Ashwin Dookun (président de la PAM) : « Les prix des médicaments ne baisseront pas avec le Regressive Mark-Up »

L’introduction du Regressive Mark-Up sur les médicaments ne va pas faire baisser les prix au comptoir des pharmacies. C’est ce que soutient Ashwin Dookun, président de la Pharmaceutical Association of Mauritius (PAM), regroupant environ 450 pharmacies à travers l’île.

- Publicité -

Dans l’interview qui suit, le président de l’association dit ne pas comprendre pourquoi le gouvernement veut introduire un Regressive Mark-Up sur les prix des médicaments, alors qu’environ 70% de la population ont accès à des médicaments gratuitement dans les hôpitaux et dans les institutions de santé publique. Cette démarche du gouvernement,entraînera et mettra en péril la santé financière des pharmacies existantes, qui n’auront d’autre choix que de fermer boutiques et de laisser de la place à des concurrents.

Cette démarche, dit-il, s’apparente à un nouvel épisode du Mauritius Turf Club. Si le gouvernement maintient sa décision, il craint fort qu’au moins 75 pharmacies ne ferment leurs portes l’année prochaine et qu’elles soient reprises par d’autres.
Pour l’heure, il maintient que les pharmacies se mettront en grève aussitôt que le Regressive Mark-Up sera appliqué.

En sus de cela, il prévient que les pharmaciens cesseront de vendre des médicaments au détail et elles comptent également revoir les horaires d’ouverture durant le week-end et les jours fériés. Il dira qu’il comprend le vœu du gouvernement de baisser le prix des médicaments mais que ce n’est pas avec une telle mesure qu’il parviendra à atteindre ses objectifs. Il souligne aussi que les consommateurs ont le choix de se rendre dans le privé ou d’aller dans les institutions de santé publique pour obtenir des médicaments gratuitement, Pourquoi alors ce Regressive Mark-UIp qui va tuer les petites pharmacies ? se demande-t-il.

Comment se présente la situation pour les pharmaciens actuellement ?

Le prix des médicaments est actuellement réglementé par le ministère du Commerce. Ces prix sont frappés par un Mark-Up de 35% qui est partagé entre les grossistes et les revendeurs. Au niveau des grossistes, c’est un Mark-Up de 13,2% qui est appliqué et alors que dans le Retail le taux est de 21,6%. Maintenant le gouvernement veut proposer un système qui, soi-disant, va faire baisser le prix des médicaments. Bien que nous soyons conscients que les prix des médicaments ont augmenté, il faut savoir que cette situation n’est pas due au secteur pharmaceutique.

La hausse des prix des médicaments est plutôt due à la dévaluation de la roupie, au taux de change de l’euro qui a augmenté et du dollar. Une telle situation va automatiquement impacter le prix des médicaments car nous achetons la plupart de nos médicaments en euro et nous payons le fret en dollar. Nous savons tous comment le dollar a évolué ces quatre dernières années. Donc, ce qui fait monter les prix des médicaments, c’est la dévaluation de la roupie, l’appréciation de l’euro et du dollar.

Il demeure un fait cependant que les consommateurs se plaignent de la hausse des prix des médicaments. Nous sommes conscients que les gens se plaignent de la cherté de prix de certains médicaments. Mais il faut que les consommateurs comprennent que lorsque les pharmacies achètent des médicaments plus chers, ils n’ont pas d’autre choix que d’ajuster le prix car le Mark-Up est réglementé.

Maintenant le gouvernement est en train de venir avec un effet d’annonce qu’il va baisser les prix des médicaments. Au fait, il n’est pas en train de baisser les prix, il est plutôt en train de baisser le Mark-Up de 35%. Le gouvernement a ainsi choisi huit catégories de médicaments pour appliquer sa décision. Il va donc appliquer un soi-disant Regressive Mark-Up sur les médicaments concernés et le reste des produits sera frappé par un Mark-Up de 30% au lieu de 35%. En d’autres termes, plus le prix du médicament est cher, plus une politique de baisse de prix sera appliquée.

