métier «appelé à disparaître parski bann zenes pas pou repren flambo».
Néanmoins, c’est toujours avec le même courage et beaucoup d’enthousiasme qu’elle quitte son domicile à Pointe Jérôme à 4 heures du matin pour entamer sa journée aux champs. Si normalement, il lui «faut rane louvraz vers 11 heures», il lui arrive de finir plus tard. Mais un esprit d’entraide règne parmi les travailleurs des champs : «Les plus forts physiquement aident les autres pour que tout le monde puisse finir dans les delais», dit-elle.

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