Inspiration ! Cataclop, cataclop, cataclop, à bas les œillères !

PRAVINA NALLATAMBY

- Publicité -


Rien n’est jamais totalement figé. Tout évolue avec le temps dans un perpétuel mouvement linéaire ou cyclique. À la naissance, démarrant en douceur au pas, allant progressivement au trot, on s’élance au galop, cavalant parfois trop frénétiquement, pour revenir de nouveau au pas au crépuscule de la vie. Pour certains, les mêmes schémas funestes se reproduisent à l’infini, les plongeant dans un tel abîme d’angoisse qu’ils se rebellent, se cabrent et s’ébrouent avec impatience en résistant avec virulence. Entre deux trêves fugaces, une catastrophe chasse une autre. Certains encore, de nos jours, montent au quart de tour sur leurs grands chevaux et entrent en lice pour triompher à n’importe quel prix, sans mesurer la nocivité de leurs actes pour l’humanité !

Avons-nous un pouvoir sur les éléments et sur les ambitions démesurées des hommes ? Est-ce que tout le monde devrait subir passivement les mornes conséquences d’événements innommables ?

Observons l’évolution de l’image équestre. On pourrait peut-être alors se redresser, lâcher la bride, ralentir le pas, osant faire tomber les œillères et percevoir la meilleure façon de tenir les rênes de son destin pour vivre avec bienveillance. Serait-ce une garantie d’innocuité et de réconfort pour son entourage ? On ne sait jamais…

Le cheval, une arme de guerre ?

Depuis la découverte des peintures rupestres de Lascaux et de Pech Merle, les amateurs d’art et de littérature ne cessent de représenter des scènes équestres. Doté d’une élégance naturelle, le cheval exalte la force et le courage du cavalier, qu’il soit jockey, chevalier ou mousquetaire au service du roi. Dans les gravures de Jacques Callot ou d’Antonio Tempesta, la fière allure des chevaux, galopant ou se cabrant avec grâce, est merveilleusement mise en valeur. Dans le même esprit, les tableaux de Géricault et de Delacroix dévoilent la mystérieuse complicité entre les valeureux cavaliers et leurs coursiers.

La richesse de l’iconographie équestre nous permet de suivre de grandes personnalités historiques à la poursuite d’une gloire quelquefois éphémère. Peintures, sculptures et littérature ont gravé de grands moments de l’histoire pour toujours. On imagine Alexandre le Grand s’élançant à la conquête du monde chevauchant son Bucéphale, la crinière au vent, à l’image des vaillants cavaliers des steppes. On revit les redoutables duels du Moyen-Âge ainsi que les tournois équestres des chevaliers, devenus maîtres dans le maniement de l’épée et de la lance à cheval, ou bien, tout en suivant les légendaires chevaliers de la Table ronde éperonnant habilement leurs destriers à la quête du Graal dans leur combat pour le Bien. Les chevaux de Marly immortalisés dans le marbre de Carrare nous rappellent la puissance royale avec deux superbes équidés cabrés retenus par des palefreniers, d’une part et d’autre part, deux Pégases montés respectivement par la Renommée soufflant dans sa trompette et Hermès brandissant son caducée. Des reproductions de ces majestueux chevaux ornent aujourd’hui la place de la Concorde à Paris. L’imposant portrait équestre en marbre blanc d’Henri IV qui trône dans les salles Saint-Louis au château de Fontainebleau évoque un règne tourmenté mais aussi la signature de l’édit de Nantes au XVIe siècle en faveur de la fin de la guerre des religions. Les monarchistes vivront avec nostalgie la chasse à courre du roi Louis XVI que nous raconte Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe, lui-même caracolant sur l’ombrageuse jument dénommée « l’Heureuse » !  Au-delà des vastes plaines et forêts, fuyant le monde des guerres et révolutions, Byron nous invite à suivre le périple de ses héros dans Le Pèlerinage de Childe Harold et Mazeppa, emportés par la splendide course de leurs chevaux. Comment ne pas vibrer avec Ouroz, le valeureux héros des Cavaliers de Joseph Kessel, chevauchant vaillamment Jehol, son cheval “fou” à travers les plaines et les montagnes éloignées ?

Dans Le cheval magique de Han Gan, un merveilleux conte illustré de Chen Jiang Hong, l’auteur raconte la détresse d’un prodigieux cheval subissant la violence des éperons d’un guerrier impitoyable. Le noble animal donnera à son cavalier toute la puissance pour triompher de ses ennemis. Mais ne supportant plus sa cruauté, il s’enfuit pour aller se figer dans le tableau du peintre qui lui avait donné vie.