Les propriétaires de pharmacie ont des coûts d’opération liés au paiement des salaires et à la location des bâtiments. Ces coûts étaient financés par le Mark-Up de 21,6%. Nous avons déjà attiré l’attention sur le fait que ce Mark-Up est englouti par la hausse du prix du carburant, la CSG, et d’autres coûts d’opération. La situation est devenue difficile pour les pharmaciens,

En sus de cette situation, le gouvernement est en train d’afficher son intention de baisser le Mark-Up encore une fois. Je comprends parfaitement sa démarche mais li pa kapav tir dan mo poss zis kom sa mem. Le gouvernement doit venir avec un système de compensation car il ne faut pas oublier qu’en Afrique, Maurice est pratiquement le seul pays où les patients obtiennent gratuitement des médicaments dans des hôpitaux. Les patients ont donc un choix. C’est par choix que les patients choisissent le secteur privé pour acheter des médicaments et ce n’est pas par obligation que les gens fréquentent les pharmacies du secteur privé.

Nous avons à Maurice un système de santé qui est gratuit pour tous les Mauriciens. Un tel système n’existe pas dans beaucoup de pays. À l’île de La-Réunion par exemple, il y a des pharmacies du secteur privé mais c’est le gouvernement qui règle la note. Les patients disposent d’une carte et lorsqu’ils vont dans les pharmacies, ils n’ont qu’à faire usage de celle-ci et c’est le gouvernement qui règle la note à la fin du mois.

Je comprends que les gens sont en train d’acheter des médicaments plus chers mais il faut aussi savoir également que nous aussi nous sommes en train d’acheter ces médicaments à des prix plus élevés. Comment allons-nous faire pour continuer à donner le même service à la population dans un contexte pareil ? À ce jour, nous sommes en train de collaborer avec le public. Nous sommes même allés jusqu’à effectuer la vente des médicaments au détail bien que légalement cela soit interdit.

La loi oblige les pharmaciens à vendre des médicaments dans des boîtes ou dans des plaquettes car ils indiquent la date d’expiration. Nous avons écrit au gouvernement pour faire part de nos revendications qui sont restées lettre morte. Le gouvernement continue à faire la sourde d’oreille et le ministère du Commerce semble ne pas vouloir nous rencontrer. Ils viennent dire tout simplement qu’une décision a été prise et qu’il faut l’appliquer, sans réaliser les conséquences que cela aura sur le secteur pharmaceutique en entier.

Ceux qui souffrent le plus, ce sont principalement les pharmacies qui opèrent dans la filière du détail. Ces pharmacies n’ont ainsi aucune marge de manœuvre car ils reçoivent des médicaments des grossistes dont les prix sont déjà fixés. Maintenant, le gouvernement veut réduire notre marge de profit. Comment allons nous payer les travailleurs, le tarif de l’électricité qui vient d’augmenter de 30% ? Où allons nous trouver de l’argent pour poursuivre nos opérations ?

Face à cette situation, que comptent faire les propriétaires de pharmacie ?

Nous avons déjà brandi la menace d’une grève de deux jours par semaine. Cependant, nous n’avons pas encore décidé quand est-ce que cette action sera appliquée. Nous sommes en tout cas en train de travailler sur les modalités autour de cette grève. Nous allons faire en sorte que la population ne soit pas affectée par ce mouvement de grève car nous faisons partie des services essentiels,

Nous devons pouvoir faire en sorte que les gens aient accès à leurs médicaments même durant une période de grève. Nous allons devoir étudier d’autres moyens pour amortir les effets du Regressive Mark-Up. À ce jour, lorsqu’une personne utilise sa carte bancaire pour régler sa note dans les pharmacies, nous perdons environ 3% sur chaque vente. Si nous ajoutons le Regressive Mark-Up cela voudrait dire que les pharmacies vont travailler seulement pour une marge de 10% sur la vente.

De nos jours, qui osera investir dans un business pour obtenir des profits de 10% ? Même une institution bancaire refusera de vous accorder un emprunt si vous lui dites que votre profit est de 10%. Si cette situation persiste, je crains fort que bon nombre de pharmacies ne ferment boutique l’année prochaine. À la fin, les pharmacies qui seront en difficulté seront rachetées par des concurrents. Est-ce que nous allons devenir un autre MTC ? Je ne sais pas. En tout cas, les pharmaciens ne sont pas contre le public.

