Brusque tour de vis contre la liberté d’expression

Le consensus parlementaire observé mardi autour du Criminal Code (Amendment) Bill entrera vraisemblablement dans les annales de la présente législature comme une exception à la règle. Ce projet de loi, qui vise directement la Grande-Bretagne, a pour but de rendre illégaux les timbres, pièces de monnaie et autres articles produits dans des pays étrangers qui remettront en question la souveraineté de Maurice sur les Chagos.

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Le ton avait été donné par Paul Bérenger, qui intervenait après la présentation du Premier ministre, Pravind Jugnauth. Le leader du MMM a non seulement affirmé que « nous voterons en faveur de ce projet de loi », mais il avait été plus loin en affirmant de manière sans équivoque qu’il demande que cette législation soit votée à l’unanimité, car « ce sera important aussi bien vis-à-vis de nos adversaires que pour nos amis, avec lesquels nous ne nous entendons pas sur ce sujet ». En ajoutant qu’il se dit confiant que la Grande-Bretagne et les États-Unis ne pourront continuer à bafouer les législations internationales tout en se présentant comme un exemple de respect des droits de l’homme.
Ce consensus aura été de courte durée puisque, dès vendredi, l’opposition est de nouveau sur le pied de guerre contre le gouvernement. Elle réclame un débat sur la situation de la pandémie de Covid-19 dans le pays et le retrait de l’Independent Broadcasting Authority Amendment Bill.

Le leader de l’opposition avait déposé hier une motion pour demander un débat sur le Covid-19 en tenant en considération l’apparition d’une variante dangereuse apparue en Afrique du Sud, en Namibie, au Zimbabwe et à l’Eswantini (ex-Swaziland). Ce virus a amené plusieurs pays à resserrer les restrictions pour les personnes en provenance de ces pays par la Grande-Bretagne, l’Allemagne et Singapour, entre autres. L’opposition s’attendait à ce que des mesures soient prises par le gouvernement mauricien contre les arrivées en provenance de ces pays. Mais à l’heure où nous écrivons, la position du gouvernement n’avait pas encore été précisée.
Toutefois, la grande question est de savoir la raison pour laquelle le gouvernement insistait malgré la levée de bouclier contre la présentation de l’IBA Amendment Act.

Pourquoi cette précipitation pour de brusques tours de vis qui visent la survie des radios privées ? De quoi gouvernement a-t-il peur ? Est-ce que le gouvernement se propose d’imposer une pensée unique où tout le monde se verra dans l’obligation de chanter « la ballade des gens heureux », au risque de se faire durement sanctionner en cas d’infraction ?
Reza Uteem a trouvé l’expression juste dans les commentaires en lançant au gouvernement « Don’t shoot the messengers ! ». En effet, cette législation peut porter un coup fatal aux radios privées, qui relayent le ressentiment de la population en ces temps de crises et de pandémie. « Au lieu d’écouter ce que la population a à dire et apporter les corrections nécessaires aux mauvaises administrations décriées par le public, le Premier ministre a choisi d’appliquer la guillotine en supprimant la liberté d’expression à travers la radio ».

« Au lieu de verrouiller les radios privées, qui sont devenues la voix du peuple, on aurait dû conquérir les nouvelles frontières de l’espace audiovisuel en introduisant les télévisions privées », observe pour sa part Nando Bodha, du Rassemblement mauricien. Lorsqu’on pense que ce même gouvernement a annoncé qu’il comptait introduire le Freedom of Information Bill au Parlement… Ce n’est pas la première fois que de telles attaques sont faites dans la presse. Beaucoup de journalistes se souviendront du Newspapers and Periodicals Bill, qui mettait en péril l’existence de la presse écrite et qui avait donné lieu à un “sit-in” des journalistes devant le Parlement, avec le soutien du défunt père Henri Souchon.

Est-ce que le gouvernement acceptera de prendre des leçons de grandes démocraties comme l’Inde ? Il n’est pas trop tard pour le gouvernement de se ressaisir et d’ouvrir un dialogue avec les parties prenantes, avant d’aller de l’avant avec cette législation qui, selon toute probabilité, sera contestée devant la Cour suprême, dernier rempart contre la dictature.

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