Bashir Jahangeer : « Je ne comprends pas pourquoi Soodhun serait un sauveur »

Le député de Rivière-des-Anguilles/Souillac revient sur l’incident de la semaine dernière entre Ivan Collendavelloo et lui-même à l’Assemblée nationale. Il accuse le Premier ministre adjoint de l’avoir « menacé » sur la question des compteurs du Central Electricity Board (CEB). Parlant de l’affaire Betamax, il qualifie la démarche de Vikram Bhunjun « d’antipatriotique ». Toutefois, il dit ne pas comprendre pourquoi Showkutally Soodhun se prend pour un « sauveur », alors qu’il n’a fait qu’acheter le carburant avec notre argent. « D’autant qu’on ne connaît pas encore le prix », dit-il. Bashir Jahangeer revient également sur les trois années du MSM-ML au pouvoir.
Il paraît que vous marchez sur un terrain dangereux. Qu’en est-il exactement ?En réalité, je crois qu’Ivan Collendavelloo voulait me menacer de révéler mes intérêts dans cette affaire. Je ne l’ai pas réalisé tout de suite. C’est après quelques minutes que j’ai compris qu’il s’agissait en fait d’une menace. Je n’ai pas du tout apprécié. Ce qui se passe, c’est que ma compagnie a fourni, dans le passé, des compteurs au CEB, entre autres. Quand j’ai posé cette question, j’avais déjà déposé une lettre au bureau de la Speaker pour déclarer mes intérêts. C’était mentionné dans la liste des documents reçus pour la séance de mardi dernier. Pour ma part, je n’ai rien à craindre à ce sujet.
Pour revenir à la question, il s’agissait de la réclamation de Rs 75 M qu’avait faite le CEB à l’hôtel Shandrani. Mais l’hôtel a fait une contre-expertise et a trouvé que le compteur était mal réglé. La faute venait donc du CEB et c’est pour cela que l’hôtel a eu gain de cause en cour. J’avais posé une question supplémentaire pour dire que les compteurs n’étaient pas entretenus une fois installés. C’est alors qu’il a fait ce commentaire.
Le point que je voulais faire, c’est qu’il y a 350 000 compteurs du CEB en service. Combien, parmi, fonctionnent correctement ? Ce qui se passe, c’est que le CEB n’a pas de politique de maintenance. C’est vrai que ce n’est pas évident de vérifier tous les compteurs, mais cela aurait pu se faire tous les trois ans, par exemple. Il faut un “certificate of compliance” pour dire que le compteur a été vérifié et qu’il est en bon état.
Aujourd’hui, la plupart des compteurs sont électroniques, quoi qu’il y en ait encore quelques-uns qui sont électromécaniques. Ceux-ci s’usent avec le temps. Le ministre a dit à l’Assemblée qu’il y avait une lumière rouge dans les compteurs pour indiquer qu’ils sont en bon état. C’est tout à fait faux. Le signal rouge, en réalité, est un “data” pour lire à distance. Il envoie un “pulse” qui permet de savoir combien de kilowatts sont consommés. C’était le point principal que je voulais mettre en avant. Le fabricant fournit d’ailleurs un logiciel qui permet d’identifier un défaut quelconque dans le compteur. S’il y avait une maintenance, tous les trois ans, comme je l’ai dit, cela aurait permis au CEB de savoir si les données sont bien enregistrées et s’il perdait de l’argent, par exemple. Ivan Collendavelloo a induit l’Assemblée en erreur avec sa réponse. J’aurai préféré qu’il dise qu’il enquêtera sur cette affaire.Est-ce à cause de ce genre de question que vous êtes privé de portefeuille ministériel ?

C’est au leader de voir qui, estime-t-il, a les compétences nécessaires pour assumer une responsabilité. Toujours est-il que quand vous êtes dans une position où vous avez certaines connaissances, vous aimeriez pouvoir les mettre en pratique, apporter votre contribution. L’expérience et la connaissance sont des atouts pour mener à bien les projets. Quelqu’un qui assume un poste de responsabilité doit non seulement avoir des compétences en la matière, mais également des connaissances en gestion. C’est comme ça à travers le monde.

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Avez-vous refusé un poste de PPS lors du dernier remaniement ministériel ?

Honnêtement, je n’ai pas eu de proposition concrète à ce sujet. Je n’ai vu aucun papier sur la table, juste des rumeurs.

Que pensez-vous de la nomination de Roubina Jadoo-Jaunbocus comme ministre ?

Je ne m’y attendais pas, mais je suis content pour elle. Elle l’attendait depuis longtemps. Pour ce qui est de sa convocation devant la Commission d’enquête sur la drogue, je préfère attendre la fin de l’enquête avant de me prononcer.
Cela fait trois ans que l’alliance MSM-ML est au pouvoir. Quel est votre bilan ?

