CINOVEA SMEDLEY : « Il y a trop de centres commerciaux à Maurice »

Notre invitée de ce dimanche est Mme Cinovea Smedley, la nouvelle Marketing Manager du centre commercial Grand-Baie La Croisette. En poste depuis le début d’avril, Cinovea Smedley a pour mission de faire fonctionner le centre commercial dont les débuts n’ont pas été particulièrement brillants. Dans l’interview qu’elle nous a accordée, en fin de semaine, elle nous résume son expérience professionnelle, donne sa définition d’un centre commercial et explique comment elle compte transformer celui dont on vient de lui en confier la gestion pour deux ans.
Qui êtes-vous, Cinovea Smedley ?
Je suis originaire de Cape Town, une des plus belles villes de mon pays, l’Afrique du Sud. Mon travail consiste à «gérer» des centres commerciaux, les shoppings centres, actuellement celui de Grand-Baie La Croisette. C’est un métier très prenant, avec beaucoup de défis.
Vous êtes née et avez étudié à Cape Town, qu’avez-vous fait avant de venir à Maurice ?
J’ai fait des études en marketing en Afrique du Sud, plus précisément au Cape Tecknicon de CapeTown. Je détiens également un diplôme en Communications et Relations publiques. Après mes études, j’ai travaillé dans des centres commerciaux à Capetown comme Marketing Manager de 2005 à 2010. Je suis ensuite allée travailler dans des centres commerciaux indiens dans le sud du pays, plus précisément à Bangalore, puis à Chennai. Beaucoup de centres commerciaux ouvrent dans les principales villes du sud de l’Inde. Avec une population de plus d’un milliard de personnes, il y a de la place pour des milliers de centres commerciaux en Inde.
Comment est-ce que les Indiens apprécient ces grands centres commerciaux qui font partie d’un concept nouveau, moderne ?
Ils les considèrent comme un lieu de rencontres, un endroit où on va se promener en famille. Les centres commerciaux participent à la manière de vivre en famille et en groupe qui est encore très forte en Inde.
Est-ce qu’il existe un modèle de centre commercial que l’on reproduit à travers le monde, ou est-ce que chaque région, pour ne pas dire chaque pays ou chaque ville, a le sien ?
Chaque centre commercial est un modèle particulier puisqu’il est destiné à servir la communauté au sein de laquelle il est implanté. Le centre commercial qui fonctionne bien est celui qui parvient à devenir un élément important, incontournable de la communauté. Un centre commercial réussi est celui dont le personnel parvient à découvrir et à comprendre les spécificités de sa clientèle et à les satisfaire. C’est sur cette base qu’on développe un centre commercial, qui n’est pas une suite de magasins dans un ensemble commercial.
Par conséquent, avant d’ouvrir un centre commercial, n’est-il pas nécessaire, voire indispensable, de faire une étude sociologique de ceux qui sont destinés à devenir ses clients ?
Un centre commercial ne s’improvise pas, ne s’impose pas mais répond à des besoins, une attente. C’est le résultat d’une série d’études, c’est une valeur ajoutée à la communauté au sein de laquelle il est construit. Pour revenir à la question de tout à l’heure, un centre commercial doit avoir sa personnalité propre dans laquelle ses utilisateurs se reconnaissent, se sentent à l’aise au point de revenir souvent, de le considérer comme un endroit agréable qui fait partie de leur vie. Il faut créer un sentiment d’appartenance avec la communauté qui l’entoure, communiquer avec elle.
Vous avez travaillé en Inde, comment communiquiez-vous avec la population entourant les centres commerciaux en ne parlant pas l’hindi ?
Même si je ne parlais pas la ou les langues indiennes, j’ai respecté les habitudes et coutumes culturelles des communautés avec lesquelles j’ai travaillé. Nous les avons intégrées au centre commercial afin de créer ce sentiment de se sentir un peu chez soi, dont je vous parlais. Et en Inde cette question est encore plus importante dans le mesure où la communauté est composée de plusieurs… communautés. On retrouve facilement autour d’un centre commercial, des hindous, des tamouls, des musulmans, des chrétiens, et il faut que chacun d’entre eux se reconnaisse, se retrouve dans le centre commercial et ses propositions.
