Hommage à mon ami Lucien Maujean

Lucien s’en est allé, après quelques années durant lesquelles ses facultés intellectuelles avaient été sévèrement atteintes, et la cécité l’avait subitement foudroyé.

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Avant de revenir sur cette fin de vie, exemplaire par la soumission à la terrible souffrance morale qui l’accompagna, je souhaiterais, pour les avoir suivis de près, parler brièvement des temps forts de sa vie sur les plans professionnel, artistique, amical, familial et spirituel.

D’une grande intelligence, Lucien était aussi un visionnaire. Rentré au pays au début des années 1970, après des études en génie civil, domaine dans lequel il exerça pendant quelques années en France et en Allemagne, il créa « L’Organisation Normale des Entreprises ». Le but était, comme ce nom l’indique, d’aider les sociétés à s’organiser de manière rationnelle en se dotant d’équipements et de techniques de gestion les plus modernes de ces années-là. Et c’est à ces fins qu’il introduisit successivement chez nous l’imprimerie « Offset » et le microfilm, et contribua à promouvoir l’informatique qui n’était alors qu’à ses balbutiements.

Cette technique d’imprimerie se révéla, en effet, bien plus performante que la typographie, tant sur le plan qualitatif que sur celui de l’efficience, et ouvrit ainsi la route du progrès à l’imprimerie et à la presse mauricienne, dont « Le Mauricien », journal avec lequel j’ai plaisir aujourd’hui à collaborer.

Avec le microfilm, ce sont des documents et des archives des services administratifs du pays ainsi que ceux d’entreprises privées qu’il miniaturisa, permettant dans la foulée une économie de surface de rangement considérable, et une plus grande sécurité contre certains risques, tel l’incendie ; ainsi, bien évidemment, une accessibilité bien plus rapide à ces documents-là, et les avantages qui en découlèrent.

Et enfin l’informatique qui dépassa, elle, toutes les espérances. En introduisant chez nous l’entreprise américaine « Honeywell Bull » dont il obtint la représentation exclusive, il apporta une contribution majeure au développement de l’outil numérique qui allait révolutionner notre vie en général et celle de l’entreprise mauricienne en particulier. L’impressionnante Cybercité d’Ebène en est aujourd’hui la preuve, si besoin il y avait.

Venons-en maintenant à « l’arrangeur de syllabes » qu’était Lucien Maujean. Le talent ne s’apprend pas, il est inné. Et Lucien avait au plus profond de lui-même la fibre poétique. Il chantait la vie avec légèreté ou profondeur, ou les deux à la fois. Et Dieu sait si certaines de ses chansons étaient porteuses de messages, ce qui est la caractéristique même de l’Art à l’état pur.

Cette légèreté, on la découvre dans le couplet d’une de ses chansons, consacré à Napoléon, où il fait l’Empereur se promener dans le vieux Paris « sur un cheval noir et sans chapeau », alors qu’il préparait La France à visiter La Sibérie. Quelle trouvaille !

Et la profondeur, elle, atteint son paroxysme dans la chanson « Figure de Proue », ces sirènes qu’on ne trouve aujourd’hui qu’abandonnées dans des coins de musée, et qui symbolisent toutes les splendeurs du monde qui, au fil du temps, disparaissent, même de nos mémoires.

Quant à ses vies familiale et spirituelle, totalement liées l’une à l’autre, je dirai seulement qu’il a toujours été dans ces deux domaines-là un homme de grande droiture et de devoir.

Et maintenant, Lucien, quelques mots en aparté :

« Ta famille, tes amis, tous ceux qui te respectaient et t’aimaient, ne te retrouveront jamais plus ici-bas. Mais je sais, oui je sais, qu’un jour, ailleurs, nous serons face à face avec toi ».

GEORGES-ANDRÉ KOENIG

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