Je crois qu’il faut attendre encore deux ans pour faire un vrai bilan. Nous avons démarré en faisant beaucoup de nettoyages. Je crois qu’on a perdu beaucoup de temps dessus et qu’il y a des choses qu’on aurait peut-être pu éviter. Dans l’affaire BAI, par exemple, il y a des petits départements qu’on aurait pu laisser fonctionner. Tout ceci nous a fait prendre du plomb dans l’aile.

En trois ans, il y a eu trois ministres qui ont dû démissionner après des scandales…

Un gouvernement est composé d’individus qui ont chacun leur personnalité, leur comportement. Chacun doit assumer ses responsabilités. Il y a des enquêtes en cours dans les trois cas et je souhaite que toutes ces affaires soient complétées au plus vite et qu’on puisse connaître la vérité.

Que pensez-vous de l’affaire Soodhun ?

Personnellement, je ne le prends pas au sérieux quand il parle. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’il aille aussi loin. Cela paraît également évident qu’il a été piégé. Il devra apprendre à réfléchir deux fois avant de parler. Cela s’applique également pour nous tous. Cette affaire s’est compliquée davantage avec les allégations de “devir lanket”. Si l’enquête démontre que c’est vrai, ce serait très grave.

Que pensez-vous de l’affaire Betamax ?

Je ne suis pas d’accord avec la manière de faire de Vikram Bhunjun. Il savait très bien quelles seraient les répercussions dans le pays, surtout à cette période de l’année. D’autant qu’il a été avantagé par l’ancien gouvernement. Il a obtenu un contrat sans qu’il y ait appel d’offres. “Pe tir” des milliards.
Toujours est-il qu’en tant que businessman, je peux comprendre qu’il ait choisi d’avoir recours à la loi. Il a investi des milliards dans l’achat d’un bateau. Il a dû emprunter auprès des banques et doit rembourser ses dettes. Peut-être même qu’il y a eu des menaces de saisie. Mais il aurait dû réfléchir aux répercussions sur le pays avant de loger une telle action en Cour de Justice en Inde. C’est un “blackmailing”, c’est antipatriotique dans ce sens. Le pays dépense déjà beaucoup en énergie.

Heureusement que Showkutally Soodhun était là…

Je ne comprends pas pourquoi Soodhun est un sauveur. Quand vous avez votre argent en poche, vous allez chez n’importe quel producteur et il vous donne ce dont vous avez besoin. Il n’y a rien de magique dedans. Si on a eu du carburant à vous vendre, cela veut dire qu’il y en avait en stock. Reste encore à savoir à quel prix on l’a payé. Car quand on est dans une situation d’urgence comme cela, souvent le prix grimpe…
L’année dernière, il y avait une question adressée à Ashit Gungah, lui demandant pourquoi on continue à s’approvisionner auprès de Mangalore. Il a répondu que c’était le meilleur prix sur le marché. Mais comment peut-on parler de meilleur “deal” quand il n’y a pas eu d’appel d’offres ? En ce faisant, nous avons répété ce que le gouvernement d’avant avait fait.
L’Inde n’est pas un pays producteur de pétrole. Il achète le pétrole avec des pays comme l’Irak, l’Iran, le Koweït… ensuite il le raffine. Pourquoi n’allons-nous pas directement à la source ? Si on avait fait un appel d’offres, on aurait pu acheter auprès de deux producteurs et on aurait deux sources d’approvisionnement. Je pense qu’on a mal géré ce dossier.

Les gens sont-ils satisfaits de la performance du gouvernement sur le terrain ?

Il y avait beaucoup d’insatisfactions, mais avec les récentes mesures sociales comme la Negative Income Tax, la compensation salariale et le salaire minimum, ils sont un peu plus positifs. Mais les entrepreneurs ne sont pas contents. Je rencontre des gens qui me disent qu’ils font déjà face à beaucoup de difficultés et que maintenant, avec toutes ces mesures, ils ne sont pas sûrs de pouvoir tenir le coup.

Parlons de votre circonscription. Où en est-on avec le Rivière-des-Anguilles Dam ?

La mise en route de ce projet a été très lente. C’est maintenant qu’on a trouvé des consultants. Dans le Sud, on a un très gros problème de fourniture d’eau. Personnellement, je continue de militer pour le dessalement de l’eau de mer. On aurait pu avoir une unité dans le Nord et une autre dans le Sud. Il y a des gens qui disent que ce serait trop coûteux. Moi, je ne le pense pas. On doit juste investir dans les équipements. L’eau de mer, elle, est gratuite. Malheureusement, on se contente de changer les gros tuyaux. Si demain on a une sécheresse sévère, comment allons-nous faire ? Si on n’a pas de réservoir, il faut avoir la capacité de produire. Dans les pays arabes, on le fait déjà. La technologie deviendra plus accessible avec le temps, il faut commencer à y penser. C’est comme un téléviseur plat. Auparavant, c’était un luxe, maintenant c’est accessible à tous. En Amérique, on a fouillé des profondeurs pour stocker l’eau de mer après le dessalement. En cas de nécessité, on peut y puiser l’eau. C’est comme un “borehole”. Cela assure l’eau pour des générations à venir.