L’évolution de l’art équestre

Autre temps, autres mœurs. Les somptueux caparaçons richement décorés, symboles de la puissance des valeureux guerriers ont cédé la place à un harnachement plus sobre. Tout est dans le sens qu’on accorde au dressage des chevaux. Autrefois, on les dressait en vue de la chasse et du combat, dans la cavalerie de l’Occident jusqu’aux lointaines tribus nomades du Sahara ou des steppes d’Asie. Au début, les chevaux lourds et endurants servaient à tirer des chars de combat ; puis des étalons racés, plus légers et puissants, dirigés avec rênes, mors et étriers, ont été dressés pour leur rapidité.

Avec la mécanisation de la cavalerie, le cheval a quitté des combats guerriers pour des activités sportives. Des disciplines plus artistiques et récréatives ont succédé aux sports équestres proprement militaires. On voit se développer les divertissements au cirque, les concours d’équitation et le sport hippique à travers le monde. La voltige équestre, véritable clou du spectacle, sublimant les prouesses acrobatiques du cheval et de son cavalier se transforme en une formidable représentation théâtrale. Les concours d’équitation proposent le saut d’obstacles, le dressage et le cross-country alors que le sport hippique privilégiera les courses de chevaux. Excitant et conciliant à la fois, le cheval s’est défait de sa parure militaire et ses multiples connotations guerrières. Une image toujours fascinante et pleine de vitalité mais beaucoup plus apaisante lui est associée. Il se cabre pour faire le beau au cirque et non face à un adversaire. Pour ne pas finir figé dans un tableau d’un artiste chinois, il calme sa fougue, apprivoise sa force intérieure pour se dépasser aux concours hippiques ainsi qu’aux courses et jeux équestres comme lors du bouzkachi (1), pour le plus grand bonheur des cavaliers et des spectateurs. Au programme, recalibrage des ressources et réappropriation de son corps pour une exploitation optimale de ses facultés. Comme le montre Derek Munn dans son roman intitulé Le Cavalier, le cheval peut être ami, monture et pion à la fois. Sur un échiquier, spécialiste du saut d’obstacle, il avance avec une technique stratégique qui peut en désarçonner plus d’un. Dans une écriture fluide et entraînante, riche d’un bouquet de sensations, Derek Munn raconte l’histoire de son héros se lançant dans un voyage intérieur tantôt sur un échiquier, tantôt sur sa jument. Ce cheminement parallèle lui permet de réapprivoiser ses sens, reconnaître ses points forts et ses moments de faiblesse, revisiter les valeurs humaines pour apprécier la non-dualité des choses et les bienfaits de l’ici-maintenant.

Depuis l’Antiquité, l’art équestre, tel qu’il est décrit par Kikkuli (2), Xénophon et d’autres, a beaucoup évolué. Une grande partie de l’entraînement du cheval avait pour objectif la conquête du pouvoir sans crainte avec la complicité de son cavalier. Petit à petit, en participant à l’évolution de l’humanité, le cheval, symbole de guerre, a éclipsé le cheval de trait, utile à l’homme pour l’agriculture, l’attelage et le transport. Aujourd’hui, cette majestueuse bête est devenue un des meilleurs compagnons de l’homme, complice fort utile pour le travail et agréable dans les moments de loisir.

Depuis la nuit des temps, les images équestres à travers le monde nous enchantent. Alors, mettons le pied à l’étrier ! Cataclop, cataclop, cataclop !

En selle pour un tour de manège, changeons de perspective… Laissons-nous émerveiller par les yeux pétillants de bonheur d’un enfant sur son cheval à bascule. Envolons-nous avec le cheval blanc de Georges Seurat gambadant gracieusement sur une piste du cirque. Rêvons avec le « Cheval bleu » de Franz Marc à des jours meilleurs…

Notes

(1) Couramment pratiqué en Asie centrale, le bouzkachi est un jeu assez dynamique au cours duquel les cavaliers doivent récupérer avec beaucoup d’habileté la carcasse d’une chèvre décapitée pour la déposer dans un cercle tracé sur le sol.

(2) Emilia Masson, L’art de soigner et d’entraîner les chevaux, texte hittite du maître écuyer Kikkuli, Lausanne, Ed. Favre 1998.

Novembre 2023

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour