BRIAN GLOVER (PRÉSIDENT DE L’EOC) : « Dotons le tribunal du pouvoir d’enquêter sur la PSC ! »

Cela fait un an depuis que l’Equal Opportunities Commission (EOC) est entrée en opération. Sur plus de 600 plaintes reçues, une seule a été référée à l’Equal Opportunities Tribunal (EOT), tandis qu’une autre est dans le pipeline. Récemment, le vice-Premier ministre et ministre des Finances a émis le souhait de voir plus de condamnations pour discrimination. Le Mauricien fait le point avec Brian Glover, président de l’EOC. Il évoque sa mission de conciliation et son désir de travailler dans un système différent du judiciaire. De même, il parle de la résistance des corps parapublics et des lacunes qui empêchent le tribunal d’agir.
Cela fait un an depuis que la commission existe. Êtes-vous satisfait du travail accompli ?
Je suis très satisfait du travail que mes collègues et moi-même avons abattu. Il n’est jamais facile de prendre les rênes d’une institution qui vient de naître. C’est toujours plus facile de se glisser confortablement dans des structures qui existent déjà. Il nous a donc fallu creuser les fondations, couler le béton, ériger les structures métalliques, monter les blocs et couler la dalle. Kan dal inn sek nou ava fer krepisaz. La réaction du public démontre sa confiance en la commission. J’avais toujours dit que l’EOC ne sera jamais yet another Commission. Mo bien krwar monn tini parol.
Combien de plaintes avez-vous enregistrées en un an ?
650 plaintes, dont 428 déjà examinées. Il y a une baisse significative dans le nombre de plaintes non-fondées ou frivoles, qui me réconforte particulièrement. Pour notre Interim Report, l’année dernière, il y avait à peu près 45 % des cas irrecevables. C’était clair que les gens n’avaient pas bien compris cette nouvelle loi. Aujourd’hui ce chiffre est à 28 %. Notre campagne de sensibilisation et surtout notre système de communication ont porté leurs fruits. Qui plus est, contrairement à ce qu’on croyait, le nombre de recours à la commission n’a pas baissé avec le temps. Je pense que la population sait reconnaître ceux qui travaillent. Autrement, la commission aurait phase out d’une mort naturelle.
Le ministre des Finances a récemment émis le souhait de voir plus de condamnations pour discrimination. Comment régissez-vous ?
C’est une opinion valable. C’est rassurant de voir que les décideurs attachent autant d’importance à ce que nous faisons. Si j’ai bien compris, Xavier Duval pense que plus de condamnation aurait un effet plus dissuasif. Mais d’abord, il faut comprendre une chose bien importante : c’est l’Equal Opportunities Tribunal qui condamne et non pas la commission. Notre premier cas y a été référé depuis janvier. Or, il semble que ce tribunal ne peut pas encore siéger. Et cela n’est pas de mon ressort. La commission est une chose. Le tribunal c’est une autre chose qui ne tombe pas sous ma responsabilité. Par ailleurs, il faut aussi savoir que la commission a l’obligation d’essayer d’amener les parties vers une conciliation. Mais ce n’est pas aussi simple : les négociations sont dures et souvent longues. De même, la loi nous impose à promouvoir les bonnes relations entre les parties, au même titre que l’égalité des chances. C’est primordial dans une société comme la nôtre, surtout lorsque nous voulons voir évoluer les mentalités. On ne peut promouvoir les bonnes relations et impacter sur les mentalités en envoyant de but en blanc des gens devant un tribunal. De plus, je ne veux pas d’un système trop legalistic. Cela pourrait causer beaucoup de déceptions.
Les Mauriciens s’attendent peut-être à des actions plus visibles voire plus sévères…
Je ne pense pas qu’un changement sociétal s’opère du jour au lendemain avec enn rotin bazar. Il faut graduellement amener les Mauriciens à changer leurs mentalités. C’est un exercice qui requiert du doigté, de la finesse et une compréhension de l’équation sociale ainsi que du mindset de Monsieur tout le monde. Le travail bâclé pour épater la galerie, ce n’est pas pour moi. Parfois, on amène des gens à la raison avec très peu de falbala. Prenez l’exemple de cette municipalité qui après une simple lettre de ma part, s’est vite conformée à la loi en s’engageant à mettre en place une Equal Opportunity Policy. Il y a beaucoup de cas où les choses sont plus délicates et où la protection des parties concernées apporte plus de résultats à long terme. J’invite ceux ayant des critiques constructives ou des interrogations à venir vers nous.
Lors du lancement de votre rapport intérimaire, vous avez identifié plusieurs lacunes sur lesquelles bute l’égalité des chances. Y a-t-il des amendements prévus ?
Des requêtes d’amendements à la loi ont déjà été envoyées à l’Attorney General. Je ne peux vous dire si des amendements sont prévus, même si pour moi des amendements sont souhaitables au plus vite. En me basant sur une réponse au Parlement récemment, j’ai cru comprendre que les autorités concernées ne veulent pas faire de piece-meal amendments. D’autant, que j’ai clairement fait comprendre à qui de droit que d’autres suggestions d’amendements pourraient bien venir en temps et lieu. Mais pour répondre à votre question, je n’ai pas connaissance d’une quelconque réticence à apporter les amendements suggérés par la Equal Opportunities Commission. Et c’est tant mieux.