Lors de votre dernière conférence de presse, vous avez fait une comparaison entre le Mark-Up”qui prévaut à Maurice et celui-ci qui existe ailleurs. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Maurice est le seul pays au monde où le Mark-Up est aussi bas pour les propriétaires de pharmacie. Je maintiens ce que je dis. Lorsque nous retirons toutes nos dépenses liées à l’enveloppe salariale, à la location des bâtiments, aux factures d’électricité, d’eau, de téléphone et à tous les permis d’opération, il ne nous reste pas grand-chose.

Figurez-vous que les propriétaires de pharmacie doivent payer trois permis, soit un pour le Pharmacy Board, un autre pour le Pharmacy Council et le dernier a trait à la Trade Licence. Lorsque nous avons fini de régler ces dépenses, il ne nous reste qu’environ 1 à 3% sur les chiffres d’affaires. Qui c’est qui travaille pour 1 à 3% de son chiffre d’affaires ? Il y a certes certaines pharmacies qui font de bonnes affaires, plus particulièrement celles qui se trouvent dans les Shopping Centres.

Je suis retourné à Maurice en l’an 2000. Je touchais des salaires de Rs 30 000 et une allocation de transport de Rs 5 000 en 2001. Je me souviens qu’à la même époque un Permanent Assistant Secretary percevait des rémunérations de Rs 30 000. Aujourd’hui, les salaires d’un PAS sont passés à environ Rs 80 000 mais un pharmacien est toujours avec ses Rs 30 000 aujourd’hui. Ce n’est pas normal parce que cela coûte pour financer des études en pharmacie. Il n’est donc pas conseillé aux jeunes de dépenser autant d’argent pour la formation pour ensuite venir travailler pour Rs 30 000 comme pharmaciens de nos jours.

Pourquoi n’êtes-vous pas d’accord avec le rapport de la Competition Commission sur le secteur pharmaceutique ?

Le rapport de la Competition Commission est venu dire qu’avant d’aller de l’avant avec le Regressive Mark-Up, il faudrait d’abord effectuer une étude sur ce qui va se passer dans le secteur par la suite. Aucune étude n’a été faite. Il faut savoir que la Competition Commission s’est basée sur le rapport de la World Healh Organisation pour soutenir ses conclusions. Le rapport de la WHO est venu dire que pour la région africaine, il faut venir avec un système de Regressive Mark-Up en vue de favoriser la vente de médicaments génériques car les médicaments de marque sont devenus trop chers.

Il est vrai qu’en Afrique les prix des médicaments sont devenus chers. Mais Maurice est un cas isolé car environ 70% des Mauriciens vont dans les hôpitaux pour se faire soigner. En sus de cela, le traitement médical est gratuit et aucun pays africain n’offre ce genre de service. Dans la plupart des pays africains, les hôpitaux sont payants. Cela veut dire que le rapport de la WHO ne s’applique qu’aux pays africains.

A Maurice, nous avons à faire à un système de santé gratuite et les gens ont le choix. Ce sont en particulier des gens qui sont couverts par une police d’assurance qui fréquentent les institutions du privé, soit entre 25 et 30% de la population. Quel contrôle le gouvernement veut mettre en place face à une telle situation ? La plupart de ceux qui fréquentent des institutions de santé dans le secteur privé sont remboursés pour leurs dépenses.

Aucune rencontre avec le gouvernement n’a été donc fixée depuis votre dernière conférence de presse ?

Zero plombaz. Cette fois-ci, nous n’allons pas rester les bras croisés. Nous allons étudier la possibilité d’entrer une action en justice pour bloquer l’introduction de ce Regressive Mark-Up, Il faut savoir que le Regressive Mark-Up sera plus particulièrement appliqué sur les nouvelles cargaisons de médicaments qui vont arriver à Maurice.

À ce jour, il y a des fournisseurs qui ont déjà importé des médicaments pour cinq à six mois. Les médicaments qui sont déjà arrivés dans le pays sont vendus d’après le système actuel. C’est sur les nouvelles cargaisons que les prix seront ajustés, ce n’est pas comme le prix de carburant qui est ajusté tout de suite. Les médicaments contiennent déjà des étiquettes indiquant le prix. L’effet du Regressive Mark-Up prend son temps, probablement entre cinq à six mois.

À partir de l’année prochaine, je prévois qu’entre 50 et 75 pharmacies vont fermer leurs portes. Le Regressive Mark-Up sera effectif à partir du 31 de ce mois. Le gouvernement va donc baisser le Mark-Up de 35% sur huit catégories pour baisser les prix des médicaments par 3 à 9% et le reste par 5% Across the Board. Maintenant le Wholesale et le Retail vont devoir se démerder pour partager le Mark-Up. Il y a déjà un cClash entre les deux parties en ce niveau.