C’est facile à faire ?
Non parce que tout cela repose sur des traditions, sur des manières de voir, des sentiments, des émotions. Mais ceux qui travaillent dans les centres commerciaux savent qu’il faut trouver l’équilibre entre beaucoup de choses et des règles — parfois non écrites — pour réussir.
Combien de temps êtes-vous restée en Inde ?
J’y suis restée deux ans. Vous allez me dire que c’est peu de temps à l’échelle du pays et de son histoire, mais j’ai passé ces deux années à apprendre tout en travaillant et je pense que c’est une des grandes expériences professionnelles de ma vie. Je ne parlais pas les langues indiennes mais je sais qu’une des règles du commerce, c’est de satisfaire la clientèle en établissant un contact. Ce contact est facilité lorsqu’il passe par le dialogue, mais il passe aussi par la qualité du service et la gentillesse qui établissent des liens, qu’il s’agit de savoir faire grandir et entretenir. Un centre commercial fonctionne grâce à une équipe calquée sur le modèle d’une famille et dont le Manager est la mère. L’équipe doit avoir un sentiment d’appartenance qui va aider à créer l’ambiance dans laquelle les clients vont se sentir à l’aise. Pour arriver à cela, il faut savoir écouter et retenir ce que les autres membres de l’équipe ont à dire. Un centre commercial ne fonctionne bien que s’il dispose d’une équipe dont les membres s’entendent bien entre eux. Ce n’est pas une suite de magasins, mais un ensemble dans lequel chaque espace et chaque individu jouent un rôle.
Vous êtes à Maurice depuis le début du mois d’avril. Avez-vous eu le temps de comprendre le fonctionnement de Grand-Baie La Croisette ?
J’écoute et j’apprends. Je suis comme une éponge qui absorbe tout ce que je peux. Je pense que le fait que j’arrive d’ailleurs me permet de faire un constat objectif et dépassionné de la situation.
Comment êtes-vous arrivée à Maurice ?
J’ai travaillé pendant la majeure partie de ma vie en Afrique du Sud et même si c’est passionnant, au bout d’un moment, on peut avoir envie d’aller voir ailleurs. Pour mesurer le chemin parcouru, pour apprendre différemment et parfaire les acquis et corriger ce qu’il faut. Aller travailler en Inde était un challenge, ce qui est également le cas pour Maurice. Mais je précise tout de suite que je ne suis pas venue ici avec des idées préconçues, avec mon expérience pour mettre en pratique des recettes.
Vous n’êtes tout de même pas venue ici les mains vides ?
Non, je suis venue avec mon expérience mais en sachant que j’ai aussi des choses à apprendre ici et qu’en définitive, c’est le mélange de ce que je sais et de ce que j’aurais appris qui  me permettront de travailler et de transformer Grand-Baie La Croisette.
Êtes-vous la sauveuse de La Croisette ?
Je ne pense pas qu’on puisse parler de sauver La Croisette, qui n’est ni perdue, ni en danger. Je suis venue travailler avec l’équipe pour améliorer l’image et le fonctionnement du centre commercial.
C’est un secret de polichinelle mauricien que ce centre commercial est loin d’être le succès que l’on avait prédit.
Je sais que le centre a connu et connaît quelques problèmes, mais je sais également, et je parle d’expérience, qu’un centre a besoin d’une période de temps à partir de son ouverture pour bien commencer à fonctionner. Chaque nouveau centre commercial a besoin d’une période de fine tuning.
Quel est, de votre point de vue, le principal problème de Grand-Baie La Croisette ?
