DÉCOLONISATION INACHEVÉE – Océan indien – zone de toutes les convoitises

Dr Diplal MAROAM

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Eu égard au développement de certaines infrastructures essentielles à Agaléga par le gouvernement indien – développement que certains médias dans la Grande Péninsule associent, à tort ou à raison, à une base militaire et qui fait souvent l’objet d’interpellations à l’Assemblée nationale chez nous –, de nombreux observateurs dressent un parallèle avec le dossier Chagos qui demeure toujours la pierre d’achoppement dans nos relations avec la Grande-Bretagne. En effet, depuis la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU de mai 2019 sur les Chagos en notre faveur, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts mais malheureusement pas dans la direction que l’on aurait souhaité. De sorte que lors de la 37e session du sommet de l’UA tenue en février dernier dans la capitale éthiopienne, Pravind Jugnauth avait avoué une absence totale de progrès sur ce dossier, évoquant même un « stage critique » dans les négociations.

Et la nomination de Lord Cameron aux fonctions de Secrétaire d’État aux Affaires étrangères britannique en novembre 2023, n’est pas pour arranger les choses. Ainsi, après avoir commandité auprès de la firme KPMG en 2012 en tant que PM, une étude de faisabilité sur la possibilité de relogement des Chagossiens sur l’archipel et obtenu un rapport favorable à cet effet, il fait maintenant volte-face, s’emmêlant les pinceaux et déclare que le retour des Chagossiens n’est « pas possible ». Beaucoup d’observateurs n’ont pas manqué de condamner cette attitude désinvolte, estimant que ce rapport n’était en fait que de la poudre aux yeux, destiné uniquement à gagner du temps, ce dans le but évident de camoufler le manque aigu de volonté de parvenir à un accord. L’on se souvient que Boris Johnson, de même, alors qu’il était aux affaires, avait promis à l’ancien Premier ministre SAJ, dont l’immense contribution pour le recouvrement de notre souveraineté sur les Chagos a particulièrement été mise en exergue lors de la commémoration du 94e anniversaire de sa naissance le 28 mars dernier, que « We shall make it work this time » ; or, dans un quotidien britannique récemment, il devait retourner sa veste, se prononçant maintenant contre la souveraineté de Maurice et pour la fin immédiate des consultations anglo-mauriciennes sur l’archipel.

« Tempête du désert »

La cruelle vérité – et il n’y a pas lieu de chercher midi à quatorze heures pour en dénicher –, c’est que depuis que le dossier a été dépoussiéré au début des années 80, nos dirigeants de même que les Chagossiens ont tout bonnement été menés en bateau par les différentes administrations britanniques, ce au nom de la diplomatie à double face. Même pour l’excision de l’archipel du territoire mauricien en 1965 par un Order in Council, le prétexte « for communication purposes » était évoqué pour, semble-t-il, dorer la pilule ; ce n’est que des années plus tard que le motif de « defence purposes » avait été annoncé. Une lueur d’espoir avait certes jailli dans le sillage de la chute du mur de Berlin en novembre 1989 mais il n’était que de courte durée car la tension géopolitique au niveau global n’est jamais retombée, à proprement parler. D’ailleurs, la base militaire de Diego Garcia avait été considérablement mise à contribution lors de l’opération « Tempête du désert » en 1991 pour la libération du Kuwait de l’armée irakienne et en 2003, pour chasser Saddam Hussein du pouvoir.

Aujourd’hui, sans l’ombre d’un doute, l’océan Indien, le troisième plus grand au monde couvrant une superficie de plus de 70 millions de km2, est devenu la plaque tournante du commerce mondial permettant des projections vers l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Ce qui fait que ce territoire maritime a toujours suscité l’intérêt des grandes puissances, mais pas seulement, et constitue, par conséquent, une zone d’agitation et de tension. Si les États-Unis disposent des flottes maritimes tout autour du globe, l’île de Diego Garcia représente vraisemblablement leur foyer névralgique. « A key enabler, incredibly strategic, indispensable today as it was decades ago when it was established”. C’est en ces termes d’ailleurs que la Deputy Under Secretary (Navy) au US State Department, Anne Gebhards, qui avait été dépêchée en mission spéciale aux Chagos fin janvier, décrit la base militaire américaine.

