(ELAN) Eileen Marie (accompagnatrice des détenues) : « Monn gagn bann kolan voltiz lor mo figir, ti bizin res for »

Eileen Marie, présidente de l’ONG Elan, est la doyenne et première femme à être accompagnatrice des détenues. Malgré ses 72 ans sonnants, Eileen Marie ne fait pas son âge, tant la jovialité se dessine sur son visage. Cette retraitée aurait pu se la couler douce auprès de ses petits-enfants, mais elle a choisi de se consacrer à la cause des prisonniers. De ses premiers pas à la prison des femmes de Beau-Bassin, Eileen est accueillie avec des insultes : « Monn gagn bann kolan voltiz lor mo figir. » Et ajoute que « ti bizin res for ». Plus que de l’audace, il lui a fallu distiller de l’amour pour un regain de confiance auprès des détenus. Ce qui lui importe le plus, c’est de voir ces détenus, après leur libération, réussir leur réintégration sociale.
Eileen Marie n’a pas la langue de bois avec son franc-parler qui étonne. Elle dira sans détour croire dans la réhabilitation de tout détenu. Ce mot sonne creux pour certains, mais fort pour des familles dont les enfants se sont retrouvés en prison pour meurtre, vol, viol, drogue et autres délits… Eileen a donc fait de cette cause sa quête de rédemption. Sa compassion vis-à-vis d’autrui, elle en a fait sa force et, quand elle évoque l’univers carcéral, son attention se porte sur ces hommes et ces femmes qui, selon elle, méritent tout pardon. « Zot pa kapav zis bann dimoun ki finn fer bann fo pa. Lasosiete pa gagn drwa rezet zot », clame ce petit bout de femme, qui a su faire de sa gentillesse une autorité dans le milieu carcéral.
Les prisons, Eileen Marie les a toutes visitées. D’abord en travaillant avec des femmes détenues, puis avec des hommes. « Je me souviens de cette femme en prison qui avait ouvert la porte pour laisser sortir d’autres détenus. Je l’ai réprimandée, puis je l’ai serrée dans mes bras. Ce seul geste a généré chez cette femme un sentiment de regret. » Elle évoque aussi le cas d’une femme battue, dont le concubin avait aussi de mauvaises pensées sur sa fille. « Pour se protéger des coups et pour protéger sa fille, elle a préféré tuer son concubin. Sa peine de 14 ans a été revue sur dix ans et, entre-temps, elle est décédée. »
Eileen Marie se souvient aussi de Marie Ange Milazar, cette travailleuse du sexe, enceinte de huit mois et tuée dans des conditions atroces. Elle rappelle que sa dépouille avait été retrouvée dans un conduit de tout-à-l’égout sous le pont du Ruisseau du Pouce, à Port-Louis, en novembre 2009. « Marie-Ange ti enn ti loraz dan prizon. Li ti pou kapav defann li si li pa ti ansint. Zot ti kat e li ti ansint », dit-elle. Le pire, selon Eileen Marie, est lorsqu’on enterre une de ses détenues. En effet, elle s’est occupée de l’enterrement de six travailleuses du sexe. « Leker kase. Ti ena enn prostitie apel Jocelyne, mo mem finn fer so lanterman. Li ti pe dormi anba latab bazar. Mo pa gete si ena lapli, soley, siklonn, kot bizin mwa, mo la. Pa kapav dir nou kontan nou prosin, apre sove. »

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Du baume dans les cœurs des opprimés

Des anecdotes, Eileen Marie en a plein, à commencer par sa rencontre avec feu Lindsay Aza, président de l’ONG Elan, dont elle a choisi de perpétuer la mission après sa mort. « Lindsay ti ena enn vre langazman opre bann deteni. Mo kapav pena bel diplom me mo lexperians lor terin li bien gran. Le mot Elan veut dire tout ! Bizin krwar dan travay terin ki nou pe fer e pran enn lelan pou akonpli bann kitsoz. » Elle ajoute que sa vocation repose sur son engagement auprès des détenus de différentes prisons. Eileen Marie plaît par son approche de maman, qui a su mettre du baume dans les cœurs des opprimés de la société. Son parcours dans le textile pendant 25 ans l’a conduite à se tourner vers le social, d’abord auprès des enfants de la Cité La Caverne, où elle les a initiés à un programme axé sur la prévention contre les grossesses précoces.
Son travail la passionne et elle décide aussi de défendre la cause des détenus de la prison en devenant la première femme à faire de l’accompagnement et l’écoute auprès des détenus. Lorsqu’elle foule pour la première fois les portes de la prison des femmes, à Beau-Bassin, Eileen Marie est accueillie sous une pluie d’insultes. « Mo’nn gagn bann kolan voltiz lor mo figir, ti bizin res for. » Son entrée dans le milieu carcéral, elle le doit au pasteur Lindsay Chineegadoo. « Je me souviendrai toujours de cette première rencontre avec une quarantaine de détenues femmes emprisonnées pour meurtre, prostitution. Mo sorti la abriti. Le commissaire des prisons d’alors, Deepak Bhookun, m’avait dit de bien les encadrer et j’avais choisi de leur parler de la valeur de la famille. Le gardien de la prison était étonné de voir la manière dont je communiquais avec ces femmes et je les faisais prendre conscience de leur rôle de mère et de leur combat à mener pour retrouver leurs enfants. »
Elle côtoiera aussi l’ex-récidiviste Clifford Rioux, qui s’est évadé de La Bastille en même temps que l’ex-Mr Mauritius Dharmarajen Sabapathee. « J’ai entendu les pleurs de sa soeur et j’ai mené le combat de la rédemption avec lui. Mo ti donn Rioux labib, mo finn soulign bann fraz ki li bizin gard an tet. Malgre li pa ti konn lir, ansam nou ti pe prie. Zordi, li an dehor prizon, li enn papa enn adolesan 15 an e li finn aksepte Levanzil. Pour éviter une récidive, il faut de l’aide et, pour aider quelqu’un, il faut de l’amour et de la compassion. Un homme prisonnier m’a dit en larmes que mes paroles ont atteint son cœur. Ce sont des paroles qui me poussent à continuer dans cette voie. »