Comment ont réagi les personnalités à qui vous avez envoyé ce rapport ?
Il faut d’abord préciser que la loi ne nous impose aucune obligation de soumettre des rapports. Mais comme je crois dur comme fer dans la nécessité de la transparence, j’ai insisté pour faire des rapports et de les rendre publics. Dans le même esprit, je me suis entretenu avec le président de la République, le Premier ministre et le leader de l’Opposition. Je pense que ce rapport a été bien accueilli puisque je n’ai pas eu de feedback négatif jusqu’ici.
Avez-vous le sentiment d’être soutenu par les autorités dans votre travail ?
Jusqu’à preuve du contraire, je vous réponds sans ambages : oui. J’ai toujours dit que lorsqu’une nouvelle loi est mise en place, sa réussite réelle est tributaire de trois volontés : la volonté institutionnelle, la volonté populaire et la volonté politique. Si ces trois éléments sont présents dans l’équation, nous sortirons du mythe politique et entrerons dans une réalité sociétale. Je n’ai aucune raison de croire qu’il pourrait en être autrement. Au cas contraire ce serait un terrible gâchis.
La municipalité de Curepipe a, en premier lieu, rejeté une motion pour l’application de l’Equal Opportunity Policy. Cela démontre peut-être que les élus n’ont pas peur de la commission…
Je ne crois pas. Je ne sais pas ce qui a pu motiver certains à la municipalité de Curepipe de rejeter une telle motion. Ce n’est pas mon problème. Ma seule préoccupation c’est de voir que la loi est appliquée et que l’égalité des chances devienne une réalité sociale. C’est ce que j’ai fait comprendre au maire de Curepipe. Je ne peux pas rendre publics tous les détails de sa réponse à ma lettre, mais la municipalité a finalement voté pour l’Equal Opportunity Policy. Elle veut aussi nous aider dans des campagnes de sensibilisation. Pa mal non ?
Craignez-vous que la commission ne devienne un « bouledogue sans dents » comme on le dit pour d’autres commissions du genre ?
Mem si Bondye pa ti donn mwa ledan, mo ti pou al aste ratelye. (Rires). Non franchement, il n’est pas question que cette commission devienne yet another Commission comme je l’ai déjà dit. En tout cas, je me battrai toujours pour que cette commission soit respectée, que les principes de l’égalité des chances soient intégrés dans les moeurs mauriciennes et que notre société s’émancipe.
Cependant, je pense que certaines modifications à la loi sont impératives. La priorité des priorités c’est de doter l’Equal Opportunities Tribunal du pouvoir de soumettre la PSC à son autorité. Actuellement, la Constitution prévoit que seule la Cour suprême et dans des cas précis la Public Bodies Appeal Tribunal sont habilités à le faire. Si nous voulons que l’Equal Opportunities Act protège aussi les fonctionnaires, il faut revoir la Constitution.
Est-ce que le secteur privé est toujours plus coopératif que le secteur public ?
Sans aucun doute. La preuve : aucun cas de conciliation n’a jusqu’ici été enregistré où l’Alledged Discriminator est un corps para-étatique. Ceci étant dit, je dois cependant faire ressortir que certains ministères sont plus accommodants que les corps para-étatiques. Car, nous avons trouvé des solutions pour les plaignants dans certains ministères même si nous n’avons pas signé des Conciliation Agreements. Par contre, nous avons constaté une avalanche impressionnante de doléances depuis quelque temps déjà concernant un ministère en particulier. Cela nous interpelle énormément. Au lieu de traiter tous ces cas sur un case to case basis, nous avons l’intention d’ouvrir une enquête globale sur ce ministère. Ce n’est pas possible qu’il y ait autant de complaints, presque de même nature, contre un même ministère. Je vous promets des développements majeurs sous peu.
Vous avez dit l’année dernière que la population a de grandes attentes sur la commission. Pensez-vous que ces attentes ont été comblées ?
Bien sûr. Regardez nos statistiques et les résultats que nous apportons. Cependant, c’est encore trop tôt pour une évaluation aiguisée. Pa enn travay kui vide sa. Le changement de mentalités, l’éradication des mauvaises habitudes et le redressement des travers sociétaux ne s’opèrent pas d’un coup de baguette magique. C’est un travail de longue haleine.
Ceci étant dit je pense humblement avoir déjà rempli une bonne partie de mon contrat envers la population. Lors de nos divers ateliers de travail à travers l’île et lors de nos campagnes de sensibilisation, nous constatons agréablement que cette commission continue de susciter de l’enthousiasme. Il faut que les citoyens se débarrassent de leur pessimisme, s’émancipent d’un système vieux comme la lune et commencent à croire que demain sera meilleur qu’hier. Ce pays possède tous les ingrédients nécessaires pour se construire une nation. Ce projet est en devenir. Cela ne relève pas du rêve. Mais de l’optimisme. Et c’est bien cela que je veux communiquer à la population dans le travail que je fais. E krwar mwa : mo pou fer li.

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