Je ne peux pas, pour le moment tout au moins, répondre à cette question. J’ai demandé une étude sur la question, sur nos visiteurs, sur ce qu’ils sont, sur ce qu’ils souhaitent, sur leurs appréciations et leurs critiques. Je fais le tour des magasins, je regarde, j’écoute, je discute. C’est à partir de tout cela que je pourrai, dans quelque temps, répondre à la question que vous venez de me poser.
Est-ce que cette étude n’aurait pas dû être faite, ces questions être posées bien avant l’ouverture du centre commercial ?
Cela a été fait. Mais il faut actualiser et adapter les réponses parce que ce qui était une réalité il y a deux ans ne l’est plus, ou ne l’est plus tout à fait aujourd’hui. Les évaluations nécessaires avant la construction du centre commercial ont été faites. Après l’ouverture a lieu une période de time tuning pour réparer les petits détails qui, mis ensemble, peuvent provoquer un problème. Les plans ont été faits il y a trois ans et il marche mais il y a des détails qui doivent être revus dans le fonctionnement quotidien du centre. Et puis, il faut tenir en ligne de compte qu’entre la conception du centre et sa construction, beaucoup de choses se sont passées, comme la crise économique mondiale qui a fait ralentir la consommation, la réduction du nombre de touristes. Bref, ces importants paramètres, non prévus, ont forcément influé sur le fonctionnement de La Croisette.
Dans combien de temps serez-vous en mesure d’avoir les renseignements nécessaires pour envisager une nouvelle stratégie ?
Je pense que d’ici un mois, j’auraisuffisamment d’éléments pour avoir une bonne idée de la situation et commencer à travailler sur des solutions et des propositions. Mais déjà je peux vous dire qu’un des points sur lesquels nous allons travailler sera sur l’amélioration du service à tous les niveaux.
Je suis sûr qu’avant d’accepter de venir travailler à Maurice, vous vous êtes renseignée sur le nombre et le succès des centres commerciaux qui existent ici. Beaucoup disent que par rapport à la taille du pays et du marché, il y a deux ou trois centres commerciaux de trop. C’est une bonne analyse ?
Je crois qu’il y a trop de demandeurs par rapport à la taille réelle du gâteau à partager en ce moment. D’autant plus que nous sommes, au niveau mondial, dans une période de crise et dans certains pays, de récession économique. Cette période aux lendemains incertains pousse les gens à moins consommer ou à plus réfléchir avant de le faire. En ce qui concerne Grand-Baie La Croisette, il faut ajouter le fait que le nombre de touristes a beaucoup diminué. Il faut tenir compte de cet élément. Il y a trop de centres commerciaux à Maurice. Tout cela fait que ce n’est pas le moment d’ouvrir de nouveaux centres commerciaux. Il ne faut pas, en construisant d’autres centres, participer à la transformation de l’île en concrete jungle.
Savez-vous que Grand-Baie La Croisette est un élément imposant, pour dire le moins, dans la transformation de Grande-Baie en concrete jungle ?
Je ne suis pas d’accord avec vous. Notre centre commercial s’insère harmonieusement dans la nature, dans la verdure qui nous entoure. Cet aspect des choses sera pris en considération dans les mesures que nous allons prendre pour transformer, en l’améliorant, Grand-Baie La Croisette. Je vous invite à venir le constater dans quelques mois. Je vous garantis que vous serez obligé de changer d’opinion.
Dans la mesure où tous les centres commerciaux ont les mêmes boutiques qui vendent les mêmes marques et produits aux mêmes prix, quel est le plus, la différence que vous pouvez offrir aux visiteurs de Grand-Baie La Croisette ?
Par rapport aux autres, nous avons une architecture qui nous permet d’offrir des activités originales. Nous avons une magnifique place centrale…
… balayée en cette période par tous les vents du Nord !
Nous sommes en hiver, il fait froid et il vente sur toute l’île. Je vous rappelle que nous sommes en train de faire une étude complète sur le centre commercial pour l’améliorer, en tenant compte de la réalité et des conditions d’aujourd’hui. Nous ne sommes pas à la recherche de solutions pour le court terme, mais pour des solutions dans la durée.

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