Peur de représailles ou peur tout court ?

Ce qui aurait dû être une simple histoire d’accident de voiture qui n’avait, au départ, fait aucun blessé, est devenu, de par le comportement d’un des protagonistes, une affaire d’intérêt national et défraye la chronique journalistique et radiophonique tous les jours.
Cet accident soulève beaucoup de questions sur nous et sur l’état de notre société. Bien que plusieurs personnes, voisins et autres usagers de la route, étaient témoins de l’accident et de ce qui s’ensuivit, tous, sauf un téméraire, n’ont pas osé témoigner, par peur de représailles car l’un des conducteurs n’est autre que l’Attorney General.
 Dans toute démocratie digne de ce nom, on aurait dit « so what », la loi est la loi et doit s’appliquer de la même façon pour tout le monde. C’est justement ce que dit notre Constitution – l’égalité de tous les citoyens devant la loi – mais la perception par les citoyens est tout autre. Ce citoyen ordinaire qui est en général respectueux de la loi a, dit-il, peur des représailles. Il a fallu que le premier ministre vienne publiquement garantir qu’il n’y aurait aucune représaille contre les témoins et qu’ils doivent aller donner leur version des faits à la police, pour que six témoins oculaires aillent consigner leur déposition.
L’attitude de ces témoins oculaires, des citoyens de notre république, soulève beaucoup de questions. Peur de représailles, disent-ils, à l’unanimité. Cette peur latente mais ô combien omniprésente prime sur nos devoirs et nos droits en tant que citoyen ? C’est grave. Nul n’est au-dessus de la loi mais pourtant un accident de la route suivi d’une altercation violente impliquant une personnalité en vue sur un citoyen lambda, semble démentir cet adage. Bien des fois, la perception de la réalité cache, voile, déforme, subvertit celle-ci. Et la peur qui y découle et s’installe, nous transforme, lentement mais sûrement, en citoyens dociles, serviles, ou des citoyens à la tête coupée, pour emprunter l’image conceptuelle utilisée à juste titre par Mme Danielle Palmyre dans son article « Au pays des têtes coupées » paru dans la page Forum du Mauricien en date du 13 mai 2013.
Est-on arrivé au stade où dans notre inconscient, justice rime avec injustice, impunité, passe-droit, protection occulte ? Est-ce que notre démocratie glisse lentement mais sûrement vers une autocratie où ceux qui ont le pouvoir prendront progressivement la loi entre leurs mains et régleront les conflits comme bon leur semble dans les institutions aussi bien que dans les espaces publics ?
Que doit-on comprendre quand le citoyen se mure dans le silence complice par peur de représailles ? Est-ce un signe précurseur du fonctionnement de notre démocratie, de notre système policier, légal et judiciaire ? Le poste de police, le premier seuil qu’on doit franchir pour enregistrer une plainte, une doléance, un délit d’ordre pénal, est-il perçu comme impartial, « citizen-friendly » ou est-ce qu’il ne représente, dans l’esprit du Mauricien que le bras droit de l’autorité, du pouvoir ?
Est-ce qu’un Premier ministre doit réaffirmer une garantie basique de toute démocratie afin que le citoyen exerce son devoir civique ? Comment et depuis quand vit-on dans une société de la peur, la peur du pouvoir ? Peur à tel point qu’on n’ose plus défendre la vérité ou tout au moins ce qu’on a vu (witnessed) ? La peur détruit la démocratie, la liberté tant individuelle que sociale. Elle entame aussi le bon fonctionnement de nos institutions ainsi que la séparation de pouvoir entre les trois institutions, composantes fondamentales de toute démocratie – le judiciaire, le législatif et l’exécutif. La peur subvertit la liberté citoyenne, motive ou bloque ses prises de position et l’emmure irrémédiablement dans la politique d’un silence complice. De quel côté, l’histoire rangera celui qui choisit d’être un témoin muet ?
Je n’ai pu m’empêcher de penser au pasteur allemand, Martin Niemoller, qui prit finalement position contre le nazisme et écrivit son fameux poème :
« First, they came for the communists and I did not speak out because I was not a communist.
Then they came for the trade unionist and I did not speak out because I was not a trade unionist
Then they came for the Jews and I did not speak out because I was not a Jew.
Finally, they came for me and there was no one left to speak out.”

La ligne de démarcation entre complicité et silence est parfois bien mince. Les risques de représailles qu’entraîne toute démarche de dénonciation sont réels et sérieux mais la vie en société ne comporte-elle pas toujours des risques ? Ce qui est arrivé peut advenir à n’importe qui d’entre nous, sauf si on est parmi la petite poignée des puissants de l’Ile Maurice.
L’heure est grave et il faut reconstruire notre société de droits – égaux pour tous – afin que tout citoyen puisse exercer ses droits sans peur ni reproche.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -