ÉGLISE ET AGRICULTURE (IV) : L’Abbé Rochon, savant membre de l’Académie royale de marine

ALAIN JEANNOT

Dans le précédent article consacré à cette rubrique, la contribution de l’Abbé Galloys, un des trois religieux dont les noms figurent sur la face sud de l’obélisque Liénard, a été évoquée. Aujourd’hui, vous êtes invités à découvrir pourquoi ce monument, qui célèbre la mémoire de ceux qui ont fait progresser l’agriculture, ou en l’enrichissant de plantes et d’animaux utiles ou intéressants (1), arbore le nom de l’Abbé Rochon.

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Né en 1841 à Brest, Alexis Marie de Rochon, dit Abbé Rochon, était un ecclésiastique français qui fit ses études théologiques à Saint Sulpice. Il fut clerc tonsuré sans toutefois épouser la prêtrise. D’une vive intelligence, ce voyageur avéré, grand savant devant l’éternel, fut aussi opticien, astronome et membre de l’Académie royale de marine, entre autres.

Notre petite île eut la chance de l’accueillir en juillet 1768 lorsqu’il aborda sur la flûte, La Normande, avant de partir en expédition au nord de Madagascar en septembre de la même année. Quelques mois plus tard, sous la demande de Pierre Poivre, alors intendant de l’Isle de France, l’abbé débarqua chez nous avec environ 80 espèces de plantes dans ses bagages. Ces plantes étaient destinées à agrémenter le jardin Monplaisir que ce dernier venait d’acquérir.

Considérant l’ancienne propriété de Labourdonnais comme un vulgaire jardin, Poivre voulait en faire un musée de plantes et un espace d’acclimatation privilégié pour une flore rare et épicée qu’il faisait venir d’autres contrées. C’est ainsi qu’il ne manqua jamais une occasion pour demander aux voyageurs visitant l’île de lui ramener des plantes venues d’ailleurs. Alexis Rochon fut un de ces précieux collaborateurs. L’écrivain Lesson parle de ce dernier en des termes très élogieux et indique une partie de la flore que nous lui devons : « L’Abbé Rochon se rendit également recommandable par cette philanthropie généreuse, qui enrichit un pays de nouvelles productions utiles, gloire préférable sans doute à celle du conquérant qui le ravage. On lui doit, en 1768, le ravenale ou arbre du voyageur, de Madagascar, le ravensara ou arbre aux quatre épices, le beau bois de Tataraake (Calophyllum), le cycas ou palmier-fougère à sagou, et le prunier malgache (Flacurtia ramontchi). » (2)

Charles de Vaux consacre presque tout un chapitre de son livre sur Maurice à la liste de plantes ramenées par Rochon de Madagascar. La plupart ont des noms malgaches, mais nous retenons, entre autres, le papyrus (sanga sanga), le vacoa ou le pandamus et le fameux filao, casuarina of Forster and of Linnaeus junior. (3) Ce légendaire Filao, qui porte bien son nom, car il peut atteindre des sommets aussi hauts que 35 à 40 mètres, sert de ceinture de protection contre l’érosion et les rafales de mers autour de nos côtes sablonneuses depuis la fin du XIXe siècle. Cette mesure a été préconisée par le Gouverneur, Sir Arthur Gordon, une centaine d’années après l’introduction salutaire du conifère par Alexis Rochon. (4)

De nos jours, les filaos servent toujours de brise-vent aux arbres des vergers ainsi qu’aux plantations de cannes à sucre et de légumes. Tout comme les légumineuses, les racines du filao ont la capacité de fixer l’azote qui se trouve dans la terre, rendant le sol plus riche et fertile. Ces arbres, qui peuvent survivre jusqu’à 40 à 50 ans, servent d’habitat à certains reptiles et insectes, ainsi qu’à des oiseaux exotiques aussi bien qu’endémiques. (5)

En dehors de sa contribution tangible et quantifiable, le filao tient une place de choix dans la conscience artistique, folklorique et psychique des Mauriciens. Saveur qui est par ailleurs étendue à nos visiteurs pour leur plus grand bonheur ! Il suffit de s’imaginer au bord de la mer, se laissant bercer par la musique du vent et des oiseaux à l’ombre de ces élégants filaos pour prendre la mesure de la sublime sérénité à laquelle ils nous invitent, lorsque, d’autre part, ils incitent à piquer enn bon sega sous leurs agréables auspices.

Savions-nous que, sans la contribution de l’Abbé Rochon, nous aurions pu être privés de ces délices ? La culture de l’oubli a une portée dévastatrice qu’il convient de débroussailler de temps à autre. Aussi, un rappel de la participation incommensurable à notre agriculture de cette Église et ses hommes, souvent victimes d’éclaboussures, est nécessaire. Il fait non seulement la part belle à une remise à l’heure de la pendule de respect mutuel, mais encourage aussi un retour salutaire à la terre nourricière à qui nous devons tant.

Poivre, Galloys, Leonard et… Rochon nous en sont déjà reconnaissants !

Bibliographie

1. Obélisque Liénard https://rsasmauritius.org/fr/intro/monument/1/Lienard. The Royal Society of Arts and Sciences of Mauritius. [Online]

2. Lesson. Aperçu sur l’histoire naturelle de l’île Maurice ; par Lesson. Journal des voyages ou archives géographiques du XIXe siècle. 1829.

3. Charles Grant, Viscount of Vaux. The history of Mauritius or the Isle of France and the neighbouring islands ; from the first discovery to the present time. 1801.

4. Socio-economic history of Mauritius. Mon Choisy where the filaos whisper. Le Mauricien, 2011.

5. Faizal Jeeroburkhan, Michael Atchia, Raheem Gopaul. À l’ombre des filaos. Forum – Le Mauricien, 18 Jan, 2019.

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