Nous n’avons pas encore obtenu d’accord dans ce sens jusqu’à maintenant. Qui va accepter de perdre dans ce cas ? Cela fait longtemps que nous sommes en train d’expliquer notre situation, sauf que le gouvernement continue à la sourde d’oreille. Une décision a été prise le 3 avril dernier au conseil des ministres à l’effet que les règlements devaient entrer en vigueur le 12 mai mais finalement la décision d’appliquer ces nouveaux règlements a été repoussée au 3.

C’est lorsqu’ils seront en vigueur que nous allons réagir rigoureusement, Nous avons organisé plusieurs conférences de presse pour expliquer que la baisse du Mark-Up n’entraînera pas nécessairement une baisse du prix des médicaments. Je donne un exemple. Un grossiste veut réaliser Rs 10 de profit sur le prix d’un médicament qui se vend à Rs 100. Si demain le gouvernement vient lui dire qu’il ne peut réaliser que seulement Rs 8 comme profit sur ce médicament, il serait alors tenté de demander à son fournisseur de livrer le médicament à Rs 120. Dans ce scénario, c’est le grossiste qui est gagnant. C’est pourquoi je dis que les prix des médicaments ne baisseront pas avec le Regressive Mark-Up.

Les élections du nouveau comité exécutif ont eu lieu le 9 mai et vous avez été reconduit à la présidence…

Nous étions en campagne pendant un certain moment pour le renouvellement de l’exécutif de la PAM. C’est le mardi 9 mai que nous avons pu terminer les élections. Je profite de l’occasion pour remercier les pharmaciens pour avoir reconduit l’équipe sortante à la tête de la PAM. Il y a eu aussi de nouveaux membres qui ont intégré notre équipe.
Ce qui est intéressant de constater cette fois-ci, c’est que nous avons une équipe unie car le représentant du ministère de la Santé se retrouve également dans le comité exécutif de la PAM. La décision du gouvernement de venir avec le Regressive Mark-Up a définitivement porté un coup de massue sur la tête des pharmaciens. Et tous les pharmaciens de tous bords ont réalisé que c’est l’heure de se réunir pour être solidaires.

L’année dernière, pendant le discours du budget, le gouvernement avait annoncé son intention de procéder à une baisse de prix des médicaments basée sur le rapport de la Competition Commission. Les représentants de la PAM ont organisé plusieurs séances de travail pour expliquer comment le Regressive Mark-Up va affecter les intérêts des pharmaciens et il est malheureux aujourd’hui de constater que le gouvernement est en train d’agir un peu comme un dictateur, sans nous consulter.

Il est vrai que la Competition Commission a parlé de la nécessité d’introduire un Regressive Mark-Up mais ce que le gouvernement veut appliquer, c’est plutôt un Degressive Mark-Up. Il a imposé cette décision sans réfléchir à des mesures pour amortir le Regressive Mark-Up.
Une chose est sûre, nous avons déjà décidé d’aller vers une grève et nous allons annoncer en temps et lieu quand celle-ci aura lieu. Aussi, nous avons aussi décidé de revoir nos horaires d’ouverture. Avec le Regressive Mark-Up, cela deviendra un peu difficile pour continuer à prodiguer le même service le samedi, le dimanche et les jours fériés Nous avons aussi décidé de ne plus vendre de médicaments au détail.

Je dis aussi qu’il est temps pour le Pharmacy Board de réglementer les horaires d’ouverture des pharmacies. Il faut savoir que les conditions de travail des pharmacies sont aussi régies par la Labour Act. Une pharmacie ne peut pas ouvrir ses portes à 7h30 le matin pour fermer ensuite à 20h30. Ce qui fait que les pharmaciens travaillent au moins huit heures par jour. Soit, on vient avec un système pour introduire deux pharmaciens dans une pharmacie; soit il décide de régler les horaires d’ouverture.

La PAM a aussi décidé au cours de sa dernière assemblée de prendre des actions légales par rapport à l’introduction du Regressive Mark-Up. Tous les membres de la PAM sont en faveur de cette démarche. Nos conseils légaux de Benoît Chambers s’occupent de notre revendication en ce moment.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -