Dr Kailesh Jagatpul : les études en médecine inconcevables sans base scientifique »

La performance peu brillante des détenteurs de diplôme en médecine aux derniers examens organisés par le Medical Council (MC) préoccupe en cette fin d’année les dirigeants de cette institution. D’après l’analyse de ces derniers, le manque de connaissances de base dans les matières scientifiques serait une des principales faiblesses de nombreux aspirants médecins. Le Dr Kailesh Jagatpul, président du MC, se prononce en faveur d’un amendement à la Medical Council Act pour l’inclusion des matières scientifiques au critère académique requis pour entreprendre des études de médecine. Le président de cette organisation met aussi l’accent sur le respect nécessaire des règlements régissant la profession médicale par les médecins, qu’ils soient de vieux routiers du métier ou de jeunes débutants, et plaide pour davantage d’interactions entre les différents groupes d’âge dans l’intérêt de la profession.

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Le taux élevé d’échecs aux examens pour l’entrée en internat et pour l’obtention du « registration » perdure. Le MC en a-t-il identifié les causes ou continuez-vous à étudier le problème  ?

L’analyse du problème est un processus continu car nous pensons qu’il y a plusieurs causes à cette situation. Nous avons constaté un manque de connaissances de base requise en médecine, que ce soit en théorie ou en pratique. Depuis plusieurs années, les autorités se sont rendu compte de cette faiblesse chez de nombreux aspirants médecins pendant leur stage d’internat. D’où la décision d’amender à la loi en 2013 afin de rehausser le niveau de la profession. C’est ainsi que la législation fait mention d’un critère académique obligatoire pour entreprendre des études en médecine. Mais ceux qui ont commencé leurs études avant 2013 ne sont pas concernés par ce critère d’éligibilité.

Par ailleurs, pour être à l’aise dans les études de médecine, il est nécessaire d’avoir une base scientifique. Il y a quelques années, en analysant le dossier des personnes faisant une demande de “pre-registration”, le MC a découvert que plusieurs demandeurs avaient obtenu un diplôme de HSC très faible et, de surcroît, n’avaient étudié aucune matière scientifique. Dans les années 50, 60 et 70, de brillants étudiants de la filière dite “classique” en HSC partaient entreprendre des études de médecine. Mais malgré leurs bons résultats académiques aux collèges, beaucoup d’entre eux éprouvaient des difficultés à poursuivre leurs études universitaires en raison de ce manque de connaissances scientifiques. De nos jours, avec l’évolution de la technologie et de son apport dans la médecine, il est inconcevable qu’un étudiant en médecine n’ait pas une base scientifique à l’entrée dans les études.

Vous soulignez l’importance d’une connaissance de base en sciences pour les études en médecine. Toutefois, la loi concernant le critère d’éligibilité mentionne un diplôme de HSC sans stipuler l’obligation de matières scientifiques. N’est-ce pas une contradiction avec les exigences de la profession  ?

Vous avez tout à fait raison de relever cet aspect car la loi ne mentionne qu’un nombre de points obligatoires au niveau du HSC. Il se pourrait que l’une des raisons pour lesquelles on n’a pas mis l’accent sur les matières scientifiques tient au fait que certaines universités proposent une année de “foundation course” en sciences à l’intention de leurs étudiants n’ayant jamais étudié cette discipline. Pour vraiment y mettre de l’ordre, les autorités doivent amender la loi relative au critère académique afin d’y inclure les matières scientifiques. Nous avons déjà envoyé nos recommandations sur ce point au ministère et, selon nos informations, l’ébauche des amendements à apporter à la Medical Council Act est presque prête.

Qu’est-ce qui, selon vous, a provoqué un “craze” pour les études en médecine depuis quelques années  ?

Dans les années 2000-2010, il y a eu une campagne de publicité agressive pour des études en médecine dans certains pays spécifiques, et les agences de recrutement d’étudiants pour l’étranger ont fonctionné sans aucun contrôle des autorités. C’était la période de “boom” pour les études à l’étranger. Il y avait dans les journaux des publicités attirantes invitant les jeunes Mauriciens à se joindre à telle ou telle université pour l’obtention d’un diplôme de médecin après une certaine période et à tel coût. Mais on connaissait peu les critères d’admission.

Ces universités étrangères étaient très attirées par la clientèle mauricienne et quelques-unes proposaient même des bourses aux personnes intéressées. Toutefois, les critères étaient assez flous. De nombreuses familles ont envoyé un enfant à l’étranger pour des études de médecine. Je ne dis pas que tous ceux qui ont commencé leurs études avant 2013 n’avaient pas le bagage académique nécessaire, mais ces dernières années, nous avons constaté qu’un bon nombre d’entre eux n’avait pas le niveau requis pour débuter dans la profession.

Mis à part le taux de réussites global aux examens pour l’internat, peut-on avoir quelques détails sur la performance des candidats  ?

Sur un total de 150 points, il fallait que le candidat en obtienne au moins la moitié pour réussir à cet examen. Sur 241 candidats, seulement 101 ont réussi. Puis 10% des candidats ont obtenu 75 points, 25% ont obtenu entre 60 et 75 points et le reste moins de 60 points.

Qu’envisage le MC pour la centaine de candidats ayant échoué, et dont environ 50% en étaient à leur troisième tentative ? Ces personnes doivent-elles maintenir leur choix pour devenir médecin  ?

Il est vrai que ce grand d’échec à l’entrée pour l’internat devient préoccupant, mais ce n’est pas le rôle du MC de dicter la carrière professionnelle des Mauriciens. Le MC est avant tout un régulateur et une de ses principales attributions est de faire respecter la loi. Le souci du MC est de veiller à ce que les médecins qui arrivent sur le marché du travail soient d’un bon niveau. Nous pouvons faire des propositions pour aider ces jeunes à avoir cette formation clinique en milieu hospitalier, mais toute décision devra être avalisée par le ministère de la Santé, car il y a des règlements pour l’octroi de places pour le stage d’internat. En ce qu’il s’agit de ceux ayant échoué aux Medical Registration Examinations, nous pensons – en nous basant sur leurs résultats – qu’ils pourront réussir à leur prochaine tentative.

D’après les derniers résultats de novembre, peut-on avoir une indication des pays où les nouveaux diplômés ont entrepris leur formation  ?

La majorité a étudié en Chine mais cela ne veut pas dire que les universités chinoises n’ont pas le bon niveau. D’ailleurs, les trois premiers aux derniers examens ont étudié dans des universités chinoises, de même que ceux qui ont échoué. Est-ce que ceux qui n’ont pas réussi étaient suffisamment motivés pour entreprendre de telles études  ? Est-ce qu’ils avaient le bagage académique requis  ? Dans le pays où ces jeunes ont étudié, il y a des universités qui sont très réputées et très sélectives dans le recrutement des étudiants, mais il y en a aussi où les résultats sont nettement moins brillants. Partout dans le monde, même dans de grands pays européens, il y a des universités de niveaux différents.

Avez-vous des données sur le nombre de Mauriciens étudiant la médecine à l’étranger  ?

Nous avons entrepris des démarches l’année dernière auprès du ministère des Affaires étrangères et auprès des principales agences de recrutement d’étudiants pour avoir ces informations, mais les données que nous avons de différentes sources ne concordent pas. Nous savons qu’il y a beaucoup d’étudiants en Chine. Toutefois, il nous est impossible d’avoir un chiffre exact car certains ne passent pas par les agences de recrutement pour avoir une place dans une université.

Près de 3 000 médecins sont enregistrés auprès du MC. N’est-ce pas suffisant pour répondre aux besoins de la population  ?