Que pensez-vous du travail de la commission sur la drogue ?

Super. On est en train de faire un travail formidable. Je félicite le ministre mentor, sir Anerood Jugnauth, qui avait promis une commission sur la drogue et il a tenu parole. Le résultat est incroyable. La drogue nous concerne tous. Il n’y a pas une famille aujourd’hui qui n’est pas touchée. Toutes les classes sociales sont concernées. Personnellement, je suis très satisfait de la manière dont se déroulent les travaux. Certains ont voulu influencer la commission, mais elle n’a pas cédé.

Cela a tout de même mis à mal certains de vos collègues…

Si vous avez été impliqué dans une affaire d’une manière ou d’une autre, il faut pouvoir assumer. Le MSM est une équipe et, comme dans toute équipe, il y a des brebis galeuses. Ce sont des faits et il faut l’accepter. Le Premier ministre a dit qu’il n’y aura pas de pitié pour ceux qui ont fauté. Chacun doit assumer la responsabilité de ses actes.

On dit que Pravind Jugnauth n’a pas suffisamment d’autorité sur son équipe. Comment le trouvez-vous ?

Je ne partage pas cet avis. Au départ, je n’arrivais pas bien à le cerner. Je pensais qu’il était arrogant. Mais avec le temps, j’ai constaté que c’était surtout de la timidité. Aujourd’hui, je sens plus d’assurance en lui. Il est encore jeune, il vise loin. Même si les gens ne votent pas pour lui aux prochaines élections, il reviendra au pouvoir comme Premier ministre dans quelques années. La politique mauricienne est ainsi faite. Il a une carrière à faire. Il fait des actions pour renforcer cela.

Vous ne lui en voulez pas de ne pas vous avoir nommé ministre ?

Beaucoup de personnes me posent cette question, mais non. S’il ne l’a pas fait aujourd’hui, il le fera peut-être demain. Il y a même des gens qui me demandent ce que je fais encore au MSM. Pas plus tard que ce matin à la banque, j’ai rencontré un homme qui m’a dit : « To less sa boug-la koz koumsa ar twa ? » Il faisait référence à la déclaration d’Ivan Collendavelloo au parlement la semaine dernière. Je lui ai répondu que le parlement était un espace démocratique.

Le Premier ministre ne vous rappelle-t-il pas à l’ordre pour vos questions qui dérangent la majorité ?

Nous discutons des questions à la réunion parlementaire chaque semaine. S’il y a quelque chose qui le dérange, il me le dit. Mais la plupart du temps, mes questions passent. Parfois, je peux même attirer son attention sur quelque chose qui ne tourne pas rond.

Pensez-vous que le gouvernement ira au bout de son mandat ?

Certainement. Il nous reste encore deux ans et beaucoup de choses à accomplir. Il y a des projets qui sont lancés et doivent être complétés. Mais, techniquement, on va dire un an, car la cinquième année est toujours consacrée à des mesures pour plaire à la population. C’est la réalité, les gens attendent beaucoup de cette dernière année. Après les élections de 2014, je me suis rendu à Flacq. Quand j’ai vu tous ces développements, je me suis dit : « Qu’est-ce que Baichoo n’a pas fait dans cette circonscription pour perdre les élections ? » Cela démontre que rien n’est jamais gagné d’avance. Selon moi, 2018 sera déterminant pour nous, pour finir notre mandat. A moins qu’il y ait une démission en bloc de l’Assemblée nationale.
En parlant de l’Assemblée, je crois qu’il y a trop de congés. On a énormément de questions à poser et les gens attendent des réponses. Par exemple, j’ai posé des questions sur la présence de l’amiante dans des maisons à Batimarais en deux occasions. On m’a répondu que les gens ne veulent pas qu’on détruise leurs maisons. Mais c’est une question de logique. Si vous allez détruire la maison de quelqu’un, il faut lui donner un abri temporaire. Cela m’agace.

Pensez-vous que le MSM-ML aurait dû présenter un candidat à la partielle de Belle-Rose/Quatre-Bornes ?

Non. On ne peut perdre du temps avec ces choses-là. Comme je l’ai dit, nous avons encore beaucoup de travail à faire. Vaut mieux se concentrer dessus. De toute façon, ce siège n’est pas le nôtre, il est à l’opposition. On les laisse se battre entre eux.

Serez-vous toujours au MSM aux prochaines élections ?

J’ai eu plusieurs sollicitations, mais je suis toujours au MSM. Un vieux routier, Harish Boodhoo, m’a dit un jour qu’à la dernière année du mandat on assiste souvent à des valses. Pour ma part, j’ai eu une première bonne expérience comme député, même si je pense que j’aurai pu faire plus. Comme on dit “if you had the right soldiers, you could have fought a better battle”. Je crois que le leader va devoir bien choisir ses candidats. Il est vrai que la réalité du terrain prend en considération les castes et les communautés, mais il faut aussi privilégier les compétences. Il y a beaucoup de jeunes de nos jours qui ne veulent plus de cette mentalité.

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