Céline Lemmel (OIM) : « II y a certains abus des droits des travailleurs étrangers »

De nationalité franco-ivorienne, Céline Lemmel est chef de bureau à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), affiliée aux Nations Unies. Basée à Maurice, elle s’occupe également du dossier ayant trait aux droits humains aux Seychelles. Juriste de formation, elle a beaucoup exercé en Afrique dans des Ong. Dans l’interview qui suit, Celine Lemmel jette un regard sur la situation à Maurice concernant le trafic humain, sur la situation des travailleurs étrangers et sur le naufrage du MV Wakashio. Elle dit trouver que les travailleurs étrangers se voient parfois promettre des prestations qui ne sont pas délivrées, ou se voient contraints de payer pour des dépenses qui ne devraient pas leur incomber. Elle soutient qu’il existe effectivement certains abus et violations de droits des travailleurs étrangers, auxquels le gouvernement et le secteur privé s’engagent à remédier. En ce qui concerne le naufrage du vraquier Wakashio, elle trouve que ce type d’événements devient « récurrent » dans le monde.

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Un cas de trafic humain a été répertorié à Maurice, impliquant des travailleuses malgaches. Comment réagissez-vous à cela ?
L’Organisation internationale pour les migrations adhère au principe d’une migration humaine et ordonnée. À Maurice, la migration est un phénomène récurrent et important au développement. Cependant, il faut s’assurer que la migration soit faite de manière ordonnée et régulière afin de prévenir les risques d’exploitation et de traite d’êtres humains. Comme beaucoup d’autres travailleurs étrangers, les femmes malgaches viennent à Maurice pour travailler dans les secteurs, où la main-d’œuvre locale vient à manquer. Malheureusement, au cours du processus migratoire, des trafiquants profitent de la vulnérabilité des migrants et les exploitent. Cette exploitation peut prendre plusieurs formes, y compris le travail forcé et l’exploitation à des fins sexuelles. Nous avons pris connaissance du cas de ces femmes malgaches le 24 août et avons immédiatement contacté les autorités compétentes pour un suivi et appui, si besoin, aux victimes. Je tiens à rappeler que l’OIM met actuellement en œuvre, en collaboration avec les autorités mauriciennes, un projet intitulé « Améliorer les capacités de référencement et de prise en charge des cas de traite de personnes aux Comores et à Maurice », financé par le Bureau de surveillance et de lutte contre la traite des personnes du Département d’État des États-Unis d’Amérique, qui vise à renforcer et contribuer aux efforts du gouvernement pour identifier des victimes et améliorer les mécanismes d’orientation pour les aider et les protéger. Dans le cadre de ce projet, l’OIM apporte un appui direct pour la fourniture d’une assistance directe aux victimes de la traite et une formation aux acteurs nationaux sur les outils et procédures pour référencer et aider les victimes de la traite. Par ailleurs, l’OIM Maurice s’est engagée à appuyer le gouvernement dans le développement d’un plan d’action national de lutte contre la traite des personnes. Il s’agit d’un document-cadre essentiel, car il identifie les axes d’intervention et d’amélioration prioritaires et propose des mesures et actions concrètes pour y remédier.

Vous vivez à Maurice. Quel constat faites-vous chez nous ?
Maurice a déployé nombre d’efforts et fait preuve d’engagement ferme dans la lutte contre la traite des personnes, à travers de nombreuses actions entreprises au cours des dernières décennies et années, y compris avec l’adoption en 2009 de la Combating of Trafficking in Persons Act (criminalized sex trafficking and labor trafficking of adults and children and prescribed penalties of up to 15 years’imprisonment). Cependant, de nombreux défis demeurent et des formes de traite des personnes sont toujours présentes dans le pays.

