Jayen Chellum : « La consommation responsable doit être soutenue par le GM »

Si l’Association des Consommateurs de l’Île Maurice (ACIM) a soufflé ses 40 bougies en 2015, ce n’est qu’en 2017 qu’elle a pu marquer l’événement faute de fonds. En 2009, 58 % des sondés d’une étude entreprise par le Bureau central des Statistiques considéraient l’ACIM comme leur source première d’information au sujet des droits des consommateurs. Dans l’entretien qui suit, le secrétaire général, Jayen Chellum, revient sur les principales réalisations de l’ONG au niveau national. Il insiste par ailleurs qu’il y a « des projets qui ne sont pas nécessaires, qui sont poussés par des politiciens et qui plombent plusieurs millions de roupies au pays ». Il s’attarde également sur l’importance de la consommation responsable qui, selon lui, « doit être soutenue par le gouvernement ». « Le gouvernement a un rôle prépondérant comme arbitre pour rétablir les injustices. Depuis trente ans, la plupart des gouvernements n’ont pas joué leur rôle comme il le fallait ».

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L’ACIM a célébré cette année ses 40 ans. Comment l’association a-t-elle été formée ?

L’organisation a été formée en 1975 par des personnes qui étaient de la mouvance des revendications sociales, parmi lesquelles des personnes engagées au niveau politique dont Vishnu Lutchmeenaraidoo, Kee Chong Li Kwong Wing, Shirin Aumeeruddy-Cziffra, des syndicalistes et même des journalistes. À l’époque, le chômage battait son plein avec une montée en flèche de l’inflation. Toutes ces personnes donc voulaient apporter plus de justice sociale. Il paraîtrait que l’ACIM a existé depuis les années 1939, pendant la période de rationnement mais elle a officiellement été enregistrée en 1975. Moi, je suis arrivé en 1986. Nous avons un comité de direction qui se rencontre chaque mois et la bonne gouvernance de l’ONG se traduit à travers une élection chaque deux ans. Notre ex-présidente, Madeline Vas, décédée en 2017, a été remplacée par Antoine Cangy. L’association a eu 40 ans d’existence en 2015 mais faute de fonds, ce n’est qu’en 2017 que nous avons pu marquer l’événement.

Quels ont été les grands combats livrés par l’ACIM ?

Tout d’abord, il faut rappeler que l’ACIM a pour objectifs la protection des droits et intérêts des consommateurs de même que la justice sociale et l’éducation des consommateurs. Aujourd’hui, on a étendu notre travail en direction de la sensibilisation à la consommation responsable. Parmi nos grands combats, nous avons pu faire interdire l’importation d’un type de lampe verte en 1984. Cette lampe avait au fil des années causé la mort de 80 femmes au foyer. Elles sont mortes brûlées à travers l’explosion de ces lampes. En 1989, la redevance télé augmente par 400 %. L’ACIM a pu faire reculer le gouvernement pour 26 % de la population qui consommaient moins de 32 unités à l’époque. Jusqu’aujourd’hui, les familles modestes bénéficient d’un prix plus bas. En 1990, on a remporté un cas de remboursement des consommateurs en Cour dans le cadre d’une double facturation de l’électricité.

Au total, 180 777 consommateurs dont des entreprises ont obtenu un remboursement de Rs 38 M. En 1992, le gouvernement tente, à travers le ministère de l’Énergie, de réaliser un projet de centrale nucléaire sur l’île plate. Suite à notre campagne de quatre mois avec un expert qu’on avait fait venir de l’étranger, nous avons pu tuer le projet dans l’œuf. Ce qui n’est pas sans rappeler qu’il y a des projets qui ne sont pas nécessaires mais qui sont poussés par des politiciens et qui plombent plusieurs millions de roupies au pays. Par ailleurs, si aujourd’hui, une partie de la plage du Morne est toujours accessible aux Mauriciens, c’est grâce à l’action de l’ACIM sous la bannière de SOS Plage, en 1995. Sans notre mouvement de protestation, les hôtels auraient pris toute la plage.

Entre 1998 et 2001, l’ACIM a publié en collaboration avec l’Université de Maurice six volumes d’ouvrage intitulé Consumer Behavior. En 2009, nous sommes parvenus à faire baisser le coût des produits pétroliers. En fait, au fil des années, l’un des plus importants combats de l’ACIM a été contre l’augmentation injuste des prix. L’un des grands succès de l’ONG a été de faire céder le gouvernement lorsque sur le marché international, le prix du pétrole est descendu de 117 dollars le baril à 84 dollars le baril alors qu’à Maurice, le prix continuait à grimper. Nous avons pu faire reculer le coût par plus de Rs 50 par galon. Depuis 2008, avec toutes nos actions entreprises dans la lutte contre l’augmentation injuste des prix du pétrole, nous avons pu faire épargner plus d’un milliard de roupies qui sont restées dans la poche des consommateurs et des entreprises.

Parlez-nous du danger qui pesait sur l’existence même de l’ACIM.

En fait, si les consommateurs aiment avoir recours à nos services, ils sont plus réticents à devenir membres et donc à contribuer. Et, les gouvernements successifs, en général, n’aiment pas être critiqués. Au début donc, on nous prenait pour une organisation qui faisait dans la dissidence. Au fil du temps, toutefois, on a vu que nous étions une ONG qui jouait son rôle social. Mais, en 2009, le gouvernement travailliste nous avait menacés car il n’aimait pas les critiques qu’on faisait. C’est là que je dis chapeau au personnel. Trois personnes ont travaillé sans être payées pendant une année parce que le gouvernement voulait se débarrasser de l’organisation. Ce qui m’a poussé à observer une grève de la faim d’une douzaine de jours, suite à laquelle le gouvernement a rétabli le subside à notre ONG.

Cette année, le gouvernement a reconnu l’importance de notre travail et a augmenté l’allocation. Aujourd’hui, si les bœufs se vendent au pesage pour Bakreid, c’est grâce à l’ACIM. Un autre grand combat a été contre le métro léger. On a étudié le projet métro léger depuis 1994 à plusieurs reprises.

L’ACIM a commandité des études sur le métro léger ?

Nous avons fait faire une étude comparative impliquant 16 pays par une organisation basée en Angleterre et on a trouvé que pour avoir un projet rentable, il fallait une population de 2 millions de personnes sur 16 km. Depuis, cela a changé. On a trouvé qu’on peut avoir moins de personnes mais toujours est-il qu’à Maurice, on n’a pas la masse critique et avec la topographie, on ne gagnera pas en vitesse. Mais, plus grave, c’est qu’il existe des alternatives comme le Bus Rail Transit, qui peut couvrir toute l’île. On aurait pu avoir un développement intégré dans les villes et villages. Mais, le gouvernement a opté pour un projet plus coûteux qui bénéficiera à moins d’habitants. C’est ce qui a motivé notre combat et nous continuerons à nous battre.

Ne considérez-vous pas le combat perdu puisque les travaux démarrent incessamment ?

Même si le projet démarre, nous continuerons notre combat car nous voulons savoir à terme combien cela aura coûté, si les gens vont utiliser ce mode de transport… On ne baissera pas les bras.

L’ACIM est-elle connue au niveau national ?

Certainement ! Une étude effectuée par le Bureau central des Statistiques en 2009 montrait que 58 % des sondés considéraient l’ACIM comme leur source première d’information au sujet des droits des consommateurs ; 47 % pensaient à la CPU et 25 % à l’ICP.

Parlez-nous de l’évolution de la consommation à Maurice notamment avec l’avènement des hypermarchés depuis quelques années.

Le travail de l’ACIM ne fait qu’augmenter au fur et à mesure que la société consomme davantage. Depuis les années 1980, la société mauricienne est devenue une société de consommation surtout avec la Zone Franche. Plus de personnes travaillaient. Ensuite, l’achat à crédit a poussé vers la surconsommation. Les gens ont eu recours au hire purchase. Nous avons hérité de l’ultralibéralisme économique qui pousse les gens à consommer avec l’illusion de bien-être à travers la consommation. Il y a des entreprises qui, à la veille des élections, font des dons aux partis politiques et une fois au pouvoir, le gouvernement devient réticent à protéger les droits de consommateurs. L’ACIM a milité pour la Hire Purchase Act. Aujourd’hui, on voit une prolifération des publicités. Or, les lois sur la publicité n’ont pas changé depuis 1970. Quant à la Consumer Protection Act, elle date de douze ans. Les fournisseurs du marché sont protégés par l’État. La protection des consommateurs, elle, est restée bien en arrière.

Que comptez-vous faire pour que des lois plus appropriées voient le jour ?

En 2018, nous allons peut-être changer la manière dont nous opérons. Nous allons solliciter le soutien du public à travers les réseaux sociaux, les pétitions etc. Prenez la loi sur la sécurité alimentaire. Si on avait sous un même chapeau, une organisation des consommateurs, le ministère, les municipalités, la sécurité alimentaire aurait augmenté par 500 %.

Pouvez-vous élaborer sur la consommation responsable ?

Une société de consommation engendre beaucoup d’individualisme. Il y a eu une occidentalisation et une indianisation de notre mode de consommation. Les réclames à travers les chaînes satellitaires font que nos entreprises importent des produits d’Europe et d’Inde. Les gens dépensent beaucoup plus. La société est en train de se fragiliser à travers l’écart entre les riches et les pauvres. Il n’y a plus de classe moyenne. Or, nous devons être responsables. Il y a aussi l’aspect environnemental. Il est un fait que la surconsommation pousse vers le réchauffement de la planète. Le consommateur, aujourd’hui, ne peut ignorer l’impact de son mode de consommation sur son environnement. Cette responsabilité accrue du consommateur individuel doit s’allier avec la majorité des consommateurs car c’est l’approche globale qui peut nous amener à changer quelque chose pour notre planète. Ceci est fondamental. La consommation responsable doit être soutenue par le gouvernement. Il y a tellement de déséquilibre entre ceux qui dominent le marché et ceux qui subissent. On n’est pas dans une demand led society mais plus dans une supply led society. Ce ne sont pas les consommateurs qui dictent les lois mais elles sont imposées par les plus grandes entreprises qui sont en situation de monopole. Le gouvernement a un rôle prépondérant comme arbitre pour rétablir les injustices. Depuis trente ans, la plupart des gouvernements n’ont pas joué leur rôle comme il le fallait. Ils accusent toujours les consommateurs d’être irresponsables et ferment les yeux sur leurs propres manquements.

Quels seront les prochains combats de l’ACIM ?

Les augmentations injustes seront toujours au centre de nos combats. On continuera à nous attaquer aux projets d’infrastructures inutiles pour le pays. On travaillera aussi sur le resserrement du lien entre les consommateurs et l’environnement à travers plus de campagnes éducatives. On travaillera avec la Fédération internationale des Consommateurs dont j’ai été membre exécutif entre 1989 et 2003 sur la question du e-commerce, entre autres. Le plus important, c’est de savoir comment encourager les consommateurs à être responsables de leur mode de consommation.

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