« Rod mo mama biolozik »

Ayant été à l’école jusqu’à la Std IV, Eileen Marie se sent flattée d’avoir été approchée par l’Université de Maurice pour parler de son travail social et la réhabilitation des détenus. Maintenant, il faut de la vocation pour faire du social qui repose avant tout sur un engagement avec la société. « Je ne suis pas diplômée, mais mon travail de terrain a été reconnu. C’était en 2014, à l’Université de Maurice. Et, j’ai fait un exposé sur la réhabilitation auprès des étudiants en sociologie. Ces étudiants sont venus avec moi sur le terrain pour passer de la théorie à la pratique. Pou fer sa metie-la, ou pa kapav zis kirie, ou bizin pasione e kontan ou prosin. » Elle évoquera aussi le problème des filles abandonnées dont les mots résonnent encore dans sa tête. « Madam Eileen, rod mo mama biolozik », lui a dit l’une d’elles.
Son engagement avec les enfants, Eileen en a fait son sacerdoce. Elle s’occupe de ceux passant par le Correctional Youth Centre au Rehabilitation Youth Centre. « Ce sont des enfants issus de Broken Families et qui n’ont eu aucune affection. Zot bizin kokin parfwa pou kapav manze. C’est aussi très important la réhabilitation de la famille. Nous ne sommes que des ponts entre les enfants et leurs familles. Kan maman pran zom ek rezet zot zanfan. C’est ce rejet qui déclenche le mal-être chez un enfant et qui le conduit à être un délinquant. » Eileen Marie explique : « Depuis sa création en 2001, Elan est une des ONG qui travaille dans des prisons pour la réhabilitation. Il faut arrêter des engagements genre ping-pong, c’est-à-dire toujours se renvoyer la balle. Il faut prendre ses responsabilités. »
« Mama Eileen », comme la nomment les détenus, n’a pas hésité, lorsqu’elle s’est engagée dans ce combat de réhabilitation, à puiser dans ses propres économies pour visiter les détenus de prison, donner à manger, et même partager un repas avec des travailleuses du sexe du Jardin de la Compagnie. Certains me pointaient du doigt en disant « samem ou fami ». Je répondais : « Ou pa kapav fer travay sosial si ou pa kontan ou prosin. Si ou per enn dimoun ki ena HIV, enn mertrie, enn prostitie, narien pa gagn fasilman dan lavi. Bizin met leker dan tou aksion. Reabilitasion, pa kapav fer san lafami. » À la question de savoir ce qu’elle pense de la castration chimique, évoquée à l’égard des bourreaux d’enfants par la ministre de l’Égalité des genres et de la Protection des enfants, Kalpana Koonjoo-Shah, Eileen dira : « Mo panse zot pou reflesi a de fwa avan tous enn inosan. »
Présidente de l’ONG Elan, Eileen Marie raconte que l’association « roule actuellement sans fonds », mais perçoit une aide de la National Solidarity & Inclusion Foundation, « qui nous soutient dans notre travail auprès des détenus ». Suite aux nombreux cambriolages, le bureau de l’ONG vandalisé et la ferme d’agriculture volée et détruite, Elan a besoin d’aide pour reconstruire son local avec ferme intégrée. Un appel est donc lancé dans ce sens aux sponsors. Cela n’empêche pas pour autant Eileen Marie de se déplacer en van, épaulé par le jeune Yannick Rivet, pour effectuer des visites par région, avec toujours ce mot d’ordre : la réunification entre le détenu et sa famille. « On souhaite retrouver notre potager détruit par le vandalisme et aider les détenus en réhabilitation d’avoir de nouveau une activité professionnelle. Tous ne pourront pas planter, il faudra aussi que des entreprises acceptent d’embaucher ces ex-détenus, ce geste pourrait les faire réussir leur réintégration sociale. Une quarantaine de détenus ont pu réussir leur vie grâce à Elan. Mais le combat est encore loin d’être gagné, surtout avec la COVID-19, ki finn blok nou lelan. Nou bizin met an plas plis program de prevansion, e sirtou, ed bann deteni gagn enn meyer lavi apre zot liberasion », conclut Eileen Marie, confiante que sa détermination portera encore ses fruits.

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