Nous avons atteint un chiffre raisonnable de généralistes dans le pays mais il y a un manque de spécialistes dans certaines disciplines et nous avons besoin aussi de certaines compétences pour la super-spécialisation dans certains domaines. Le service public aussi bien que le privé est confronté à ce problème et les autorités doivent y réfléchir sérieusement. On pourrait accorder des facilités aux médecins ayant les compétences pour avoir une formation poussée dans ces domaines.

Le MC reçoit régulièrement des doléances du public contre certains médecins. Êtes-vous satisfait de la pratique de la profession dans le pays  ?

Nous recevons environ une dizaine de plaintes de différentes natures par mois, mais certaines personnes se plaignent pour des choses qui ne relèvent pas de nos attributions. C’est pour cette raison que nous mettons certaines plaintes de côté. À titre d’exemple, certains nous disent que tel médecin les a injuriés dans la rue à cause d’un problème de parking. D’autres encore portent plainte concernant un problème de voisinage. Mais d’après la loi, que les plaintes soient sérieuses ou pas, nous sommes obligés dans un délai de 15 jours d’envoyer un accusé de réception aux personnes qui nous ont écrit.

Nous référons les plaintes qui méritent une enquête approfondie au comité d’investigations du MC. Il est vrai que le MC avait convoqué un certain nombre de médecins ces dernières semaines pour fournir des explications au sujet du non-respect de certaines clauses du Code of Practice. Les avertissements que ces personnes ont reçus n’ont pas été vains puisqu’ils ont changé leur manière d’opérer. Le MC est une institution qui veille à la bonne pratique de la profession et nous demandons aux médecins d’avoir une connaissance des lois en vigueur et d’appliquer ces règlements en exerçant leur métier. Nous voulons avoir des généralistes et des spécialistes qui donnent le meilleur d’eux-mêmes.

Peut-on avoir une idée du groupe d’âge des médecins  ? Existe-t-il une interaction entre les plus anciens et les plus jeunes  ?

Nous avons enregistré un grand nombre de nouveaux médecins de moins de 30 ans ces cinq dernières années et, valeur du jour, plus de la moitié des médecins sont âgés de moins de 50 ans. À l’hôpital, il existe cette interaction parce que les juniors travaillent sous la supervision des plus anciens. Dans le service privé, la situation est différente parce que la majorité des médecins exercent dans leur propre cabinet et ont chacun leur clientèle. Sans compter l’élément de compétition dans le privé, qui pourrait empêcher ce partage de connaissances et d’expériences. Néanmoins, nous savons qu’il y a une catégorie de médecins dans le privé qui veulent transmettre leur expérience à leurs jeunes confrères. Que ce soit dans le privé ou dans le public, il faut cette interaction entre les plus jeunes et les anciens dans le travail quotidien pour le bien de la profession.

Dans le cas d’un traitement impliquant plusieurs professionnels de la santé – par exemple un généraliste, un spécialiste et un physiothérapeute –, y a-t-il une coordination entre ces personnes ou est-ce que chacun travaille de manière isolée  ?

Il y a de plus en plus de concertation. Par exemple, dans le cas d’une personne ayant eu un accident vasculaire cérébral, plusieurs professionnels doivent participer pour améliorer la qualité de vie de ce malade, et il doit y avoir communication entre ces personnes pour le rétablissement au plus vite de cette personne. Mais chacun a un rôle spécifique dans le traitement du malade et ne doit agir sur le terrain de l’autre. Le paramédical ne peut pas dire au patient qu’il peut remplacer le médecin, ni que le généraliste venir prétendre qu’il a les compétences du spécialiste.

Est-ce une bonne pratique lorsque des médecins du privé font attendre quelquefois plus deux heures des patients venus sur rendez-vous  ?

Il y a peut-être des raisons pour cette longue attente. Si le médecin constate qu’il y a eu des imprévus et qu’il ne pourra recevoir ses patients qui l’attendent à l’heure convenue, il doit les informer de la situation. Il ne peut laisser les patients attendre pendant longtemps sans aucune communication.

Le MC a été miné cette année par des relations conflictuelles internes et par des contestations sur plusieurs questions, avec pour conséquence de nombreux départs au sein du board. Vous avez vous-même soumis votre démission pour revenir ensuite sur votre décision. Le board a-t-il retrouvé sa stabilité au bout de cette période mouvementée  ?

Je ne nie pas qu’il y a eu beaucoup des secousses, mais l’équipe dirigeante a retrouvé son unité. Il y a du sérieux et nous travaillons dans une atmosphère sereine. Cela fait deux ans que nous sommes en poste et il nous reste une dernière année de mandat. Il y a beaucoup de travail à abattre au sein du MC, mais nous avons tous des obligations professionnelles et nous sommes là une à deux fois par semaine pendant quelques heures.

Votre équipe a-t-elle des priorités pour cette dernière année de mandat  ?

Une des priorités au cours de la prochaine année est la réalisation des projets pour l’informatisation du service à tous les niveaux, et sur lesquels nous travaillons depuis plusieurs mois. L’informatisation aidera grandement à la collecte de données et débouchera sur une meilleure communication avec les médecins sur une base régulière. Nous pensons que la communication est un élément clé auquel le MC doit accorder une grande importance. L’informatisation est un gros morceau qui nécessite un investissement en termes financiers et en ressources humaines. Nous voulons laisser quelque chose de solide pour ceux qui prendront la relève au MC dans les années à venir.

À notre avis, un mandat de trois ans est trop court pour qu’une équipe atteigne tous les objectifs qu’elle s’était fixés en entrant en fonction et pour concrétiser les projets figurant à son agenda. Il ne faut pas oublier que le nouveau board n’entre pas immédiatement en fonction après les élections du MC, car il faut attendre la publication de la composition du board dans la Gazette officielle, procédure qui prend plusieurs mois. Durant la première année du mandat, il y a souvent des questions urgentes à régler, sans compter un temps de rodage pour la nouvelle équipe. Un mandat de quatre ans serait plutôt raisonnable.

Le problème de prescriptions incompréhensibles dont se sont plaints des pharmaciens récemment est-il résolu  ?

Nous sommes conscients que le pharmacien a un rôle important dans le traitement du malade. Nous avons eu des discussions approfondies avec le Pharmacy Council et des associations de pharmaciens sur cette question de prescriptions illisibles. Nous avons fait le nécessaire auprès des médecins directement concernés par ce problème d’écriture. Nous avons dit aux représentants des pharmaciens de nous alerter si ces médecins reprenaient leurs mauvaises habitudes. Et s’il y a lieu de les sanctionner, nous le ferons.

À moins de dix jours de la date limite légale pour qu’un médecin obtienne les 12 points obligatoires dans le domaine de la formation continue pour figurer sur le registre 2018, est-ce que l’ensemble de la profession a respecté ce critère  ?

À plusieurs reprises durant l’année écoulée, nous avons clairement fait comprendre aux médecins que le MC serait intransigeant sur le critère de « 12 points obligatoires ». À l’exception des nouveaux médecins qui ont eu leur “registration” récemment, tous les médecins doivent respecter le critère de “continuous professionnal developement”. Au cas contraire, ils ne pourront exercer l’année prochaine. Pour l’heure, la grande majorité d’entre eux sont en conformité avec le règlement et, à la fin de la semaine dernière, une centaine de médecins seulement n’avaient pas encore obtenu la totalité de ces points. Notons aussi que 150 médecins sont à l’étranger. Avec l’introduction de ce critère, des spécialistes d’un âge avancé ont demandé au MC d’enlever leur nom du registre de spécialistes. Mais ils peuvent pratiquer en tant que généralistes.

Propos recueillis par Myette Ahchoon

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