Amarnath Hosany : « Il faut garder cette flamme du patriotisme à travers le respect et le partage »

Auteur jeunesse avec quinze titres, le dernier étant Tizan et l’arbre à bonbons coécrit avec Véronique Massenot, auteure française, Amarnath Hosany estime que 50 ans après l’accession de Maurice à l’Indépendance, « il faut garder cette flamme du patriotisme à travers le respect et le partage ». Il trouve dommage que « la construction de la culture mauricienne n’a pas évolué ». Ni non plus le domaine des arts et de la culture. Or, dit-il, « à travers l’art et la culture, on s’enrichit. On devient humain. On découvre l’autre. On l’apprécie et le vivre ensemble se fait automatiquement. Les barrières tombent automatiquement… »

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Avez-vous vécu l’accès de notre pays à l’Indépendance en 1968 ? Quels souvenirs en gardez-vous ?

J’étais à l’école primaire. Je revois les enfants qui brandissaient le quadricolore en toute innocence. Leurs yeux brillaient un peu comme à chaque Noël. Je pense que comme moi, à l’époque, ils avaient cet espoir d’une île Maurice meilleure. J’ai grandi dans une fratrie de quatre enfants, dont j’étais l’aîné. Mes parents parlaient de l’indépendance et de ce que cela impliquait mais nous, enfants, on ne mesurait pas trop ce qu’il en était. Mais, au fil des années, je crois qu’inconsciemment, j’ai ressenti cette construction de la société mauricienne. À l’école, entre amis, on partageait tout, on jouait ensemble.

Aujourd’hui, par contre, on a l’impression que les barrières grandissent entre nous. À l’époque, on venait de sortir de l’ère coloniale et on sentait cette envie de vivre ensemble. J’habitais Quatre-Bornes et entre amis, on partageait la même culture mauricienne. Ce qui est dommage, c’est que la construction de cette culture n’a pas évolué. Les gouvernements qui se sont succédé ont négligé le ministère des Arts et de la Culture. Or, on ne s’en rend peut-être pas compte mais la culture mauricienne est riche et elle aurait dû être exploitée. Heureusement, les artistes sont là pour la faire vivre. La culture mauricienne est vivante mais on aurait dû la valoriser davantage car à travers la culture et l’art, on s’enrichit. On devient humain. On découvre l’autre, on l’apprécie et le vivre ensemble se fait automatiquement, les barrières tombent automatiquement…

50 ans d’Indépendance, qu’est ce que cela vous inspire ? Estimez-vous que le pays a beaucoup avancé en termes de développement économique, de démocratie, d’un point de vue éthique ?

Du point de vue des infrastructures, oui. Mais, au niveau de la mentalité, il reste beaucoup à faire. Il faut que les Mauriciens pensent mauricien avant tout. On est d’origine différente, oui. Mais, c’est ce qui fait notre atout. Il faut se comporter en Mauricien. C’est ce qui fera émerger notre richesse culturelle. En nous comportant comme de vrais Mauriciens, on démontre qu’on a une culture riche, une histoire qui nous réunit sur une île. Il faut que les grands-parents puissent y participer aussi. La priorité dans notre société doit être de vivre en communauté et partager.

Quels sont ces autres points faibles sur lesquels les Mauriciens doivent travailler davantage pour une meilleure construction de la nation ?

Il faut que nos jeunes puissent connaître davantage l’histoire de leur pays. J’ai l’impression que cela a été relégué au plan académique. On doit être conscient des circonstances dans lesquelles on a évolué ensemble. Et se demander comment on a réussi. On a réussi parce qu’il y a eu l’entraide, la solidarité, le respect. Je pense que tous les Mauriciens sont patriotes mais il faut garder cette flamme à travers le respect, le partage et la conservation de l’environnement aussi…

Y a-t-il des valeurs qui existaient autrefois et qu’on a perdues aujourd’hui ?

Le partage. Cela se fait automatiquement parfois mais le partage ne doit pas se restreindre à une fête. Cela doit se faire de manière spontanée, dans la vie de tous les jours. On peut partager un peu de bonheur à travers le dialogue. À l’école, il faut encourager l’enfant à aller vers un ami qui est seul et partager un moment d’amitié avec lui afin qu’il sente qu’il existe. Je pense que cet aspect humain doit être revu. Il faut se ressaisir.

Vous qui écrivez des livres pour enfants, avez-vous noté des progrès au niveau de la littérature enfantine ?

Personnellement, grâce à l’Institut français, à mes participations aux salons à La Réunion, ce que j’écris commence à trouver un lectorat à Maurice et au niveau International. Mais, ce qui est dommage, c’est qu’à Maurice, on ne valorise pas la littérature mauricienne. On a des bibliothèques dans presque tous les établissements scolaires mais je me demande combien d’auteurs sont invités. Le 23 avril est la Journée du Livre. Combien d’auteurs mauriciens sont-ils invités à rencontrer des enfants ? À La Réunion, en revanche, les métiers du livre sont valorisés. Tous les acteurs du livre sont mis en avant, de l’illustrateur à l’auteur, en passant par l’imprimeur, l’éditeur, le bibliothécaire et le libraire. Tout le monde est engagé pour la promotion du livre. Dans les écoles privées, il y a cette envie de promouvoir la lecture. Moi-même, j’y vais pour animer des ateliers. C’est un bonheur de partager mon expérience d’auteur et cela m’enrichit beaucoup.

La Journée de la Femme sera célébrée ce jeudi. Quelle image notre pays projette-t-elle de la Femme ?

Ce n’est pas une question de femme ou d’homme. C’est l’humain au centre du développement de la société. Il y a ce côté macho qui n’a pas disparu de notre société. Il y a des femmes qui ont beaucoup de compétences mais qui ont des difficultés à percer au travail parce qu’elles ne se sentent pas valorisées. Il y a le regard de l’autre qui se sent supérieur. Dans l’ensemble, c’est cette mentalité qui doit changer et il faut que la relation entre l’homme et la femme soit saine et sincère.

À la veille de la Journée de la Femme et des 50 ans de la République, alors qu’on aurait pu se réjouir de l’accession d’une femme au sommet de l’État, l’affaire de la présidente Gurib-Fakim met mal à l’aise…

Si cela va ternir l’image de Maurice, il faut qu’on arrive à trouver une solution saine pour sortir de cette impasse. Il faut aussi voir ce qui est dit dans cette affaire et de l’autre côté, ce qu’il y a comme éléments…

En tant qu’auteur pour enfants, vos écrits font souvent rêver les petits. Les rêves sont-ils importants ?

Oui, bien sûr, on peut rêver d’un monde meilleur. Je pense que l’humain ne doit pas cesser de rêver car cela nous permet de nous évader, de faire des rencontres… Cette expérience nous aide à grandir et nous aide à bâtir notre personnalité. Il faut se permettre de rêver.

Quels sont vos rêves pour votre pays ?

Que la culture mauricienne soit vraiment vivante et présente dans la société. Qu’on arrive à la vivre. On la vit mais on ne l’apprécie pas. A-t-on conscience de cette opportunité que l’on a de partager la culture de l’autre ?

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