Évidemment, les États-Unis ne sont pas les seuls à lorgner ce territoire maritime couvrant environ 14% de la surface de la planète ; l’Inde, la Chine, le Royaume-Uni, la France, entre autres, sont également des acteurs majeurs, chacun cherchant à protéger et consolider à tout prix ses intérêts politico-économiques et sa présence dans la région. L’Inde, par exemple, État riverain et élément incontournable des relations internationales, cherche à contrer la présence de la Chine qui s’investit de plus en plus dans cette partie du monde. Et il va sans dire que l’installation récente du nouveau régime pro-Pékin aux Maldives sous la présidence de Mohamed Muizzu, n’a fait que compliquer davantage la tâche de New Delhi dont les militaires basés dans l’archipel avaient été renvoyés sans autre forme de procès. Même la nouvelle route maritime de la soie est perçue comme un moyen savamment orchestré par la Chine pour consolider sa présence sur le plan mondial et particulièrement au niveau de l’océan Indien.

Ainsi, le développement par le gouvernement indien des infrastructures essentielles à Agaléga de même que l’installation d’une nouvelle base navale à Lakshadweep, un archipel de 36 îles coralliennes à environ 250 km au nord des Maldives, ne sont pas anodins mais destinés manifestement à maintenir l’équilibre du pouvoir par rapport à la Chine dont l’économie et la sécurité énergétique dépendent majoritairement des routes maritimes de l’océan Indien qui convergent vers le principal point de passage, le détroit de Malacca par lequel transitent près de 80% des hydrocarbures chinois. Et en ce qui concerne l’autre grande puissance expansionniste, la France, elle dispose dans l’océan Indien d’une présence permanente assurée de facto par ses territoires et départements d’outre-mer dont la Réunion et Mayotte et ses bases militaires à Djibouti et Abu Dhabi. Mayotte, justement, qui représente un autre cas flagrant de décolonisation inachevée ; la France ayant détaché cette île de l’archipel des Comores, qui en compte 4, avant son accession à l’indépendance en 1975.

Revendications
mauriciennes

Il y a aussi l’île Tromelin, revendiquée par Maurice mais que Paris ne veut en aucun cas nous rétrocéder, de même que les autres îles éparses dans le canal de Mozambique, revendiquées par Madagascar et les Comores mais sans grand succès jusqu’ici. Parmi les puissances dites secondaires mais actives dans la région figurent le Singapour, la Malaisie, la Corée du Sud, Taïwan et le Japon, entre autres. Même l’Australie dispose également d’une présence significative dans l’océan Indien où l’essentiel de sa flotte navale est stationné, notamment à Stirling sur la côte occidentale de l’île-continent.

Par conséquent, la question que l’on se pose : dans cette zone maritime de haute convoitise, les Américains et Britanniques, sont-ils prêts à lâcher prise sur un archipel stratégiquement situé d’autant que la perception selon laquelle la Chine, rivale principale des Occidentaux, pourrait mettre le grappin sur ces îles en cas de relogement des Chagossiens, est de plus en plus tenace à Londres comme à Washington. Et en cette année électorale au Royaume-Uni – comme aux États-Unis également –, des lobbys de toute sorte émergent pour dissuader Rishi Sunak – dont le parti Conservateur traîne dans les sondages derrière le Labour – de céder aux revendications mauriciennes quitte à transgresser les verdicts des instances internationales telles la Cour internationale de justice de La Haye de février 2019, l’Assemblée générale de l’ONU de mai 2019 ainsi que le Tribunal international du Droit de la mer d’avril 2023.

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