On a noté ces derniers temps que des travailleurs bangladais se sauvent des entreprises pour aller travailler dans la clandestinité. Pourquoi cette situation selon vous ?
Il y a une importante coopération bilatérale entre le Bangladesh et Maurice et un grand nombre de travailleurs migrants bangladais travaillent effectivement à Maurice. Il existe certains abus et violations de droits des travailleurs étrangers, auxquels le gouvernement et le secteur privé s’emploient à remédier. La difficulté étant que, bien souvent, les abus démarrent dans le pays d’origine où les recrutements ne sont pas toujours faits de manière éthique et respectueuse des droits des travailleurs migrants. Les travailleurs arrivent ainsi à Maurice en ayant été dupés sur la nature de leur travail, le salaire à percevoir ou encore les conditions de travail, ce qui pourrait également les pousser à agir ainsi (cela peut parfois se passer à l’insu de l’employeur mauricien). Il s’agit de situations complexes et parfois difficiles à détecter, d’autant que, bien souvent, les travailleurs ne réalisent pas qu’ils sont victimes d’exploitation et que des recours existent pour les aider. Ces situations peuvent par ailleurs être liées à des réseaux de criminalité transfrontalière organisée, avec toute la complexité et sensibilité que cela entraîne pour les démanteler. Les cas d’abus, de pratiques non éthiques et violant les droits des travailleurs étrangers peuvent aussi en être directement la cause. Mais c’est difficile à dire sans une étude approfondie des raisons qui poussent certains travailleurs migrants à travailler dans la clandestinité.

Comment, selon vous, des migrants parviennent-ils à rester illégalement à Maurice ?
L’OIM collabore étroitement avec les organismes régionaux et nationaux pour mieux gérer et répondre aux défis liés à la migration. Cependant, les autorités compétentes seront les mieux placées pour répondre à cette question. Le Passport and Immigration Office fait un travail important de suivi de la régularité des séjours des personnes présentes sur le territoire.

Avez-vous noté des lacunes dans notre système de contrôle à Maurice ? Quelle est l’efficacité des lois sur la clandestinité dans le pays ?
La loi mauricienne prévoit qu’il est illégal de travailler ou d’employer un ressortissant étranger sans permis de travail valide et il revient aux employeurs d’effectuer les démarches nécessaires pour obtenir ce permis. Le pays dispose par ailleurs d’équipes spéciales au sein des autorités compétentes qui se concentrent sur différents aspects de la gestion, du suivi et de l’appui aux travailleurs étrangers.

Parfois, des travailleurs étrangers disent qu’ils ont été arnaqués par des agents recruteurs. Quel regard portez-vous sur ce problème ?
Les travailleurs étrangers se voient parfois promettre des prestations qui ne sont pas délivrées, ou se voient contraints de payer pour des dépenses qui ne devraient pas leur incomber. Une fois qu’ils acceptent de travailler, ils réalisent que le travail ou les conditions ne sont pas les mêmes que promis dans le pays d’origine. Par peur d’être dénoncés et renvoyés dans leur pays d’origine, ou même parfois par méconnaissance de leurs droits, ils ne signalent pas leur situation aux autorités. Celles-ci et les syndicats, de même que les représentations diplomatiques des pays dont les travailleurs sont les ressortissants, surveillent de près les conditions d’embauche, d’emploi, de vie et l’environnement de travail des migrants. L’OIM reste mobilisée pour les soutenir dans ce sens et garantir la protection des travailleurs étrangers.

Il y a souvent des drames humains derrière des travailleurs clandestins. Comment faire respecter les droits humains dans ce contexte ?
Les droits de l’homme sont universels et s’appliquent à tous sans discrimination. C’est pourquoi l’approche basée sur les droits humains doit être au cœur de toute action et intervention, afin de prendre en considération les vulnérabilités des victimes et les considérer comme telles. Il est également primordial que tous, étrangers et nationaux, connaissent leurs droits et sachent identifier les cas d’abus et les rapporter aux autorités et structures compétentes. La protection des victimes (et de leurs familles) est également primordiale afin de les mettre en confiance pour qu’elles puissent apporter leur témoignage, essentiel aux poursuites judiciaires et démantèlements des réseaux.

Quel regard portez-vous sur le naufrage du MV Wakashio ?
Je dois dire que notre organisation n’est pas directement liée à ce genre d’événements. J’ai beaucoup travaillé en Afrique et je n’ai pas non plus vécu ce genre d’événements directement. Au fait, ce n’est pas le type d’urgence sur laquelle notre organisation est mobilisée. Il est sur cependant que ces événements arrivent de temps en temps dans le monde. Je sais cependant que plusieurs agences se sont mobilisées à Maurice pour faire face à ce phénomène.

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