IDÉES « Faire la Politique Autrement » :  est-ce de la politique ?

Dr JIMMY HARMON

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Alors qu’il prenait la parole vendredi 5 août 2022 au congrès du LPM (Linion Lepep Morisien) à la Tour Koenig, Bruneau Laurette annonce au micro son profond désaccord avec les principaux animateurs présents et informe l’assistance de sa démission. Évidemment, cette nouvelle fait la une de tous les médias pendant le week-end. Avec le départ de sa figure emblématique représentée par B.Laurette, le LPM, huit mois après sa création, subira le test de la durabilité. Ce sont surtout les commentaires sur Facebook qui nous permettent de saisir le désarroi du public. Un commentaire type est le suivant : « Zot fer parey kouma bann dimoun ki zot kritike […] marse pa marse kit group al fer lalians. Fatige ar zot ».

Le véritable désarroi vient du fait qu’on a fait croire qu’on peut « faire la politique autrement », différente de celle menée par des « partis institutionnels, c’est-à-dire, ceux qui sont à l’Assemblée nationale. C’est un qualificatif que le LPM utilise pour ces partis et qui est bien expliqué dans un article d’Ivor Tan Yan, membre du LPM, autour de « BLD ( B…li deor) et BZTD ( B…Zot Tou Deor) » ( voir « Comment réussir une manifestation nationale… », 5 août 2022, lemauricien.com). L’opposition extra-parlementaire se trouve quelque part engluée dans ce slogan BLD versus BZTD. Alors que la page officielle du site du LPM se lit comme suit : « LINION PEP MORISIEN (LPM) est un mouvement politique fondé par un groupe des militants écologiques à la suite du naufrage du navire Wakashio survenu le 25 juillet 2020. Le LPM a été fondé le 8 janvier 2022 de la fusion de 4 mouvements existants, notamment le Groupe Réflexion Emmanuel Anquetil, Linion Sitwayin Morisien, Le Mouvement Patriotique et 100% Citoyens. Le nom LPM a été unanimement choisi par les militants présents lors de la réunion du samedi 8 janvier 2022, à la rue Dr Roux à Rose-Hill ». Cependant, le fait d’avoir systématiquement opposé le social et la politique par la voix de son ancien animateur, le LPM est entré probablement dans une impasse idéologique dont il arrivera difficilement à s’en sortir. On sait que toute action sociale menée pour la transformation d’une société est définitivement politique; par contre, toute action politique peut ne pas être sociale. C’est cette confusion autour de ce qu’est « la politique » qui retient notre attention ici dans cet article.

L’Impact

Avec du recul, on peut mesurer le désarroi avec « faire la politique autrement ». Il faut partir de cette marche du 29 août 2020 à Port Louis et celle du 12 septembre 2020 à Mahébourg dans le sillage du naufrage du Wakashio. La une des journaux à l’époque est fort révélatrice. Quelques titres à retenir sont : « Marche citoyenne du samedi 29 août…Du jamais-vu » (Week-End, 30 août 2020) ; « Nouvelle marche citoyenne. Marée de colère et de revendications à Mahébourg. Les manifestants réclament « justice » et « changement ». Les organisateurs : Nous posons les jalons d’une nouvelle indépendance » (5 Plus Dimanche, 13 septembre 2020) ; « + 75,000 citoyens rassemblés à Port-Louis » (Edition Spéciale, L’Express 30 août 2020) 😉 ; « Samedi 12 septembre-Entre Beau-Vallon et Mahébourg. Retentissante légitimité de la rue ». (Week-End, 13 septembre 2020). L’apport des télé médias dans le paysage médiatique est significatif. Ainsi, lemauricien.com fait un reportage de la marche du 29 août (« Marche pacifique du 29 aout : à Maurice, le réveil citoyen ». https://www.youtube.com/watch?v=9SwHMJLtK7g ). Un des participants à cette marche confie au journaliste : « Premie fwa mo trouv sa kantite blan-la. Kreol, indien […]zordi nou tou solider […].nou sagrin. […] pou Nwel zanfan pa pou gagn zouzou ». Ces titres de journaux donnent bien le sentiment qui habite alors ceux qui portent ce mouvement.

Dans un article de réflexion avec le titre « Y’en a marre » (Sénégal), « Lucha » (RD Congo), « Bour li deor » (Maurice) paru dans la page forum du 21 septembre 2020, je comparais ce qui se passait à Maurice avec les Nouveaux Mouvements Sociaux (NMS) ailleurs. L’existence des NMS représente une crise de confiance dans la façon dont les questions sociales sont traitées par des leaders traditionnels et la désaffection du système démocratique en général. Et je terminais cet article avec la question suivante : « Serait-ce la troisième force ? Alors qu’on envisageait à ce jour cette troisième force comme une rupture totale et l’absence de toutes alliances avec les partis traditionnels qui ont déjà fait des alliances. Il se pourrait que le mouvement Wakashio débouche sur une reconfiguration et recomposition politique. Attendons voir ! » Je pense que la réponse à cette question n’est pas encore donnée. Mais ce qui est plus important à ce stade c’est de se pencher sur ce qu’est la politique.

La politique

Le magazine francais « Le Point, Hors-série. Les textes fondamentaux de la pensée politique, Machiavel, Locke, Rousseau, Tocqueville, Marx » paru en septembre-octobre 2008 consacre tout un dossier sur ce qu’est la politique. Des extraits des textes fondamentaux sont reproduits et commentés. C’est un dossier éclairant pour notre analyse. Le texte qui retient probablement le plus notre attention est celui de Nicolas Machiavel (1469-1527) pour son chef d’oeuvre  Le Prince publié en 1513. Le nom de Machiavel est passé dans l’expression commune « machiavélique » qui désigne quelque chose de perfide, de diabolique et astucieux à la fois. Cet adjectif vient de l’auteur italien Machiavel, dont la doctrine est considérée comme dénuée d’honnêteté, d’intégrité et surtout de moral. Mais la publication Le Prince marque la fin des illusions, quand Machiavel décrit dans sa nudité la nature du pouvoir et de l’histoire. Le résultat est la séparation radicale entre l’exercice du pouvoir et la morale commune. Donc, la politique est la conquête du pouvoir.

Dans l’introduction au magazine, Laurent Theis, historien, essayiste, titre son article par « Politique, si humaine politique ». C’est dire que la politique est ce qu’est l’être humain dans toute sa complexité. Il explique que la politique organise et structure la capacité des hommes et des femmes à vivre en société. Il demande si c’est un « malheur ou une chance ? »  Il indique que les affaires publiques, d’une complexité croissante, et surtout le développement du système représentatif, requièrent des compétences approfondies et un engagement intense au moment où la carrière publique commence. (p.9). Il conclut en faisant l’observation suivante : « Depuis lors, faire de la politique autrement demeure un vœu pieux et le fait de déplorer le rejet de la politique est aussi ancien que la politique elle-même » (p.9). Dans l’analyse marxiste, la politique est la prise en compte de l’homme privé (membre de la société civile) et le citoyen (membre d’un État). Cette double identité de la personne humaine dans la société crée une ambivalence et une tension. L’État se constitue alors comme « universalité », au-dessus des éléments particuliers de la société. L’État supprime alors politiquement les distinctions sociales, rangs et autres. Mais le concept de « consociationalisme », développé par Arend Lijpart en 1977, décrit mieux la gouvernance de la démocratie dans les sociétés plurielles comme la nôtre. C’est une démocratie de concordance avec un partage du pouvoir au niveau de l’État pour équilibrer les différentes forces.

Et l’Ile Maurice ?

La publication Une idée de la Nation, Editoriaux choisis, 1995-2010 par Jean Claude de l’Estrac est une sélection de 100 éditoriaux. Sa lecture aide qui veut comprendre notre pays. Dans un de ses éditoriaux au titre « Et c’est la Nation qui gagne » au lendemain des élections de 2000, l’éditorialiste écrit « Toujours prompte à exhiber ses tares et ses gangrènes, la nation ne reconnait pas suffisamment ses vertus et ses mérites. Aujourd’hui s’achève une campagne électorale d’une démocratie accomplie. » (p.42).  Parlant des deux alliances politiques qui s’affrontent à l’époque, J.C. de L’Estrac observe qu’« elles ont chacune leurs faiblesses, elles n’échappent pas à des perceptions ethnosociologiques induites par leur clientèle électorale d’origine, mais elles peuvent toutes deux revendiquer la représentation politique de l’ensemble national. Ce n’est pas un mince acquis pour une si jeune nation, pour un pays à l’histoire et à la géographie sociale si complexes. On peut bien sûr disséquer les préférences, segmenter les affinités. Mais à l’échelle de l’histoire, il est plus probant de dégager les grands courants, de repérer les principales étapes de dire la geste. Indépendamment de leur issue, ces premières législatives du nouveau millénaire marquent une date. » (De L’Estrac, p.44). À lire de près cet extrait, on comprend toute l’ile Maurice.

La politique est ! Elle n’est pas « autrement » !

Références

De L’Estrac, Jean Claude. Une idée de la Nation, Editoriaux choisis, 1995-2010, La Sentinelle, 2012.

Guichard, Jean. Le marxisme, théorie de la pratique révolutionnaire, 4e Ed. Collection « CSF », Paris, 1978.

Le Point, Hors-série. Les textes fondamentaux de la pensée politique, Machiavel, Locke, Rousseau, Tocqueville, Marx. Septembre-octobre 2008.

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